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Les espoirs (déjà) déçus du compte personnel de formation

Dossier | publié le : 01.09.2013 | Anne-Cécile Geoffroy, Anne-Cécile Geoffroy, Sabine Germain, Rozenn Le Saint

Ce devait être un dispositif universel et ambitieux. Le compte personnel de formation pourrait bien n’être qu’un DIF vaguement amélioré.

La mise en œuvre du compte personnel de formation est une innovation importante pour l’élévation du niveau de qualification des jeunes et des adultes et la compéti­tivité de notre économie », se félicite la feuille de route publiée au sortir de la grande conférence sociale qui s’est tenue les 20 et 21 juin au Conseil économique, social et environnemental. La déclaration d’intention fait consensus : tous les partenaires sociaux qui se réunissent depuis le 21 mai avec l’État et les régions au sein d’un groupe quadripartite approuvent la création de ce compte personnel de formation (CPF), prévu dans le cadre de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier dernier. Y compris les syndicats qui n’ont pas ratifié l’ANI (FO et CGT). En revanche, les modalités de sa mise en œuvre sont plus controversées, comme sa portabilité, son financement, l’articulation avec les autres dispositifs, notamment le congé individuel de formation (CIF). Il suffit de se référer à la définition du CPF telle qu’elle est rédigée dans l’article 5 de l’ANI pour comprendre les enjeux du débat. « Le compte personnel de formation possède les trois propriétés suivantes : il est universel, individuel et entièrement transférable. »

Universel ? L’ANI précise que « toute personne dispose d’un compte personnel de formation dès son entrée sur le marché du travail et jusqu’à son départ à la retraite ». Toute personne, cela peut aussi bien être un salarié du privé qu’un demandeur d’emploi, un fonctionnaire ou un travailleur non salarié (commerçant, artisan ou profession libérale). Pourtant, ce beau principe d’universalité perd très vite de sa superbe : dès la ligne suivante, il est précisé que « chaque personne bénéficie d’un compte, qu’elle soit salariée ou demandeuse d’emploi ». Ce qui est logique au regard du périmètre de négociation des accords interprofessionnels. Mais bigrement restrictif.

Un financement insuffisant

« Le syndrome français a encore frappé ! sourit Mathilde Bourdat, manageuse de l’offre formation chez Cegos : on part de déclarations d’intention beaucoup trop ambitieuses pour aboutir à une toute petite chose. » En l’occurrence, Mathilde Bourdat ne s’en plaint pas : « Les expériences internationales montrent que les dispositifs individualisés de formation qui fonctionnent le mieux sont ciblés sur les publics qui en ont le plus besoin. » Du côté de l’Association des régions de France (ARF), en revanche, on défend ardemment ce principe d’universalité, « qui permet de transcender la logique de statut des bénéficiaires » et représente la plus-value la plus importante du CPF. Sous-entendu par rapport au droit individuel à la formation, mis en place en 2004 pour les seuls salariés du privé, et dont le succès est pour le moins mitigé. Dans sa mise en œuvre, le CPF ressemble en effet comme un frère au DIF, dont le sort paraît scellé à lire le document d’orientation remis le 8 juillet aux partenaires sociaux par le gouvernement : il est alimenté à hauteur de 20 heures par an pour les salariés à temps plein et plafonné à 120 heures. « Pas suffisant pour répondre à l’objectif recherché », a tranché la CGT en réponse au rapport intitulé « Réflexion sur la création d’un compte individuel de formation » remis en mars dernier par le conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie (CNFPTLV). Mais ce que la CGT reproche fondamentalement au DIF, c’est d’être soumis au bon vouloir de l’employeur : affolées à l’idée de devoir financer des formations plus ou moins fantaisistes, les entreprises n’ont eu de cesse de limiter l’accès au DIF en créant des catalogues extrêmement restrictifs. C’est ainsi que, selon la dernière étude réalisée début 2012 par Demos, seulement 13 % des salariés ont actionné leur droit individuel à la formation.

Il est vrai que les employeurs ne les y ont guère incités : « Le DIF n’a jamais été réellement financé, observe Jean Wemaëre, président de la Fédération de la formation professionnelle. Il n’est même pas provisionné par les entreprises, contrairement au 0,9 % de la masse salariale consacré au plan de formation, qui doit obligatoirement être dépensé. »

Pour permettre au compte de formation de devenir, comme son nom l’indique, réellement personnel, le bénéficiaire devrait avoir la possibilité de le déclencher à tout moment pour suivre le cursus de son choix. Les financeurs ne l’entendent pas de cette oreille : les employeurs, bien sûr, mais aussi les régions, devenues chefs de file de la formation des jeunes et des demandeurs d’emploi. Dans sa « contribution en vue de la mise en place d’un compte personnel de formation », l’ARF se dit prête à abonder le compte des jeunes et des demandeurs d’emploi dont le CPF n’est pas assez crédité pour suivre le cursus de leur choix. Mais seulement s’ils s’engagent dans des « parcours réellement qualifiants », dans le cadre d’un accompagnement validant le projet professionnel du demandeur. Ce qui limite singulièrement leur marge de manœuvre.

Des priorités mal définies. En revanche, l’Association des régions de France reste dubitative quant à la mise en place d’une « liste de formations éli­gibles au titre du CPF ». C’est la solution préconisée par le Medef, qui souhaite voir les régions et les branches définir un inventaire des compétences et des certifi­cations qu’elles considèrent comme prioritaires afin d’orienter les bénéficiaires du CPF vers des formations répondant aux besoins du marché.

« Quelle ? usine à gaz ! » soupire Danièle Kaisergruber, présidente du CNFPTLV, qui plaide plutôt pour une orientation du compte personnel de formation vers deux publics prioritaires : les personnes arrivées sur le marché du travail sans le « bagage minimum de compétences pour s’insérer socialement et professionnellement » et celles qui veulent « bénéficier de nouvelles qualifications une fois quitté le monde de la formation initiale ». Avec un objectif : gagner au moins un niveau de qualification au cours de la vie professionnelle.

Ces deux situations, bien que très différentes, requièrent un véritable accompagnement du demandeur dans la définition de son projet professionnel et de son parcours de formation. La mise en œuvre du compte personnel de formation est donc liée à celle du Service public de l’orientation « qui est encore trop marqué par une Éducation nationale convaincue que les savoirs essentiels ne s’acquièrent qu’en formation initiale », regrette Danièle Kaisergruber.

Si le compte personnel de formation vise à faire progresser les bénéficiaires d’au moins un niveau de qualification, il devra accepter de miser sur des pédagogies innovantes permettant aux moins qualifiés de surmonter les mauvais souvenirs que l’échec scolaire leur a laissés. Quitte à ­demander aux bénéficiaires de participer à leur financement : « Après tout, si le compte personnel de formation vise à responsabiliser le salarié à l’égard de son employabilité, il n’est pas illogique de lui demander de le cofinancer, estime Jean Wemaëre. En Allemagne, des systèmes d’abondement et d’incitations fiscales rendent les salariés réellement acteurs de leur formation. » Inutile de dire que les syndicats sont modérément emballés par l’idée. Les débats à venir promettent d’être agités. Et la mise en œuvre du CPF, annoncée pour le 1er janvier 2014, encore incertaine… S. G.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy, Anne-Cécile Geoffroy, Sabine Germain, Rozenn Le Saint