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Décodages

Jean-François Vitoux veut fédérer la galaxie DomusVi

Décodages | management | publié le : 02.12.2013 | Éric Béal

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UN PARC RÉSIDENTIEL EN CROISSANCE

Crédit photo Éric Béal

Emplois d’avenir, formation professionnelle, dialogue social…, le président de DomusVi parie sur les grands projets RH pour fédérer les salariés de ses 205 établissements et améliorer la qualité de sa prestation aux clients. Tout en gardant une organisation juridique très décentralisée.

Préoccupant pour les comptes de la Sécurité sociale, le vieillissement de la population française est un atout majeur pour DomusVi, groupe français spécialisé dans la gestion d’établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Arrivé en janvier 2010 pour remplacer le fondateur, Yves Journel, Jean-François Vitoux a pris la présidence du directoire pour préparer la fusion de DomusVi et Dolcéa. Réalisée en février 2011, celle-ci a donné naissance au deuxième acteur français du secteur… jusqu’à la fusion annoncée de Korian et Medica. Depuis, il structure le nouvel ensemble avec méthode. Il a recruté des cadres de santé et des médecins spécialistes pour fournir à tous les établissements une capacité de diagnostic, d’élaboration et de suivi du projet de soin de chaque résident. Il multiplie les ouvertures d’établissements – 28 en trois ans – et a recruté une DRH pour améliorer la professionnalisation de ses équipes et la qualité d’accueil.

L’ouverture prochaine du capital – prévue en 2013 et reportée – devrait lui donner les moyens financiers d’investir à l’étranger. Reste à emporter l’adhésion du personnel, dans une organisation émiettée entre de multiples entités juridiques et marquée par une forte décentralisation de la gestion des ressources humaines.

1 AMÉLIORER LE BIEN-ÊTRE DES SALARIÉS

À peine arrivé à la tête de DomusVi, Jean-François Vitoux a expliqué aux cadres du siège et aux directeurs d’établissement que l’entreprise allait devoir cultiver la bienveillance à l’égard de ses salariés. Un objectif clair pour cet énarque qui a passé quelques années dans le conseil avant d’embrasser une carrière dans l’immobilier : veiller au bien-être des salariés afin qu’ils soient plus attentifs à la « bientraitance » des résidents. « Cela ne se voit pas directement dans les comptes de résultat mais cela met l’entreprise en position d’aller de l’avant », précise Jean-François Vitoux. Chargée de traduire cet objectif, Céline Fabre, la DG adjointe RH et organisation, s’est retrouvée devant une difficulté. DomusVi est constitué d’entreprises juridiquement indépendantes. Les 9 500 salariés – agents de service hospitalier, aides-soignants, infirmiers ou animateurs – travaillent pour l’une des 198 filiales, dont la plupart ne couvrent qu’un établissement comptant souvent moins de 50 salariés. « Chaque résidence est une entité juridique distincte, qui signe une convention tripartite avec les autorités de contrôle que sont l’agence régionale de santé et le conseil général, explique-t-elle. Au niveau du groupe, nous avons plutôt fait le pari de promouvoir de grands projets capables de fédérer l’ensemble des salariés en lien avec les valeurs du groupe que sont l’audace, l’intégrité et le respect. »

Exemple avec les agents de service hospitalier, dont le métier est moins reconnu que celui des soignants : en juillet, lorsque DomusVi a signé une convention avec l’État pour accueillir 500 emplois d’avenir sur trois ans, ils ont eu la possibilité de devenir tuteurs, voire de recommander quelqu’un pour un recrutement. Une valorisation de leur statut qui a été apprécié en interne. La santé au travail et la pénibilité sont aussi au programme. Des discussions au niveau du groupe ont commencé. Objectif : fixer un cadre commun tout en laissant les directions et les représentants du personnel de chaque Ehpad aménager des mesures adaptées à leur situation. En attendant, des expériences ont été tentées dans certains établissements. Des partenariats ont été signés avec des écoles d’ostéopathie pour offrir au personnel des séances gratuites. Les psychologues et les ergothérapeutes au service des résidents peuvent également réaliser un suivi des salariés sur leur demande.

