logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Dossier

Apprentissage : la bataille de la taxe

Dossier | publié le : 01.09.2013 | Anne-Cécile Geoffroy, Anne-Cécile Geoffroy, Sabine Germain, Rozenn Le Saint

À la faveur de la prochaine réforme de la formation professionnelle, le gouvernement entend bien revisiter le fonctionnement de la taxe d’apprentissage et sa finalité. Mais les résistances sont fortes.

Cela ne s’invente pas. Pour faire remonter les chiffres de la collecte de la taxe d’apprentissage auprès de ses services, la DGEFP s’est dotée d’un logiciel qu’elle a nommé… Pactole. Une ironie sémantique finalement assez explicite. Car, après les milliards de la formation professionnelle, ce sont ceux de l’apprentissage qui sont dans l’œil du cyclone.

La taxe d’apprentissage pèse grosso modo 2,8 milliards d’euros et son dispositif de collecte s’avère « redoutablement complexe, opaque et injuste », selon le sénateur de la Côte-d’Or François Patriat, auteur d’un rapport d’information sur la répartition du produit de la taxe rendu public en avril dernier. Il y aurait donc urgence à réformer. D’autant plus que le gouvernement s’est fixé un objectif : former 500 000 apprentis en 2017 (contre 435 000 aujourd’hui). Une ambition raisonnable qui suppose néanmoins d’être financée. Or la taxe d’apprentissage étant assise sur la masse salariale des entreprises, le fameux pactole s’est érodé depuis 2009, tout comme le nombre de nouveaux contrats d’apprentissage. Quant aux régions, les grandes actrices du financement de l’apprentissage avec les entreprises et l’État, elles voient aussi leurs budgets contraints. Piloter une partie de la taxe d’apprentissage leur permettrait donc de mettre en œuvre plus aisément leur politique d’apprentissage.

1. Plus de taxe pour l’apprentissage

La taxe d’apprentissage finance non seulement les formations en apprentissage (le « quota ») mais aussi, et pour deux cinquièmes, les formations technologiques et professionnelles (le « hors quota ») des lycées professionnels, des universités et des grandes écoles. Une anomalie pour François Hollande qui, en mars dernier, se prononçait pour que 100 % de la taxe aillent uniquement à l’apprentissage et de préférence vers les formations de niveaux IV et V. « Ce serait une erreur, prévient Jean-Jacques Dijoux, directeur général d’Agefa PME, l’Octa de la CGPME. La voie professionnelle aujourd’hui doit être le vecteur des compétences de demain, très impactées par le numérique. En supprimant cette double finalité, vous déshabillez l’avenir au profit des difficultés du moment. »

Une erreur aussi pour Pierre-Antoine Gailly, président de la CCI Paris Ile-de-France, plus gros collecteur de la région capitale et organisme de formation qui abrite notamment des écoles comme Négocia, HEC ou ESCP Europe. « Cette décision mettrait en grande difficulté des écoles qui pratiquent d’autres formes d’alternance, comme l’année de césure permettant à des jeunes de travailler en entreprise pendant leur formation. » Pour bon nombre de collecteurs, qu’ils soient consulaires ou de branche, cette réorientation de la taxe mettrait surtout en péril leur propre appareil de formation. « Un appareil très utile pour exister et peser politiquement », souligne le directeur d’un gros CFA. Mais, à côté des grosses machines, une multitude de petites formations dans des secteurs importants comme le sanitaire et le social ne pourraient plus être financées. « Nous ne souhaitons pas tout casser », assure-t-on au ministère du Travail qui, cet été, n’avait pas encore tranché la question.

2. Plus de transparence

Après le mercato des Opca, voici poindre celui des Octa. Aujourd’hui, 144 organismes collecteurs de la taxe d’apprentissage se chargent de recueillir auprès des entreprises cet impôt puis de le répartir auprès des centres de formation d’apprentis (CFA) et de l’enseignement professionnel. « Trop d’Octa nourrit la méfiance », explique-t-on au ministère du Travail pour justifier cette piste de réforme. Demain, il devrait en rester 40. L’une des options du ministère est de fixer un seuil minimal de collecte pour forcer les fusions ou les alliances. 30, 40, 50 millions… Pour le moment le seuil n’est pas arrêté.

