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Décodages

Le capitaine Tempête de Pôle emploi

Décodages | chômage | publié le : 02.12.2013 | Stéphane Béchaux

À la barre depuis deux ans, Jean Bassères brave les éléments. Sans dévier de son cap: rendre le paquebot plus performant dans la lutte contre le chômage. Un énorme défi pour ce grand serviteur de l’État, fort en gueule et surinvesti dans sa mission.

Avec lui, pas de chichis ni de salamalecs. « Vous voulez faire un portrait de moi ? Je vous le dis tout net, ça n’a aucun intérêt. » On savait Jean Bassères franc et direct. « Cash », même, pour reprendre l’expression mille fois entendue auprès de ses interlocuteurs – hauts fonctionnaires, cadres dirigeants, administrateurs, syndicalistes. En voilà une nouvelle preuve, à peine franchi le seuil de son vaste bureau avec vue panoramique sur la porte des Lilas. Plutôt que de lui, l’homme préfère parler de son établissement, riche de 49 400 salariés et d’un gros millier de sites. Une énorme machine dont il aimerait que la presse dise, parfois, du bien. « Malgré la très forte hausse du chômage, on a toujours inscrit et indemnisé les demandeurs d’emploi dans les temps. Tout n’est pas parfait mais on fait face. Pourquoi les journalistes n’en parlent-ils jamais ? » questionne-t-il.

Pour autant personne n’a pris Jean Bassères en traître. Quand il accepte le job, il y a deux ans, il n’ignore rien des difficultés auxquelles son prédécesseur, Christian Charpy, s’est heurté. Trois ans de galère pour fusionner l’ANPE et les Assedic, deux entités que tout sépare: les locaux, les métiers, les statuts, les systèmes informatiques. Le tout en pleine explosion du chômage ! « On avait négocié la première convention tripartite dans une situation de plein-emploi, pour faire du sur-mesure. Et on s’est retrouvés au cœur de la crise. Jean Bassères, lui, au moins, s’est vu fixer des objectifs en ligne avec le contexte social », observe un des bras droits de l’ancien patron. À son arrivée, le nouveau directeur général, alors âgé de 49 ans, hérite d’une convention toute neuve. Un texte articulé autour de trois objectifs: la personnalisation de l’offre de services, son adaptation aux territoires et l’amélioration de l’organisation interne.

Des priorités que le nouveau big boss fait siennes. Sans arrière-pensées, bien que la campagne présidentielle batte son plein. En cette période d’alternance, l’ex-chef de l’Inspection générale des finances a le bon pedigree. Nommé par la droite, il a pourtant le cœur au Parti socialiste, tendance libérale. « À l’IGF, il ne cachait pas son admiration pour Pascal Lamy, l’ancien patron de l’OMC. Il est de gauche, pas sectaire et très honnête intellectuellement », témoigne un ancien de Bercy. « Il est loyal et parfaitement respectueux de l’autorité de l’État. C’est un très bon connaisseur de la sphère publique, qui a la gestion de la performance dans le sang », confirme Bertrand Martinot, ex-délégué général à l’emploi et à la formation professionnelle. Autre atout maître, sa proximité avec Michel Sapin, dont il fut brièvement conseiller technique, voilà vingt ans, au ministère de l’Économie et des Finances. Un appui ô combien précieux pour obtenir des moyens supplémentaires – il s’est vu octroyer 4 000 CDI en renfort – ou survivre à l’affaire dite du « bug SFR », marquée par la publication de chiffres du chômage erronés.

Soutenu par ses tutelles. La bible du patron ? Son projet stratégique Pôle emploi 2015, qu’il a fait adopter par son conseil d’administration, en juin 2012, au terme d’un gros travail de réflexion et de mobilisation interne. Un épais document qui bouscule les habitudes de la maison : il acte la fin du suivi mensuel personnalisé pour tous les chômeurs, promet d’adapter l’offre aux besoins des territoires, annonce des services différenciés pour les entreprises, renoue avec la spécialisation des conseillers par métier… Le plan convient parfaitement aux tutelles. « Je souscris fondamentalement à la vision stratégique que porte Jean Bassères. Il faut faire davantage de sur-mesure, et moins de traitement de masse », approuve Emmanuelle Wargon, la déléguée générale à l’emploi et à la formation professionnelle. « Les grandes orientations du plan, on les défend. Il faut déconcentrer, redonner des marges de manœuvre au niveau local pour gagner en efficacité », confirme Patricia Ferrand, administratrice cédétiste de Pôle emploi.

Sur le papier, la mise en œuvre du projet a bien avancé. À l’image de l’accompagnement différencié des chômeurs, effectif sur l’ensemble du territoire. Ou de la nouvelle offre de services à destination des entreprises, officiellement lancée mi-juin. Sauf que, dans les faits, les fruits se font attendre. « Ce plan, il faudrait le renommer Pôle emploi 2020. Car quasiment rien n’est encore concrètement redescendu au niveau du terrain », observe Bernie Billey, déléguée syndicale centrale CFDT. « La différenciation de l’accompagnement, c’est une bonne idée. Mais à condition d’en avoir les moyens. Or Pôle emploi remplit de moins en moins son rôle. Il est perçu uniquement comme une caisse qui verse des indemnités », enchérit Pierre-Édouard Magnan, délégué du Mouvement national des chômeurs et précaires. « Jean Bassères est un vrai professionnel, avec une volonté forte de faire évoluer l’institution. Mais il se heurte à des difficultés organisationnelles insurmontables car cette fusion a engendré un monstre », déplore Jean-Michel Pottier, administrateur étiqueté CGPME.

