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La fonction publique met les bouchées doubles

Dossier | publié le : 02.11.2013 | Adeline Farge, Sabine Germain, Rozenn Le Saint

État, collectivités territoriales et secteur hospitalier multiplient les initiatives pour améliorer l’insertion de travailleurs handicapés dans leurs services. Avec près de 4,5 % de taux d’emploi, les progrès sont réels, mais il reste des freins à lever.

Embauchée depuis 1985 à la mairie de Poitiers comme aide-ménagère chez les particuliers puis à la ludothèque, Marie-Odile a vu sa carrière bouleversée quand elle a découvert qu’elle était atteinte de sclérose en plaques. Après un concours interne et une formation, Marie-Odile est employée à la médiathèque et lit des contes dans les écoles. Service de véhicules à sa disposition, prise en charge de l’achat d’un fauteuil roulant et installation d’un bureau à son domicile, la mairie l’a accompagnée dans sa reconversion professionnelle. « L’insertion des personnes handicapées est au cœur de notre politique RH. Quand on a été élus, on s’est engagés à lutter contre l’exclusion et à promouvoir l’égalité des chances, clame Francis Chalard, adjoint au maire de Poitiers. On ne peut pas mettre en place des actions dans les quartiers si on ne les applique pas en interne. » Après la signature d’une convention avec le Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP) en 2010, la collectivité poitevine a embauché 142 personnes présentant un handicap. Sur un total de 3 000 agents, le taux d’emploi légal de 6 % est atteint en 2012. Il était de 3 % en 2009.

Recrutements, maintiens en emploi, reclassements… Les initiatives se multiplient dans la fonction publique. Si l’obligation d’emploi existe depuis 1987, le FIPHFP, chargé de collecter les contributions fi­nancières des établissements publics qui n’atteignent pas le taux légal, n’a été créé qu’en 2005. Une incitation supplémentaire. En 2011, plus de 34 000 personnes en situation de handicap ont été recrutées ou maintenues en emploi dans les trois fonctions publiques (territoriale, hospitalière et d’État). « En six ans, le taux d’emploi est passé de 3,74 % à 4,39 %. C’est le fruit d’un travail conjoint entre les employeurs et le fonds », se réjouit André Montané, président du FIPHFP, qui conclut des conventions avec les acteurs publics et verse des aides financières pouvant aller jusqu’à 75 % des dépenses engagées.

Restrictions budgétaires

Malgré ces efforts, le score est en deçà du taux légal. « L’évolution est globalement lente et la progression préoccupante. Les aides existent, mais le problème est de toucher les services de la fonction publique. Les travailleurs handicapés sont les premiers à payer les restrictions budgétaires », estime Didier Marguery, délégué syndical CGT au FIPHFP. En 2011, sur les 10 447 employeurs assujettis à l’obligation d’emploi (plus de 20 équivalents temps plein), la moitié était redevable d’une contribution. « On doit bousculer les collectivités dans leurs habitudes. Certaines préfèrent payer une contribution plutôt que d’embaucher. Le handicap est méconnu et fait peur. Les employeurs pensent à tort que recruter des personnes handicapées va demander beaucoup d’énergie, de temps, de paperasse », commente Hélène Vergne, chargée de mission fonction publique à Cap Emploi, réseau d’organismes de placement dédié à l’insertion professionnelle des personnes handicapées, en Seine-et-Marne. Pour les personnes handicapées, la fonction publique a prévu trois modes d’accès : le concours, la voie contractuelle avec une possibilité de titularisation après un CDD d’un an renouvelable, ou à l’issue d’un contrat d’apprentissage. « À compétences égales, l’avantage ira rarement à une personne handicapée et les jurys ont encore tendance à privilégier les personnes ordinaires. La voie contractuelle facilite leur entrée dans la fonction publique », indique Ghislaine Bec, responsable de la mission insertion handicap au CNRS. Cette année, neuf chercheurs handicapés et près de 35 ingénieurs et techniciens ont été retenus par le comité de sélection, dont les experts ont été formés au handicap.

