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Tentations et abus des divorces à l’amiable

Décodages | Emploi | publié le : 02.11.2013 | Emmanuelle Souffi

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Tentations et abus des divorces à l’amiable

Crédit photo Emmanuelle Souffi

Ils sont plus de 1,3 million de salariés à en avoir signé. Mais les volontaires pour conclure une rupture conventionnelle ne le sont pas toujours et la grande majorité s’enfonce ensuite durablement dans le chômage.

Claquer la porte avec panache, c’est terminé. Aujourd’hui, on négocie. Comme Dimitri, dont le poste au service marketing a été supprimé en juillet. Son employeur, une PME de 700 salariés, cherche à faire des économies. Elle veut bien garder le jeune homme, mais à un emploi nettement moins stimulant. « C’était comme d’être rétrogradé, se souvient-il. Je n’avais pas envie de transiger sur le contenu de ce que j’allais faire. Mais je ne voulais pas démissionner. » L’affaire aurait pu durer des mois et tourner au bras de fer. Alors, plutôt qu’un licenciement coûteux et hasardeux, le DRH lui propose une rupture conventionnelle. « Leur santé financière rendait impossible l’existence d’un motif économique. Finalement, entre les indemnités et Pôle emploi derrière, je me suis dit que c’était le bon moyen pour repenser ma vie professionnelle. »

Le travail suit les codes amoureux. Au moindre accroc, on se sépare. À l’amiable. Et tant pis si, comme dans les divorces, il y en a toujours un plus volontaire pour quitter l’autre. Depuis son instauration en 2008 par les partenaires sociaux dans le cadre de l’accord sur la modernisation du marché du travail, ce mode de rupture connaît un franc succès. Entre août 2008 et mai 2013, 1 340 892 ont été signées, d’après le recensement de la Dares, soit un rythme moyen de 24 000 par mois. Deux fois plus que le nombre de licenciés économiques qui s’inscrit à Pôle emploi ! Et ce malgré le forfait social de 20 % sur le montant des indemnités – équivalentes à un licenciement économique – qui renchérit leur coût depuis janvier. Loin d’être l’apanage des cadres, elle est devenue un mode « normal » de séparation. Consensuel, avec le filet de sécurité de l’assurance chômage. Plus confortable que la simple démission qui, elle, est en chute libre : 1,3 % des départs au premier semestre, le taux le plus faible de toute la décennie !

Discrétion et précipitation. Conçue pour favoriser la mobilité des salariés et pacifier les relations, la rupture conventionnelle « arrange tout le monde et évite les conflits absurdes comme au temps des transactions », estime Gildas Delon, DRH de Marionnaud, qui en signe une cinquantaine par an aussi bien au siège que dans les magasins. Tout ça se fait dans le bureau du N + 1 ou du DRH, à l’abri des regards. Les syndicats ne sont généralement pas au courant. Seuls 7 % des salariés se font assister lors des entretiens de rupture, selon la Dares. La loi a voulu une procédure ultralégère. Pas de convocation, de rendez-vous formel, de préavis à respecter. Tout juste a-t-on quinze jours pour se rétracter. Bref, du départ express. « Les salariés n’en font pas la publicité car ils veulent partir vite, l’employeur non plus car il ne veut pas que ça fasse tache d’huile », note Gilbert Brokmann, responsable de l’intercentres CFE-CGC de Thales. Même le ministère met le turbo ! Pour faciliter le traitement des demandes d’homologation – faute de quoi la rupture n’est pas valable – il a ouvert début février un site Internet où chacun peut déposer un dossier en ligne. Officiellement pour éviter les documents antidatés, qui concerneraient un quart des cas, selon une enquête de 2012 du Centre d’études de l’emploi (CEE). Mais ce zèle exceptionnel a laissé nombre de juristes bouche bée…

Car réflexion et précipitation font rarement bon ménage. C’est ce que s’est dit après-coup Marie*, cadre dans l’industrie. À son retour de vacances, le DRH lui propose de rompre à l’amiable son contrat. Depuis plusieurs mois, la quadra est en bisbilles avec son chef. « On m’a ouvert la porte, je suis partie en courant sans réfléchir », raconte-t-elle. Son sprint n’aura pas duré trois jours. « Ils ont considéré qu’une simple conversation avec mon N + 1 dans un couloir était un entretien préalable ! se pince-t-elle encore. Ils étaient clairement pressés de me voir partir. »