Exigeant et impatient. Au sixième étage du siège, l’ambiance n’est pas à la défaite. Mais pas plus au déni. « Sur l’indemnisation, il n’y a pas de sujet majeur. Sur le placement, si. On a déployé beaucoup de nouveaux outils cette année, dont l’appropriation est en cours. Je crois beaucoup à notre projet tout en restant prudent », confie Jean Bassères. Fin juillet, il a écrit à tous ses directeurs régionaux. « L’atteinte des résultats dépendra de la façon dont vous accompagnez les changements. Pôle emploi 2015 ne se résume pas aux déploiements techniques des chantiers et aux outils nouveaux », avertit-il. Un courrier estival au ton très sec, révélateur des fortes exigences du patron. Et de son impatience. « Pôle emploi a une culture d’organisme public, qui s’appuie sur des normes, des procédures, des référentiels, des lignes hiérarchiques. Modifier son fonctionnement va nécessiter du temps et beaucoup d’énergie », analyse François Nogué, DRH de la SNCF et président du conseil d’administration. « Les grosses organisations changent lentement, elles ont besoin d’un pilotage fort et continu », abonde Emmanuelle Wargon. Pour accompagner le changement, une « université du management » va voir le jour début 2014. « Je lui en ai fait la proposition lors de ma prise de poste. C’est un exemple de sa capacité à repérer une idée et à lui donner de la chair », précise le DRH, Jean-Yves Cribier.

Dans la maison, personne ne doute des capacités de Jean Bassères à tenir fermement la barre dans la tempête du chômage. Mais ses méthodes managériales – l’homme peut être autoritaire et colérique et n’hésite pas à chahuter ses collaborateurs directs – divisent. « À la sortie des réunions mensuelles de direction, on ne sent pas toujours les dirigeants très épanouis. Or le management par la peur ne favorise ni la remontée d’information ni la mobilisation des équipes », affirme la CFE-CGC. « Il est très exigeant et très précis. Il attend de nous que les dossiers soient très bien préparés. L’exercice n’est pas toujours facile mais il est à la hauteur de son ambition pour le service public qu’il dirige », contrebalance Florence Dumontier, directrice générale adjointe chargée des opérations.

Un procès en autoritarisme qui étonne l’intéressé. « J’ai mon caractère. Mais j’aime l’échange, le débat, je ne suis pas un méchant. Dans le service public, on peut justement bâtir des relations qui ne reposent pas sur la compétition entre personnes », assure ce pur produit de la méritocratie républicaine. Né à Perpignan dans une famille modeste, le bonhomme n’a d’ailleurs rien d’un mondain. Et tout d’un type normal, qui mange à la cantine, fréquente le club de gym interne et supporte le PSG. À l’Inspection, il avait même monté une équipe de foot pour défier celle de la Cour des comptes. Et installé une télé dans la bibliothèque pour regarder les matchs de la dernière Coupe du monde.

Adepte du lean management. Pour bâtir son équipe de direction, ce grand serviteur de l’État a puisé dans les forces vives de la maison. Seule exception, le recrutement de son ancien bras droit à l’IGF, Thomas Cazenave. Un trentenaire parti pantoufler à France Télécom, dont il a fait son numéro deux, chargé de la stratégie et des relations extérieures. « Jean Bassères est insensible aux phénomènes de cour. Mais il a besoin d’une garde rapprochée pour échanger en toute confiance », explique l’un de ses anciens disciples à l’IGF. À son arrivée, il a fait bannir du vocabulaire maison le mot « client » qu’affectionnait son prédécesseur. Mais sans s’interdire de s’inspirer des pratiques des entreprises. Il s’est ainsi adjoint les services de Capgemini pour convertir l’établissement au lean management. Objectif: rationaliser les activités pour remettre 2 000 équivalents temps plein en face des chômeurs.

Un projet violemment dénoncé par les syndicats. Des acteurs que Jean Bassères n’affectionne guère : il a beau les recevoir en bilatérales une fois par trimestre, il ne saisit rien de leurs combats. En cause, leur propension à préférer – à l’exception de la CFDT et de la CGC – le « Pôle emploi bashing » aux relations constructives. Contrairement à Christian Charpy, qui présidait tous les comités centraux d’établissement, son successeur réserve sa présence aux seuls dossiers stratégiques. Fin octobre, il a ainsi pris part à une réunion extraordinaire consacrée aux conditions de travail. Un impératif: en septembre, l’établissement a été secoué par le suicide de l’ex-directeur territorial du Rhône, en poste au siège depuis quelques mois. Un troisième drame, en sept mois, qui a marqué le grand patron. Et doit déboucher sur un audit sur les conditions de travail des cadres. Un défi pour Jean Bassères, qui doit accompagner le changement sans brusquer les troupes.

REPÈRES

Pôle emploi compte

902

agences de proximité,

146

agences spécialisées et

68

plates-formes téléphoniques ou de traitement centralisé.

REPÈRES

L’établissement emploie

45 807

équivalents temps plein,

41 211

CDI,

3 428

CDD et

1 167

contrats aidés.

Auteur

  • Stéphane Béchaux