Malgré tout, le CNRS, qui recrute en majorité des agents de catégorie A, a un taux d’emploi de 3,8 % car il est confronté à un problème de taille : un vivier de candidats insuffisants. « Les critères de sélection sont les mêmes que pour les autres candidats. La compassion n’a pas sa place dans les choix des commissions. Comme chaque personne recrutée peut occuper un emploi pendant quarante ans, il faut veiller à ce que les compétences et le potentiel soient présents », rappelle Ghislaine Bec. L’accès à l’emploi est particulièrement difficile aussi à l’Éducation nationale, qui affiche un taux d’emploi de 2,12 % en 2011. Et plus globalement dans la fonction publique d’État (3,33 % de taux d’emploi), exigeante quant au niveau des diplômes.

Cumuler de faibles qualifications et un handicap réduit les chances d’accéder à un emploi. Selon la Dares, en 2008, plus de la moitié des personnes reconnues handicapées étaient en situation d’inactivité et, parmi elles, seules 6 % avaient un niveau au moins égal à bac + 2. Lors du dernier Comité interministériel du handicap, Jean-Marc Ayrault a rappelé que l’axe prioritaire de l’insertion des personnes handicapées restait leur qualification. La future réforme de la formation professionnelle inclura un volet handicap et l’accès des jeunes handicapés à l’alternance sera au menu de la concertation sur l’apprentissage. Le FIPHFP sera chargé d’inciter la fonction publique à recruter plus d’apprentis ; 1 700 contrats de ce type ont été signés à ce jour. « Sous réserve qu’un accompagnement et un tutorat assurent la montée en compétences, cette professionnalisation permet de mieux se positionner sur le marché du travail. Le parcours est semé de ruptures mais beaucoup trouvent un emploi durable derrière », analyse Valérie Paparelle, directrice générale adjointe de L’Association pour l’insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées. La ville de Rouen s’est engagée à recruter trois apprentis handicapés parmi ses 12 contrats en alternance. « On est clairs avec le jeune, on le recrute en contrat d’apprentissage mais sans aucune obligation de le prolonger. Depuis un an, les robinets sont fermés et on embauche peu. Les postes qui pourraient correspondre à leurs profils sont attribués via les mobilités et les reclassements », pointe Alexis Ripoll, responsable reclassement et insertion de la ville.

Maintien en emploi

En raison de nombreux accidents du travail ou usures professionnelles, la priorité de la fonction publique reste la gestion des reclassements et des maintiens en emploi. La fonction publique hospitalière est particulièrement touchée, notamment les aides-soignantes. « Trouver une issue peut prendre du temps. On accompagne l’agent dans son projet via des formations et des bilans de compétences. Pour leur ouvrir d’autres portes, on peut se tourner vers d’autres fonctions publiques », souligne Stéphanie Gaston, DRH du centre hospitalier de Cholet, qui a réalisé neuf reclassements professionnels. L’hôpital a noué un partenariat avec la ville afin de mutualiser les formations et partager son vivier de candidats.

Pour aider les petites collectivités, dépourvues de possibilités en interne, le FIPHFP a signé des conventions avec les centres de gestion (CDG) de la fonction publique territoriale. En Charente-Maritime, environ 70 % des communes comptent moins de 10 agents. Le CDG les épaule dans le reclassement des agents – 75 en 2012 –, les processus de recrutement, les demandes de subventions et propose un service de remplacements temporaires effectués en partie par des personnes handicapées. « On observe encore une certaine frilosité des collectivités sur le recrutement. Elles n’ont pas toujours connaissance des dispositifs d’aide matérielle et humaine financés par le FIPHFP. Notre travail est de faire connaître la réglementation et de sensibiliser l’ensemble des acteurs territoriaux, à tout niveau hiérarchique », note Karine Gautronneau, responsable du service santé au travail du CDG.

Pour renforcer ce travail de proximité, le FIPHFP veut multiplier les délégués interrégionaux sur le territoire. En prenant appui sur les pionnières comme la région Nord-Pas-de-Calais, qui a été la première à signer en 2010 un pacte territorial pour l’emploi des personnes handicapées.

Ad. F.

Auteur

  • Adeline Farge, Sabine Germain, Rozenn Le Saint