Alors, bon plan la rupture conventionnelle ? Pas si sûr ! Car sa souplesse rend possibles toutes les dérives. Des deux côtés de la table. Il y a les salariés qui la considèrent comme un droit et qui la réclament alors qu’ils ont trouvé ailleurs. Comme si l’entreprise leur était redevable de leurs années de labeur. Face à ces comportements de va-t-en-guerre, les DRH s’étranglent. « Remplacer la démission par la rupture pour bénéficier d’une couverture sociale, ça me heurte, tranche Alain Mauriès, DRH de Pochet, qui les refuse dans ce cas de figure. Elle doit faire sens pour les deux. » Chantage à la démotivation, stratégies pour provoquer un licenciement… Le « non » passe souvent mal.

Mais c’est surtout quelques années avant le départ à la retraite que les petits arrangements sont légion. Plus on se rapproche de la quille, plus les ruptures conventionnelles décollent. Chez les 58 et 60 ans, elles concernaient un quart des fins de CDI en 2012, selon la Dares, soit 10 points de plus que la moyenne. Direction la case Unedic pour la plupart, le temps de toucher ensuite sa pension. 20 % des plus de 50 ans s’inscrivent après en avoir signé une, a calculé l’assurance chômage. En 2010, IBM s’est fait tirer les oreilles par l’Inspection du travail pour avoir eu le stylo un peu trop leste. Douze ruptures en un mois n’ont pas été homologuées. « Cela correspondait à la fin de la mise à la retraite d’office à 65 ans. Depuis, comme elles sont plus encadrées, la direction est revenue aux conventions de gré à gré qui ne laissent pas de traces », confie Gérard Chameau, délégué syndical central CFDT.

Avantages aux employeurs. Discrètes, ces séparations se sont aisément substituées aux autres formes de préretraites déguisées mais ne font pas pour autant gonfler les chiffres. « Nous observons toujours un pic d’entrées après 58 ans ; ça n’est pas plus massif depuis l’apparition des ruptures conventionnelles, ni spécifique à elles », observent Cécile Laffiteau, chargée d’études, et Jean-Paul Blouard, chargé de mission à l’Unedic.

Au-delà de ces petites combines, dans 61 % des cas, l’initiative provient de l’employeur, selon l’enquête du CEE. Manque de reconnaissance, souffrance au travail, évolution qui patine… Le désir de partir n’est pas manifeste. Celui de rester non plus. « Elles correspondent majoritairement à des cas où le salarié est mal dans l’entreprise, analyse Évelyne Serverin, directrice de recherche au CNRS. On n’exerce pas de pressions pour le faire signer, mais sa situation au travail conduit à son départ, dans l’intérêt de tous. » Le consentement s’apparente alors plus à une résignation. Et la rupture, à l’opportunité de se tirer d’un mauvais pas. Même choisie, elle reste subie pour 29 % des salariés qui en ont signé une, d’après une étude d’octobre de la Dares auprès de 4 500 personnes. « Au final, on exfiltre celui qui est en difficulté et on règle la question des conditions de travail avec ça ! » déplore la juriste.

Ces départs sont d’autant moins consentis qu’ils revêtent une cause économique. C’était la grande crainte des syndicats quand la rupture a été introduite : qu’elle serve de contournement du PSE. La réalité semble leur donner raison. « En pratique, elle a naturellement remplacé le licenciement pour motif individuel, mais aussi économique », relève Estelle Sauvat, directrice générale de Sodie. 40 % des salariés qui se sont confiés au CEE estiment que leur fin de contrat avait une cause financière. En 2011, le nombre de plans sociaux a chuté de 24 % par rapport à 2010, alors que la conjoncture était toujours aussi morose. Dans le même temps, la courbe des ruptures bondissait de 13 %… « À la différence d’un PSE, elle évite les mauvais signaux envoyés aux fournisseurs, clients, salariés. Et elle zappe l’obligation de consultation-information du comité d’entreprise, de reclassement… », égrène Yann Leroy, maître de conférences en droit privé à l’université de Lorraine.

