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Décodages

Chez Mobalpa et Schmidt, des salariés aux petits oignons

Décodages | entreprise | publié le : 02.12.2013 | Nicolas Lagrange

Salaires, intégration des jeunes, pénibilité…, les deux fabricants français traitent plutôt bien leurs salariés. Même si, dans la gestion des carrières, le leader Schmidt est un peu en retard sur son challenger.

Un actionnariat familial, des effectifs équivalents, un positionnement moyen et haut de gamme, une croissance soutenue, un ancrage territorial fort…, l’alsacien Schmidt et le savoyard Mobalpa cumulent les points communs. Ainsi, Anne Leitzgen, présidente de la Société alsacienne de meubles (Salm), est la petite-fille du fondateur de l’entreprise, créée en 1934 et qui comprend aujourd’hui les trois enseignes de cuisines : Schmidt, Cuisinella et EMK. Bernard Fournier, P-DG du groupe éponyme, est le petit-fils du fondateur de cette société créée en 1907 et qui regroupe aussi trois enseignes de cuisines, Mobalpa (pour Mobilier des Alpes), Pérène et SoCoo’c. Les deux PME ont grandi rapidement, ouvrant chaque année des dizaines de points de vente, d’abord dans l’Hexagone puis en Europe. Toutes deux bénéficiaires, elles misent beaucoup sur l’innovation, l’automatisation et la diversification (meubles de salles de bains et de rangement). Et elles ont choisi de concentrer leurs sites de production dans leur département d’origine : trois pour la Salm (Schmidt) dans le Haut-Rhin, quatre pour Fournier (Mobalpa) en Haute-Savoie.

Avec son logo noir et rouge sous bandeau gris, Schmidt est le numéro un français. « Les salariés ont une grande confiance dans l’entreprise, relève Thierry Knecht, délégué syndical CFTC. Dans un bassin d’emploi plutôt sinistré, les actionnaires familiaux continuent d’investir. » De fait, le turnover dépasse à peine 2 % (4 % pour Mobalpa). Mais le climat social, apaisé durant des décennies, s’est fortement dégradé début 2012, avec une grève très suivie. « La direction avait mis l’accent sur la forte hausse des profits, mais ne voulait pas mieux les partager, déplore Thierry Knecht. L’intersyndicale, qui regroupe la CFTC, la CGT et la CFE-CGC [mais pas la CFDT, NDLR], a fini par obtenir 4 % d’augmentation collective. Depuis, la direction est plus à l’écoute et le dialogue social a repris des couleurs. »

Grille évolutive. Chez le challenger Mobalpa, « il y a des tensions récurrentes au sujet du partage des richesses et des mouvements sociaux de temps à autre, dans le cadre d’un rapport de force classique, mais les relations sociales sont institutionnalisées et s’appuient sur de nombreux outils », analyse Éric Lafrasse, DSC CFDT (70 % des suffrages). Le syndicat, très actif depuis près de vingt ans et fort de 150 adhérents, a négocié une classification des emplois et une grille de rémunération fortement évolutive pour toutes les catégories de personnel. « Un collaborateur qui démarre un peu au-dessus du smic voit son salaire progresser de plus de 15 % en vingt-quatre mois, sauf incident de parcours », indique le DRH, Sylvain Brisedou. Le salaire moyen des ouvriers (plus de 50 % des effectifs) s’élevait fin 2012 à 2 054 euros brut, primes comprises, un niveau sensiblement supérieur à celui du secteur de l’ameublement. Par ailleurs, la prime d’ancienneté, versée après trois ans de présence, est calculée sur le salaire réel, une modalité plus avantageuse que chez Schmidt. « Les Etam et les cadres sont mieux rémunérés chez Mobalpa, mais Schmidt nous devance désormais chez les ouvriers d’environ 100 euros par mois, assure Éric Lafrasse, par ailleurs négociateur de branche, grâce à des NAO fructueuses depuis dix ans environ, alors que nous avons à peine obtenu le maintien du pouvoir d’achat ces dernières années. Or le coût de la vie est très élevé en Haute-Savoie, en raison de la proximité de la Suisse et des stations de sports d’hiver. »

En matière d’épargne salariale, Mobalpa possède une longueur d’avance. Dès 1967, avant même le vote de la loi, le patron du groupe attribue une enveloppe de participation aux bénéfices, qu’il distribue avec le comité d’entreprise tout juste créé aux quelque 90 salariés, soit en moyenne 650 euros pour chacun (en valeur actualisée). Le cumul participation-intéressement représente aujourd’hui un gros mois de salaire en moyenne et la prime de partage des profits a atteint 1 200 euros en 2011 et 2012. Chez Schmidt, un cumul participation-intéressement équivalent mais pas de prime de partage des profits. Petite avancée depuis 2010 : les salariés qui placent 200 euros sur le Perco bénéficient d’un abondement identique.

