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Licenciements collectifs : tout sauf le procès

À la une | publié le : 02.12.2013 | Anne-Cécile Geoffroy

Sécuriser les procédures et éviter le recours au juge : les objectifs visés par les partenaires sociaux puis la loi perturbent les acteurs, qui voient poindre lourdeurs administratives, jeux d’influence et… contentieux.

On essuie les plâtres ! » Cet été, Mohand Chekal, secrétaire CGT du comité d’entreprise de Canon France, a dû réapprendre toutes ses gammes en matière de PSE. En présentant son projet le 2 juillet 2013, au lendemain de l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions sur le PSE, Canon a parié sur la loi qui entend sécuriser les procédures de licenciement collectif pour motif économique. « Depuis le 8 novembre 2012, on savait que la direction voulait supprimer plus de 450 emplois. Elle a attendu la loi car elle fixe des délais de consultation du CE en fonction du nombre de postes supprimés pour négocier le PSE. Pour nous, c’est quatre mois. La direction est certaine de boucler la procédure d’information-consultation le 21 décembre. Dans les délais fixés par Canon Europe à la France. » à cette date, ce sont les équipes de Laurent Villebœuf, le Direccte Ile-de-France, qui auront la « main ». Car, désormais, l’administration du travail a quinze jours pour valider les accords majoritaires trouvés entre direction et syndicats sur le contenu d’un PSE, ou vingt et un jours pour homologuer un plan unilatéral de l’entreprise. Des nouvelles règles qui chamboulent les stratégies des acteurs qui, pour le moment, tâtonnent.

Avec la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013, les élus du comité d’entreprise perdent du pouvoir au profit des organisations syndicales. Certes, on peut retrouver les mêmes syndicalistes dans toutes les instances, mais ce n’est pas une règle d’airain. Or l’idée est bien de s’appuyer sur ceux qui négocient et, par ricochet, d’éviter le recours au juge. « Sur les quelque 170 procédures engagées depuis le 1er juillet, hors procédures collectives [du type redressement judiciaire], près de 75 % sont entrées dans une vraie dynamique de négociation. C’est un bon signe », note Pierre-André Imbert, conseiller technique au ministère du Travail.

ÉLUS DÉPOSSÉDÉS. Chez Darty Ile-de-France ou Sodexo, syndicats et direction sont parvenus à s’entendre sur le contenu du PSE en signant un accord majoritaire. Une petite révolution pour les élus du personnel qui se sentent dépossédés, même s’ils sont consultés tout au long de la procédure. Chez TUI France, impossible pour les organisations syndicales d’imaginer signer un accord sur un PSE. Depuis 2002, c’est le huitième du genre chez le tour-opérateur. Le PSE de trop pour Lazare Razkallah, secrétaire du comité d’entreprise et délégué syndical CGT. « La nouvelle loi joue en défaveur des élus du personnel. Auparavant, la direction devait recueillir l’avis du CE pour mettre en place son PSE. On utilisait souvent cette arme pour améliorer les conditions de départ. Aujourd’hui, elle n’existe plus. Le 11 décembre, quelle que soit notre position, l’avis sera réputé rendu. » Pour Pascal Delmas, délégué syndical CFDT chez Sanofi-Aventis R & D à Toulouse, les nouvelles règles freinent surtout le recours aux juges durant la procédure. « Nous pouvons prendre le temps de la négociation afin d’obtenir des informations complémentaires pour les réunions suivantes avant de saisir un juge. Hier, nous serions allés devant la justice en cours de procédure. » « C’est une des grandes avancées de cette loi, estime Franck Raimbault, le directeur juridique d’Air France. Il ne reste plus rien du contentieux de la procédure et de ce qui pouvait paralyser durablement un PSE. »

RISQUE DE CONTENTIEUX. Hubert Flichy, avocat associé chez Flichy Grangé Avocats, se montre moins optimiste. « Certes, on aura moins de contentieux dans la première phase de mise en route du PSE, mais à la fin, même en cas d’homologation de la Direccte, il y a toujours un risque de condamnation. » L’avocat Sylvain Niel pronostique, lui, de nouveaux contentieux sur les délais préfixes. « Le juge judiciaire n’est pas complètement sorti du jeu. Si les organisations syndicales et les élus s’estiment mal informés, ils peuvent toujours le saisir et ralentir la procédure. » Comme chez Canon. Les élus du CE ont bien tenté une procédure en référé devant le tribunal de grande instance de Nanterre en septembre, considérant que l’information-consultation du CE était entachée d’irrégularité. Ils se sont fait dé bouter. La juge les a renvoyés devant le tribunal administratif. La CGT ne désarme pas et fait appel du jugement à Versailles. Toute la question que se posent les représentants de salariés est de savoir si on peut aller devant le juge judiciaire en cours de procédure. « On se heurte à un problème d’interprétation, note Alexandra Soumeire, avocate au barreau de Paris. Si le législateur avait voulu freiner l’accès au juge au cours de la procédure, ce serait contraire au droit à un procès équitable et à un recours effectif sanctionnés par la Convention européenne des droits de l’homme. »