Pratique… D’autant plus que l’administration n’a ni le temps ni les moyens de contrôler la bonne foi des parties. Et notamment le consentement du salarié, qui peut être vicié compte tenu du lien de subordination. En Meurthe-et-Moselle, seul un poste et demi de contrôleur est affecté au dépouillement des formulaires Cerfa. Résultat, les retoquages sont rarissimes. Le taux d’homologations a atteint 94 % en 2012, d’après la Dares ! Et quand l’Inspection sévit, c’est sur le montant des indemnités versées et le non-respect du délai de rétractation.

Cap vers… le chômage. Preuve que le salarié n’a souvent pas de solution de repli, le gros des troupes file ensuite à Pôle emploi. D’après le ministère du Travail, 60 % cherchent un nouveau job juste après. Et, au bout de neuf à quinze mois, ils en sont toujours au même point. En 2012, les ruptures conventionnelles représentaient 11 % des entrées en indemnisation au régime d’assurance chômage (9 % en 2011). Et même 12 % début 2013, selon l’Unedic. Avec son projet de reconversion, Marie pointe depuis un an et demi. Elle vient de commencer un contrat de professionnalisation. Non sans mal. « Pour Pôle emploi, on n’est pas prioritaires aux formations par rapport aux licenciés économiques », regrette-t-elle. Or les séparés à l’amiable, ayant acquis davantage de droits, restent éloignés de l’emploi plus longtemps que les salariés en CDD. Le chômage de longue durée atteint chez eux 32,9 %, contre 25 % pour l’ensemble des allocataires.

Face aux risques de décrochage, certains plaident pour y adosser un coaching, comme aux États-Unis. Ou une plus grande information donnée aux futurs partants. « Si Pôle emploi délivrait une simulation de leurs droits au chômage, incluant le délai de carence, les volontaires au départ seraient moins nombreux », prédit Évelyne Serverin. Face au déficit abyssal de l’assurance chômage, nul doute que la CGT ou FO, hostiles aux ruptures conventionnelles, mettent sur la table des prochaines négociations la question de leur encadrement si le coût devient trop lourd pour le régime. Coût jusqu’alors inconnu.

* À la demande des témoins, le prénom a été changé.

REPÈRES

16 %

C’est la part des ruptures conventionnellesdans les fins de CDI.

55 %

des signataires ont retrouvé un emploi quinze mois après la rupture.

6 600

C’est, en euros, le montant moyen des indemnités versées en 2011, en baisse de 17 % par rapport à 2009.

Sources : Dares, Unedic.

Les tribunaux désertés

Initialement, elle était faite pour pacifier les relations entre salarié et employeur. Finalement, elle a réussi son coup. D’après une étude menée par la chancellerie, le contentieux prud’homal a chuté de 23 % entre 2009 et 2012. Et les experts du ministère y lisent le succès de la rupture conventionnelle qui, dans le même temps, a décollé de… 67 % ! Ce qui se passe dans le bureau du DRH y reste. Et si ça sort, c’est souvent pour de bonnes raisons. Notamment quand il a été un peu chiche sur les indemnités ou que le conflit n’est pas digéré. « Les salariés hésitent à contester leur rupture car ils redoutent de devoir rembourser les sommes perçues et de revenir dans l’entreprise », relève Évelyne Serverin, directrice de recherche au CNRS, qui a recensé 383 arrêts de la cour d’appel sur ce sujet. Le rare contentieux a surtout tourné autour de l’existence d’un conflit pouvant vicier le consentement du salarié. Pour nombre de magistrats en appel, il rendait nulle la convention signée. Ce qui revenait à conditionner la validité à l’absence de litiges entre les parties. Du coup, on pouvait se demander pourquoi elles se séparaient… La Cour de cassation a tranché le 23 mai dernier. Le conflit ne fausse pas la rupture, sauf s’il s’est accompagné de pressions et de menaces pour contraindre le salarié à la signature et donc altérer sa volonté. Ce qui peut se produire dans une situation de harcèlement moral. Reste à savoir ce que devient le partant contrarié. Doit-il être réintégré ? On l’imagine mal…

La rupture conventionnelle a contribué à faire chuter les recours aux prud’hommes (- 23 % entre 2009 et 2012).

Auteur

  • Emmanuelle Souffi