2 DÉVELOPPER LES COMPÉTENCES

Le choix d’une gestion très décentralisée n’est pas sans risques. En septembre, l’agencerégionale de santé (ARS) Rhône-Alpes a fermé temporairement l’établissement de Bessenay (Rhône), pointant des erreurs de piluliers, des sonnettes restées sans réponse, une odeur d’urine et les plaintes répétées des familles. Une mesure exceptionnelle pour cet Ehpad qui connaissait déjà des difficultés lorsqu’il a été repris par DomusVi en 2011. « Nous avons peut-être trop protégé la directrice du site sans mesurer la réalité vécue par une partie des salariés », a reconnu, dans la presse régionale, Bertrand Delannoy, le directeur général délégué du groupe. L’ARS a également déploré un manque de personnel diplômé ainsi qu’un turnover récurrent et des CDD en grand nombre. De source judiciaire, des plaintes pour harcèlement ont été déposées par des salariés de l’établissement en 2012 et 2013. Des faits que Jean-François Vitoux et l’équipe de direction ne contestent pas, même s’ils estiment que la réaction de l’ARS est brutale et exagérée.

Pour autant, la direction de DomusVi n’a pas attendu cette fermeture pour faire le constat que la qualité des prestations de ses établissements repose sur les épaules de leur directeur et sur le savoir-faire de ses collaborateurs. « En 2012, le total des dépenses de formation a atteint 2,31 % de la masse salariale », précise Maud Valette, directrice des emplois et carrières. L’an dernier, 7 200 salariés ont suivi une formation. Et quelque 650 ont terminé une formation diplômante. « Il y a de réels efforts. Avant l’arrivée de Jean-François Vitoux, il y avait un plan bidon, non négociable, avec beaucoup de formations maison. Aujourd’hui, nos propositions sont entendues et les salariés peuvent progresser dans leur carrière », indique Michèle Nicolas, déléguée syndicale centrale CGT.

Les encadrants ne sont pas oubliés. Responsables d’établissement et cadres infirmiers nouvellement nommés reçoivent une formation d’une semaine au siège. Les directeurs d’établissement sont choyés. « J’assiste à une réunion d’information et d’échange avec mes collègues de la région tous les deux mois. Nous bénéficions aussi d’un séminaire annuel national avec mes collègues des autres régions. Et nous recevons des informations régulières par l’intermédiaire d’une lettre électronique », explique Nellie Pépin, directrice de La Madeleine, un Ehpad situé à Lille. « Nous avons également la chance d’être accompagnés par un directeur opérationnel. Je suis nettement plus secondée que lorsque je dirigeais une maison de retraite associative », estime Hélène Paris, directrice de la Résidence Les Lys à Précy-sur-Oise (Oise).

3 FIDÉLISER LES ÉQUIPES

Les efforts consentis en matière de formation ne sont pas toujours suffisants pour fidéliser les soignants. Notamment en Ile-de-France où les aides-soignants et les infirmiers ne restent pas plus de trois à cinq ans dans un établissement en moyenne. « Une fois qu’ils ont fait le tour d’une spécialité, ils cherchent à découvrir d’autres domaines, indique Frédéric Aïello, directeur de la résidence Tiers Temps à Suresnes. Chez nous, ils approfondissent leurs compétences par rapport aux projets de vie et de soins des patients. En clinique, ils réalisent plus de soins et de gestes techniques. » Et d’expliquer que les outils pour garder les meilleurs ne sont pas légion. « La lettre d’information du groupe présente les postes libres dans les autres établissements pour faciliter le maintien des salariés dans le groupe. J’encourage également le personnel à s’inscrire dans des formations afin d’évoluer. »

En matière de salaire, la marge de manœuvre des directeurs d’établissement est étroite. « La masse salariale d’une résidence représente 48 % du chiffre d’affaires. Si l’équipe de management d’un établissement dérape, son budget vire rapidement au rouge », précise Jean-François Vitoux. Rémunérations et avantages sociaux ne sont pas identiques d’une région à l’autre, voire d’un établissement à l’autre. La filiale Éleusis, qui rassemble cinq Ehpad spécialisés dans l’accueil de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, propose un treizième mois et la participation à ses quelque 400 salariés. Mais la grande majorité des salariés n’a ni l’un ni l’autre. Jean-François Vitoux est favorable à la mise en place d’un intéressement pour niveler ces différences. « Le système compenserait l’absence de participation dans la plupart des établissements mais il devrait instaurer un écrêtement de la participation là où elle existe. »