Le paysage des Octa est d’autant plus confus que certains sont nationaux, d’autres régionaux, issus du monde consulaire (les chambres de commerce, de métiers et d’agriculture), dépendants de branches professionnelles, associatifs, académiques, ou interprofessionnels. Et quand 78 Octa récoltent moins de 10 millions d’euros, la CCI Paris Ile-de-France culmine à plus de 363 millions d’euros. « Aujourd’hui, les Octa sont d’immenses machines à fric, explique sans détour le directeur d’un organisme collecteur. Demain, nous devrons tous aller vers plus de conseil, d’accompagnement aux entreprises et aux CFA. » Les fusions d’Octa s’annoncent douloureuses et compliquées. « Sans une loi, nous n’y arriverons pas, admet Didier Guinaudie, délégué général de l’ASP, un collecteur adossé à l’enseignement catholique sous contrat avec l’État. Pourtant nous pourrions mutualiser des pratiques et des outils informatiques qui aujourd’hui coûtent cher. » Ou réduire des frais de dossier qui varient de 6 euros chez Acora-BTP à 842 euros au Leem Apprentissage, le collecteur de l’industrie pharmaceutique.

3. Plus de paritarisme

Thierry Repentin, ancien ministre délégué à la Formation professionnelle et à l’Apprentissage, l’affirmait : « Moins d’Octa, c’est plus de paritarisme. » Une petite phrase qui a fait et fait toujours grincer des dents dans le milieu consulaire. Car, s’il y a un lieu où le contrôle social est persona non grata, c’est celui-ci. « La formation première n’est pas une affaire de paritarisme. Je peux à la rigueur concevoir qu’il y ait une discussion sur la carte scolaire, explique Pierre-Antoine Gailly. Trop d’acteurs considèrent aujourd’hui que l’apprentissage est un outil de politique de l’emploi pour vouloir y intervenir. » Pas question, donc, de partager le pouvoir avec les régions. « Le risque, ajoute le directeur d’un CFA consulaire, c’est que le transfert des responsabilités sur les pouvoirs publics entraîne un désengagement des acteurs que sont les entreprises. » Pour Didier Guinaudie, de l’ASP, « il ne faut pas non plus oublier que la région est avant tout une structure politique. Dans certains territoires, nous avons créé des CFA régionaux qui portent administrativement des formations de nos lycées catholiques. Ailleurs, ça bloque ! ».

Le nœud gordien de cette affaire est à trouver dans les fonds « libres », cette part de taxe d’apprentissage qui n’est pas fléchée par les entreprises vers des établissements. Et, selon le rapport Patriat, ce sont 300 millions d’euros par an dont disposent librement les Octa. « La force d’un collecteur, c’est le volume de fonds libres qu’il peut reverser aux établissements qu’il entend soutenir », décrypte Denis Jorel, président de la Fnadir, qui rassemble des directeurs de CFA, toutes obédiences confondues. Une manne que le rapport Patriat voudrait confier aux régions.

4. Plus de sécurité

Aujourd’hui, si vous dirigez un CFA inter­professionnel, vous êtes forcément très inquiet. Parce que derrière la bataille de la taxe, c’est celle des branches contre le monde interprofessionnel qui pointe. Et les fusions d’Octa comme la fin possible des fonds librement affectés créent de l’insécurité. « Ça fait plusieurs mois que tout cela dure. Nos structures ont besoin de stabilité. Nos salariés s’inquiètent », s’offusque Didier Guinaudie, délégué général de l’ASP. « À cela s’ajoutent les incertitudes de la collecte, renchérit Alain Bao, directeur du CFA Faculté des métiers de l’Essonne et responsable en Ile-de-France de l’Association des directeurs de CFA. Entre janvier et la fin du mois de juin, nous naviguons à vue, n’ayant aucune information sur le montant de la collecte qui nous reviendra. C’est un suspens digne d’Hitchcock ! » Un suspens que certains pensent pouvoir atténuer en encadrant le coût d’un apprenti. « Pourquoi ne pas décréter qu’un apprenti « coûte » 7 000 euros en lycée et 8 500 euros au-delà du bac ? » propose Jean-Jacques Dijoux à l’Agefa PME. Une proposition qui modérerait les écarts aujourd’hui pratiqués : de 1 à 10 pour une même formation. A.-C. G.

500 000 apprentis

formés en 2017. C’est l’objectif du gouvernement.

144 Octa

se chargeaient de la collecte de la taxe d’apprentissage en 2011. Ils devraient être une quarantaine après la réforme.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy, Anne-Cécile Geoffroy, Sabine Germain, Rozenn Le Saint