En confiant aux Direccte la validation/homologation des accords ou des plans unilatéraux, la loi renforce considérablement le pouvoir de l’administration. Les inspecteurs du travail décortiquent le contenu de l’accord, vérifient le respect des procédures d’information des élus, évaluent les reclassements proposés au regard des moyens de l’entreprise ou du groupe dont elle dépend mais aussi apprécient la situation économique du territoire où les emplois sont supprimés. « C’est le retour à l’autorisation administrative de licenciement, tempête l’avocat Sylvain Niel. Certaines unités territoriales de Direccte nous expliquent qu’elles valideront les accords si les salariés partent avec un CDI ou un CDD de plus de six mois, si le projet de création d’entreprise est viable au regard des compétences du salarié volontaire ou encore si le candidat au départ bénéficie d’une formation de reconversion tellement dense qu’il ne peut pas travailler en parallèle. à ce train-là, mes clients vont vite revenir à des plans de licenciements secs ! »

Depuis l’été, l’administration a déjà refusé au moins deux homologations de plans unilatéraux et retoqué une validation d’accord sur une question de procédure. Sur le terrain, on assiste surtout à une course à l’échalote des élus du personnel et de l’entreprise auprès des inspecteurs du travail. « Chacun essaie de convaincre l’administration du bien-fondé de ses positions et de ses arguments, reconnaît Lazare Razkallah chez TUI France. Je fais remonter à la Direccte le moindre incident de procédure puisque l’homologation portera en partie sur ce critère. » Un jeu d’influence qui n’est pas toujours très sain et qui, surtout, ne favorise pas le contradictoire. « C’est un déplacement du rôle du juge auprès de l’administration, dommageable car, devant la Direccte, aucune procédure contradictoire n’est prévue », estime Alexandra Soumeire. « Désormais, la Direccte joue aussi un rôle de tiers de confiance, défend Pierre-André Imbert au ministère du Travail. Le nouveau dispositif permet, pendant la procédure de consultation, de ramener les acteurs autour de la table. » à condition d’être sur la même longueur d’onde…

On assiste à une course à l’échalote de l’entreprise et des élus du personnel auprès des inspecteurs du travail

Chez TUI France, malgré l’absence de négociation sur le PSE, les élus du CE ont réussi à améliorer les premières propositions de l’employeur en gonflant un peu la durée du congé de reclassement des plus de 50 ans. Chez Canon, l’ambiance était plus tendue début novembre. Alors que la direction ne veut plus négocier, le comité d’entreprise continue à faire des contre-propositions pour améliorer le sort des salariés. Et entend bien aller au rapport de force s’il le faut. Au siège de la CGT à Montreuil, c’est bien tout le problème de cette nouvelle loi. « Elle place d’emblée les élus et les organisations syndicales dans des discussions postlicenciements. On ne parle que de reclassement et plus du tout de sauvegarde de l’emploi », pointe Jean-Pierre Gabriel, responsable du service juridique de la CGT.

PAS DE MOYENS EN PLUS. Pour faire face à cette nouvelle mission, les effectifs des Direccte n’ont pas été renforcés. 85 % des PSE faisaient déjà l’objet d’une lettre d’observation des inspecteurs du travail. Ces derniers devront davantage examiner la procédure. Le ministère du Travail a également prévu un plan de formation conséquent pour préparer les équipes. Pour l’avocate Marie-Laure Dufresne-Castets, « on met une telle charge sur le dos des Direccte que c’est une façon de tuer le contrôle ». Frédéric Géa, professeur agrégé de droit privé à l’université de Lorraine, nuance : « L’administration retrouve un vrai pouvoir. Le contrôle pourra avoir une réelle consistance… ou pas. Seule l’histoire le dira. C’est à partir de la suppression de l’autorisation administrative de licenciement réclamée par le patronat de l’époque que la chambre sociale de la Cour de cassation a créé une obligation générale de reclassement des salariés et a conféré au PSE une portée que naguère il n’avait pas. » Prudence donc…

Pour les détracteurs de la loi de sécurisation de l’emploi, les partenaires sociaux, Medef en tête, ont fait fausse route en réclamant le retour des Direccte et du juge administratif dans les procédures de licenciement. Car, désormais, la procédure devant les Direccte sera étudiée par le juge administratif. Ce dernier n’est pas le juge naturel du travail et des relations sociales, déplorent en chœur les avocats, qui vont devoir se replonger dans leur droit administratif et se familiariser avec ce juge qu’ils connaissent de loin. Pour Patrick Quinqueton, conseiller d’État, « tout ceci est un mauvais procès. Le juge administratif intervient dans le licenciement des élus du personnel mais aussi sur les arrêtés d’extension des conventions collectives et des accords collectifs. Il connaît donc le droit du travail ». Beaucoup soulignent aussi que le Medef aurait parié sur un juge réputé accommodant pour écarter définitivement des PSE le juge judiciaire, plus imprévisible. « Penser que le juge administratif est plus conciliant que le juge civil est une erreur », souligne Pierre Lyon-Caen, avocat général honoraire à la Cour de cassation (voir son interview page 24).