4 BOOSTER LE DIALOGUE SOCIAL

Jusqu’à fin 2011, une telle négociation n’était pas envisageable, faute d’instance commune à l’ensemble du groupe. Les discussions portant sur les salaires se déroulaient de manière autonome dans chaque filiale. C’est toujours le cas aujourd’hui, mais la direction a répondu à la demande de la CGT de constituer un comité de groupe pour aborder les problèmes d’emploi et de formation.

Cette instance a déjà commencé à discuter de l’accueil de salariés handicapés, de la gestion des seniors et de la pénibilité. Les partenaires sociaux n’ont pas abouti à un accord formel pour le moment, mais les représentants syndicaux se montrent optimistes. « La direction a adopté une attitude différente depuis l’arrivée de Jean-François Vitoux. Avant, nous étions obligés de bloquer un établissement pour être entendus », note Chantal Lagréé, déléguée CGT.

Tout n’est cependant pas lié au dialogue social. « La gestion des résidences va aussi s’améliorer le jour où nous aurons réussi à réhabiliter les fonctions d’agent de service hôtelier, estime Jean-François Vitoux. Lorsque les aides-soignants fatigués par l’âge seront convaincus que les agents de service hôtelier participent comme eux à la bientraitance des résidents, ils accepteront mieux de se reconvertir. »

5 SE DIVERSIFIER EN FRANCE, EN EUROPE ET EN ASIE

L’avenir de DomusVi passera par la diversification. Jean-François Vitoux en est persuadé. Il espère ouvrir le capital de l’entreprise à d’autres partenaires pour pouvoir investir à l’étranger. En Europe, comme ses proches concurrents, ou bien en Asie, où la population âgée va croître considérablement. « En France, l’augmentation de la population dépendante connaît un arrêt relatif pour des raisons démographiques. Cela reprendra dans huit à dix ans, mais en attendant nous devrons aller chercher de la croissance à l’étranger. Principalement dans les pays où le marché des résidences n’est pas encore bien organisé », précise-t-il. Autre avantage, pouvoir offrir des perspectives de carrière à l’étranger aux directeurs d’établissement. « Ce sera un argument de plus pour garder les plus dynamiques d’entre eux. »

Pour l’heure, le président du directoire de DomusVi espère pouvoir se lancer dans une diversification plus hexagonale. Début février 2013, Yves Journel, l’actionnaire principal, a fait l’acquisition de Nurse Alliance. Cette société qui emploie 2 700 personnes dans les soins à domicile pour personnes âgées a été intégrée à DomusVi Domicile, propriété d’Yves Journel. Quarante-cinq agences aux couleurs du groupe sont disséminées dans 26 départements et l’expansion du réseau ne fait que commencer. De quoi répondre à l’augmentation des besoins sans attendre une autorisation administrative pour ouvrir un Ehpad. Parallèlement, DomusVi gère une dizaine de résidences services et quelques Ehpa en France, des appartements et maisons de retraite non médicalisés. Jean-François Vitoux souhaite clairement le développement de ces activités. « Nous avons besoin d’investir tous les domaines de notre secteur d’activité pour répondre aux sollicitations des pouvoirs publics et au parcours de santé. »

EN BREF

Le deuxième opérateur privé de maisons de retraite en France, derrière Orpea, dispose de 15 500 places d’accueil de personnes âgées dans 205 établissements (Ehpa et Ehpad) et compte 9 500 collaborateurs: agents de service hospitalier, aides-soignants, infirmiers, médecins, psychologues… Mais la fusion des numéros trois et quatre du secteur, Medica et Korian, annoncée le 18 novembre, devrait faire naître un mastodonte, numéro un européen, pesant près de 600 établissements et 57 000 lits (29 000 en France),

Auteur

  • Éric Béal