Mais c’est surtout dans la gestion des ressources humaines que Mobalpa a pris l’ascendant. En 1997, l’entreprise a mis en place un passeport formation individuel, sorte de journal de bord professionnel, bien avant sa création officielle par la loi de 2009. « Nous travaillons beaucoup sur l’employabilité. Nous avons établi des descriptifs détaillés pour tous les postes, regroupés en familles d’emplois, avec cinq niveaux de maîtrise pour chacun, précise Sylvain Brisedou, DRH de Fournier depuis dix-huit ans. Chaque année, 10 à 15 % des agents de production changent de poste. Nous encourageons aussi la polyvalence, qui concerne près de 100 agents de production. Ceux qui maîtrisent cinq postes ou plus dans deux familles d’emplois progressent dans la grille des salaires. » En outre, depuis 2009, 21 salariés ont obtenu un certificat de qualification professionnelle interbranches, reconnu dans 14 branches. Depuis 2011, des formateurs accompagnent chaque nouvelle prise de poste, assortie d’une période probatoire de un à trois mois, avec droit de retour. Pour les nouveaux arrivants en CDI, CDD ou intérim, les managers constituent une bibliothèque de compétences afin de mesurer l’adéquation entre celles qui sont requises et celles qui sont réellement maîtrisées et de déterminer un accompagnement éventuel. Enfin, depuis 1999, trois promotions d’une dizaine d’ouvriers ont pu suivre une formation de dix-huit mois pour prendre un poste d’encadrement à moyen terme.

Évolutions professionnelles. La Salm favorise, elle aussi, le passage au statut cadre, mais le dispositif s’adresse principalement à des techniciens ou agents de maîtrise. Ces salariés bénéficient de sept journées de formation collective et de cinq à six séances de coaching sur un an. « Nous avons de bons outils, mais nous devons nous améliorer sur le développement RH », estime Patrice Casenave, la DRH, arrivée en avril 2013, après une vacance du poste pendant deux ans. « L’une de mes priorités est de mettre en place un référentiel de compétences avec des emplois repères d’ici à 2015. Nous devons identifier les évolutions des métiers, accompagner les équipes, notamment au regard de l’automatisation croissante, et dessiner des perspectives de carrière lisibles, cohérentes et systématiques. Nous faisons également évoluer le recueil des besoins de formation pour le mettre davantage en résonance avec la stratégie. » « Les possibilités d’évolution existent mais sont peu formalisées », estime David Vagner, DS CFDT. Seulement 5 % de l’effectif a bénéficié d’une promotion en 2012. D’où la nécessité pour la DRH de partager davantage les synthèses des évaluations individuelles avec l’ensemble des managers. Même chose pour les plans de succession : « Ils sont plutôt bien faits, mais le fonctionnement est empirique et ne donne pas encore lieu à des plans d’action, estime Patrice Casenave. »

Autre axe de développement chez Salm-Schmidt, l’amélioration de la « posture managériale ». « Anne Leitzgen souhaite un encadrement exemplaire, insiste la DRH. Ce qui a motivé la mise en place de groupes de travail depuis trois ans, avec le codir puis une partie de l’encadrement, pour favoriser un management plus collaboratif, privilégiant la délégation et l’autonomie. Nous devons maintenant faire évoluer nos pratiques afin que chacun s’approprie cette vision. » Depuis 2010, Fournier a formé tous ses managers durant quatre jours et les sensibilise chaque année durant une journée supplémentaire. Toutes catégories confondues, la formation chez Mobalpa représente près de 3 % de la masse salariale, contre 2,7 % chez Schmidt. Les deux enseignes s’impliquent beaucoup dans l’intégration des jeunes. Pour l’alternance, avantage à Schmidt, avec un taux de 6,7 % des effectifs. L’entreprise veut renforcer les liens avec les écoles pour améliorer la transformation des contrats en CDI. De son côté, Mobalpa ne compte que 2 % d’alternants, même s’il a noué de nombreux partenariats école-entreprise, accueille plus de 60 stagiaires par an et effectue un vrai travail d’accompagnement.

Pour endiguer l’absentéisme (5,15 % en 2012), caractérisé par de nombreux arrêts de courte durée chez les ouvriers, Schmidt a mis sur pied des groupes de travail avec des opérateurs, encadrants, experts médicaux et sécurité, représentants du personnel. Une initiative qui s’ajoute à une évaluation progressive de l’ergonomie des postes de travail depuis 2010. « On commence à voir les premiers résultats positifs cette année », affirme la DRH. « Dans le cadre des négociations en cours sur le contrat de génération, nous souhaitons réduire le travail posté à partir de 55 ans sans que les salariés perdent les primes de contraintes horaires », indique Thierry Knecht pour la CFTC.

