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Le serpent de mer de la réforme systémique

Dossier | publié le : 02.12.2013 | V. D.

Transformer les différents régimes de retraite en vue d’obtenir un régime unique est une entreprise délicate et propre à générer les mécontentements. Malgré la résistance des uns et l’impatience des autres, la réforme avance sur cette voie.

Les parlementaires centristes qui, depuis dix ans, en appellent au big bang des retraites, autrement dit à la création d’un régime universel en points, vont, cette fois-ci encore, sortir bredouilles de l’examen de la réforme censée « garantir l’avenir et la justice des retraites ». « Le gouvernement a éludé la réflexion nationale de 2013 pourtant inscrite dans la loi de 2010 », tempête Jean-Marie Vanlerenberghe, vice-président de la commission des Affaires sociales du Sénat, à l’origine d’un amendement, rejeté, visant à mettre en œuvre une telle réforme dès 2017. « La réalisation de ce fantasme n’apporterait aucun euro nouveau dans le système », avait balayé, en séance plénière à l’Assemblée, Michel Issindou, rapporteur socialiste du projet de loi. « Alors que près de 75 % des Français y sont favorables, selon un sondage Louis Harris-LCP, cette réforme fait surtout peur à tout le monde, décode Gérard Roche, sénateur (UDI, Haute-Loire). Au gouvernement qui redoute de mettre les régimes spéciaux dans la rue, aux élus qui craignent la sanction des urnes et aux technocrates qui appréhendent un chaos informatique et financier. »

Pourtant, l’idée fait son chemin : derrière la CFDT, fer de lance historique de la réforme systémique, la CFE-CGC n’y serait pas fermée, à la différence de la CGT et de FO, résolument hostiles. De même, l’UMP s’est ralliée à l’idée, tout comme l’aile sociale-démocrate du Parti socialiste… mais sans le dire trop ouvertement pour ne pas gêner le gouvernement. Il est vrai que, sur le papier, la perspective d’un régime unique paraît séduisante. « Avec la diversification des parcours professionnels et la croissance attendue des polypensionnés – ils représentent déjà 40 % des départs en retraite –, un régime unifié serait source d’une égalité accrue entre les travailleurs », souligne Jean-Louis Malys au nom de la CFDT. « À la différence des systèmes assis sur une origine professionnelle, un régime unifié en points supporte la transformation du modèle économique quand il se traduit par la disparition de certains secteurs d’activité et l’apparition de nouveaux », abondait, début octobre, l’ancien président cédétiste de l’assurance vieillesse Jean-Marie Spaeth lors du colloque organisé par l’Union mutualiste retraite et la chaire Transitions démographiques, transitions économiques (TDTE). Autre argument, avancé cette fois par Didier Blanchet, ancien chef économiste de l’Insee et chercheur associé à la chaire TDTE, « l’efficacité des réformes paramétriques, calées sur les scénarios les plus optimistes du Conseil d’orientation des retraites en termes de croissance et d’emploi, n’est pas garantie » pour ce qui est de la maîtrise des déficits publics.

Vers l’alignement des régimes.

Malgré l’absence de débat public, la convergence des régimes n’en progresse pas moins d’une réforme à l’autre. Après l’alignement progressif des bornes d’âge, de la durée d’assurance et des taux de cotisation salariés, la réforme Ayrault a apporté sa pierre à l’édifice : en déplafonnant les taux de cotisation d’assurance vieillesse des indépendants ou encore en posant l’idée d’un mode de calcul et d’une liquidation uniques pour l’ensemble des polypensionnés des régimes général et alignés (RSI, MSA) à compter du 1er janvier 2016. Certes, mais « il faut aller encore plus vite et plus loin en achevant la convergence entre public et privé », presse Jean-Marie Vanlerenberghe. Ce qui, selon lui, passe par l’élargissement du salaire annuel de référence au-delà des six derniers mois en contrepartie de la prise en compte de tout ou partie des primes, et la mise en extinction des régimes spéciaux. Ces derniers ayant été, rappelle-t-il, « historiquement créés pour prendre en compte la spécificité de certains métiers, et en particulier la pénibilité, la création d’un régime de réparation de la pénibilité de droit commun devrait faciliter la suppression des catégories dites actives », estime-t-il.

En guise de variante, Antoine Delarue, actuaire associé à la chaire TDTE, prône, lui, le basculement des droits contributifs des quatre piliers du système (salariés, indépendants, fonctionnaires et régimes spéciaux) dans autant de régimes en points, « les rendements de chaque régime ayant vocation à converger du fait d’un pilotage responsable ». Ce transfert s’accompagnerait d’une harmonisation au sein d’un « régime transversal de solidarité » de l’ensemble des mécanismes redistributifs du système : avantages familiaux et conjugaux, validation de trimestres gratuits au titre de la solidarité, mode de calcul du minimum contributif et garanti.

Afin de faciliter la transition, les droits acquis pourraient être cristallisés avant d’être convertis en points dans le nouveau système. « C’est la moins mauvaise des solutions pour ne pas changer les règles du jeu rétrospectivement », acquiesce Jacques Bichot, professeur émérite de l’université Lyon 3 et coauteur avec le député UMP Arnaud Robinet d’un ouvrage paru au mois d’octobre intitulé la Mort de l’État providence. Vive les assurances sociales ! (éditions Manitoba/Les Belles Lettres).

Des difficultés à surmonter.

Par-delà la volonté politique, la mise en œuvre d’une réforme systémique ne s’en heurte pas moins à plusieurs écueils de taille. D’abord, le délai de montée en charge : au moins quinze ans, selon les plus optimistes. « À ce rythme, il ne faut pas trop tarder, sauf à voir le big bang annoncé atteindre sa plénitude après 2035, autrement dit quand on n’en aura plus besoin pour gérer la bosse démographique », a ironisé Jean-Michel Charpin lors du colloque de l’UMR. Ensuite, la gouvernance du nouveau système : « Même en laissant à l’État la responsabilité d’un régime transversal de solidarité, on voit mal ce dernier confier aux partenaires sociaux la gestion d’un régime unique des droits contributifs du secteur privé Cnav-Agirc-Arrco pesant l’équivalent de six points de PIB », note Laurent Rabaté, directeur de la protection sociale de l’UIMM.

De la même façon, relève Yannick Moreau, présidente de l’éphémère Commission pour l’avenir des retraites, « la réforme systémique pose la question de l’avenir du régime des fonctionnaires ». Qu’il s’agisse de sa transformation en une véritable caisse de retraite, mais au risque de faire apparaître au grand jour l’ampleur des engagements de retraite pris, mais non encore financés, évalués à plus de 622 milliards d’euros, selon la Cour des comptes. Mais aussi de la place de pivot que le système des pensions des agents occupe dans la gestion de leurs carrières et de leurs rémunérations, qu’il faudrait alors entièrement repenser. Quant au choix d’un pilotage en points, il repose aussi sur un non-dit : celui de faire avaler plus facilement à l’opinion la couleuvre d’une baisse des rendements et des pensions, sachant que l’essentiel de la bosse démographique du papy-boom est encore à venir.

21 milliards d’euros. C’est l’évaluation du déficit des régimes de retraite à l’horizon 2020.

8,6 milliards d’euros, c’est le besoin de financement des régimes de fonctionnaires (hors régimes spéciaux) à l’horizon 2020.

Auteur

  • V. D.