C’est le genre d’essai que l’on est content d’attaquer en pleine forme : 650 pages dans lesquelles un penseur aurait trouvé matière à plusieurs ouvrages. Mais peut-être Touraine a-t-il voulu ramasser l’ensemble de son œuvre dans cette analyse, qui ressemble beaucoup à une autoanalyse. Car décréter la dissipation des sociétés, la mort des classes sociales et de la conscience de classe, la centralité du sujet face au collectif, pour le sociologue dont la gloire repose sur la conceptualisation de la société postindustrielle, de la conscience ouvrière et des mouvements sociaux, ne va pas de soi !

Selon Touraine, il s’est passé une sorte de dissociation entre les intérêts économiques et les valeurs culturelles, entre le fonctionnement du système capitaliste orienté vers la maximisation du profit et celui de notre vie quotidienne qui obéit de plus en plus à des impératifs de morale individuelle et de moins en moins à des déterminations sociales. La crise économique a révélé au grand jour ce fossé, accélérant l’effondrement des institutions sociales.

L’autre conséquence, c’est l’apparition de nouveaux acteurs et de nouvelles formes d’action qui ne sont pas sociaux. Des mouvements communautaires, des révoltes démocratiques par Twitter interposé ou éthiques à travers le mouvement Occupy Wall Street. Il y a aussi ce que Touraine appelle « l’anti mouvement social », dont le plus tristement fameux est al-Qaida, ou encore les « contre-mouvements sociaux », comme le Tea Party. Cette mutation des conflits sociaux en conflit entre des positions éthiques et l’ordre économique mondial constitue l’autre grand terrain de réflexion de l’auteur. Malgré ses 650 pages, il lui reste du travail pour fournir le mode opératoire de ces nouveaux combats.

La Fin des sociétés, Alain Touraine. Éditions Seuil . 650 pages, 28 euros (sortie le 12 septembre).