Adaptations ergonomiques. Chez Fournier, « nous faisons régulièrement le point avec le directeur de la production, les managers et le médecin du travail sur les situations difficiles et nous parvenons toujours à trouver des adaptations ergonomiques ou des solutions alternatives », relève le DRH, qui loue la qualité de la collaboration entre les équipes de production et les RH. « Des solutions ne sont pas toujourstrouvées », tempère son interlocuteur CFDT. Un diagnostic pénibilité a été réalisé en 2011 dans toute l’entreprise, avec des fiches individuelles pour permettre aux salariés une éventuelle retraite anticipée. Dans le cadre du nouvel accord de GPEC signé fin septembre, incluant le contrat de génération, le groupe a mis en place un abondement du compte épargne-temps pour favoriser le passage à temps partiel des plus de 55 ans ou leur départ anticipé. L’accord prévoit aussi une formation de trois jours sur la transition emploi-retraite. Et il vise une proportion de 15 % de seniors d’ici à trois ans, contre 13,6 % aujourd’hui.

Au chapitre de la qualité de vie au travail, Mobalpa a financé des séances d’ostéopathie pour 400 salariés sur les quatre dernières années. Pour sa part, Schmidt a investi dans une crèche d’entreprise qui accueille 28 enfants entre 7 et 19 heures. Puis, en 2012, dans une halte-garderie le mercredi et durant les congés scolaires pour les enfants de 4 à 6 ans. Par ailleurs, des négociations sur le télétravail sont sur le point de démarrer. « Le développement du travail à distance répond aux aspirations de nombreux salariés et peut notamment permettre de réduire les déplacements des techniciens et des cadres entre les sites français et allemands du groupe », assure le responsable cédétiste David Vagner.

Chez Fournier, le DRH souhaite surtout faire connaître les nombreux accords signés (pénibilité, RPS, GPEC, égalité professionnelle…) et les déployer. Il publie une lettre d’information et diffuse aux nouveaux entrants un document récapitulatif sur la politique sociale. Si son concurrent Schmidt multiplie aussi les projets RH, Mobalpa conserve une petite avance dans le domaine social.

Mobalpa (Fournier)

EFFECTIF

1 100

salariés (marques Mobalpa, Pérène, SoCoo’c).

Données 2012 pour l’ensemble du groupe.

CHIFFRE D’AFFAIRES

251 MILLIONS d’euros.

LIEUX DE VENTE

600

magasins concessionnaires.

Schmidt (Salm)

EFFECTIF

1 500

salariés (marques Schmidt, Cuisinella, EMK).

Données 2012 pour l’ensemble du groupe.

CHIFFRE D’AFFAIRES

389

MILLIONS d’euros.

LIEUX DE VENTE

670

magasins concessionnaires.

Pas d’harmonisation pour les vendeurs

Schmidt et Mobalpa vendent leurs cuisines à des concessionnaires indépendants, qui les revendent ensuite aux particuliers.

Ces investisseurs gestionnaires ont une grande latitude dans le choix des règles sociales applicables à leur personnel, rémunéré sur la base d’un fixe et d’un gros variable, dont les modalités sont très diverses. En effet, les vendeurs dépendent d’une convention collective spécifique toujours pas étendue, celle des magasins prestataires de services de cuisine à usage domestique. Son extension permettrait à près de 13 000 salariés, toutes enseignes confondues, de bénéficier d’un cadre juridique et social plus protecteur, en limitant le turnover, très élevé, et les distorsions de concurrence. Les sociétés Salm et Fournier mettent à la disposition de leurs magasins de nombreux outils informatiques, notamment pour dessiner les cuisines, passer commande et connaître les délais de livraison. Elles assurent aussi, en appui de leurs concessionnaires, le recrutement et la formation des vendeurs, 3 000 pour la première et 1 550 pour la seconde. L’alsacien Schmidt forme ses nouveaux vendeurs dans son centre de formation, au siège et en région, pendant cinq semaines et ses responsables de magasin durant trois mois et demi. Depuis près de dix ans, l’entreprise leur propose des modules d’e-learning sur ses nouveaux produits. Mobalpa possède aussi son centre de formation au niveau du siège et détient 25 magasins pour expérimenter ses concepts et travailler au meilleur accompagnement possible pour les concessionnaires.

Auteur

  • Nicolas Lagrange