UN JUGE ADMINISTRATIF PLUS MODÉRÉ. Avocats et magistrats sont nombreux à estimer que sa culture n’est pas très éloignée de celle de ses collègues du social, en plus modérée. à leurs yeux, le juge administratif garde à l’esprit que, dans un pays, une administration doit continuer à fonctionner sans chercher à la mettre dans des situations inextricables. « Tout cela nous renvoie à des débats qui existaient dans les années 1970, s’amuse Frédéric Géa. à l’époque, la stratégie de certaines organisations, notamment la CFDT, était de parier sur la chambre criminelle de la Cour de cassation afin de pousser sa chambre sociale à évoluer par le jeu des divergences de jurisprudence. » On peut penser que le Conseil d’État et la Cour de cassation trouveront des solutions harmonieuses pour le bien du justiciable. Pour Patrick Quinqueton, « le Conseil d’État a pour principe de ne pas diverger, dans la mesure du possible, avec la jurisprudence de la Cour de cassation et inversement. Ce qui n’était pas vrai il y a seulement dix ans ».

Ce qui fâche, c’est le fait que le motif économique des PSE ne sera plus analysé que de façon étroite par le juge judiciaire. Toute une construction jurisprudentielle établie depuis quinze ans s’écroule. La contrepartie de cette mise à l’écart du juge judiciaire serait de tarir le contentieux et de permettre aux entreprises d’être plus au clair sur la pertinence de leur PSE. Mais tout reposera du coup sur la rigueur du juge administratif. Celui-ci aura trois mois pour rendre sa décision. Des délais jamais tenus, pour certains avocats. Pourtant, selon le Conseil d’État, le délai moyen de jugement dans les tribunaux administratifs est en baisse depuis 2011, à moins de dix mois. « Les décisions du juge administratif coûtent souvent cher, ajoute l’avocat Hubert Flichy. En cas d’annulation de l’homologation, on pourra plaider l’erreur de l’administration, faire valoir la responsabilité de l’État devant le Conseil d’État. Mais pendant ce temps, il faudra réintégrer tout le monde. Et il peut se passer cinq à six ans avant que le Conseil d’État se prononce. » Pas sûr que les entreprises aient gagné au change

La réparation aux prud’hommes loin d’être réglée

La loi de sécurisation de l’emploi a accouché d’un référentiel de dommages et intérêts dans le cadre de la conciliation aux prud’hommes. Concrètement, un barème prévoit les indemnités que peut demander un salarié en fonction de son ancienneté dans l’entreprise. La fourchette va de deux mois de salaire lorsque le salarié a moins de deux ans d’ancienneté à 14 mois de salaire au-delà de vingt-cinq ans d’ancienneté. Objectif : donner aux conseils de prud’hommes (CPH) un outil pour juger vite et permettre aux salariés de ne pas attendre des années pour obtenir réparation d’un préjudice. « Cette disposition est une absurdité. Elle ne sert à rien car le barème se trouve en deçà des minima légaux, raille Pierrick Villette, conseiller au CPH de Paris. Au mieux, ça peut éviter que deux conseillers prud’homaux pas très bons valident une conciliation inférieure à ce que prévoit le Code du travail. » Dans la Semaine sociale Lamy (n° 1592), Steve Doudet, avocat au barreau de Marseille, estime que « cette disposition relève davantage de l’incantation des partenaires sociaux et du législateur que du fonctionnement effectif des conseils de prud’hommes ». L’avocate Alexandra Soumeire renchérit : « C’est un coup d’épée dans l’eau. Pas un employeur n’est venu me demander une conciliation sur la base de ce barème. Et ce n’est pas cette décision qui permettra de désen gorger les CPH ! D’autres dispositions auraient été plus utiles, comme obliger l’employeur à justifier en premier les causes du licenciement. » Ou encore fournir aux CPH des outils de travail. Le CPH de Paris dispose de 10 codes pour plus de 800 conseillers prud’homaux, et la dizaine d’ordinateurs n’est même pas connectée à la Toile.

170

procédures de PSE ont été engagées depuis le 1er juillet, hors procédures collectives (du type redressement judiciaire).

75 %

d’entre elles ont donné lieu à des négociations entre syndicats et directions d’entreprise.

Source : ministère du Travail.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy