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Décodages

Christophe Blanchard-Dignac met la Française des jeux à la page

Décodages | Management | publié le : 01.09.2013 | Stéphane Béchaux

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RÉPARTITION DU CAPITAL

Crédit photo Stéphane Béchaux

Réorganisation, certification, professionnalisation des RH…, le P-DG de la Française des jeux profite de l’ouverture à la concurrence pour moderniser la pépite publique. Une PME familiale confrontée à des problématiques de grande entreprise.

En voilà au moins une qui ne connaît pas la crise. Avec 12,1 milliards d’euros de mises et 123 millions de résultat net, la Française des jeux a réalisé, en 2012, une nouvelle année record. Une habitude, presque, pour son P-DG, Christophe Blanchard-Dignac, nommé en octobre 2000. « Nos jeux, notamment de loterie, sont assez résilients. Les ventes ne s’emballent pas en période d’euphorie, pas plus qu’elles ne se détricotent rapidement lors des récessions », observe l’intéressé. En treize ans de règne, l’ex-directeur du Budget a réussi, pas à pas, à quasiment doubler les ventes. Un bilan flatteur pour ce presque sexagénaire qui entame sa dernière année de mandat. Sans ignorer la rumeur qui, dans les couloirs du siège, annonce son remplacement par l’ancienne secrétaire d’État au Budget, Florence Parly, actuellement chez Air France.

En matière de visibilité, l’entreprise a tout d’un géant du CAC 40. Elle commercialise ses produits dans plus de 34 000 points de vente et compte 26,3 millions de clients. Et pourtant, l’ex-Loterie nationale n’emploie que 1 105 salariés, répartis sur ses trois sites : le marketing, le commercial et les fonctions support au siège de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) ; l’intégration, la maintenance et la gestion informatique dans l’établissement ultrasécurisé de Vitrolles (Bouches-du-Rhône) ; le développement informatique et l’administration de la paie dans les locaux historiques mais menacés de Moussy-le-Vieux (Seine-et-Marne). « La Française des jeux n’est qu’une grosse PME, mais avec des problématiques d’entreprise de très grande consommation. Les enjeux RH y sont fondamentaux car chaque collaborateur a un effet de levier considérable sur le chiffre d’affaires », explique Charles Lantieri, le DG délégué.

1 SE FROTTER À LA CONCURRENCE

Au printemps 2010, lors de l’ouverture à la concurrence des paris sportifs et du poker en ligne, beaucoup pronostiquaient un avenir sombre à la Française des jeux. Un pronostic erroné. Trois ans plus tard, la vieille dame, désormais octogénaire, réalise 97 % de ses ventes, en forte hausse, grâce à ses activités monopolistiques de loterie. Son site, ParionsWeb, sur lequel s’active une trentaine de coteurs, ne pèse que 70 millions d’euros. Quant à LB Poker, sa coentreprise avec le Groupe Barrière, son avenir est menacé. « On prévoyait que ces marchés, sans être des eldorados, se développeraient davantage. Rien ne s’est vraiment passé comme prévu », admet Christophe Blanchard-Dignac.

Le big boss n’a pourtant pas fait l’autruche. Au printemps 2008, dès l’annonce par Bercy des futures modifications réglementaires, la Française des jeux lance un énorme chantier interne. Baptisé « Grand large », il vise à revisiter de fond en comble le fonctionnement de l’entreprise, des pratiques d’achat à la politique commerciale, de l’offre numérique aux relations avec le réseau. « On a fait de l’ouverture du marché une opportunité pour mobiliser les collaborateurs, les inscrire dans un schéma de transformation de l’entreprise », explique Patrick Buffard, DGA chargé du pôle marché et clients. En l’espace de trois grosses années, l’entreprise revoit son organisation, crée 200 postes – notamment dans les métiers, l’informatique et le marketing – et booste la mobilité interne. À la clé, une valse des organigrammes et une inflation de projets qui transforment l’entreprise mais font aussi grincer les dents. En particulier celles des représentants du personnel, qui dénoncent les millions d’euros engloutis pour rémunérer des hordes de consultants. « Au final, Grand large a davantage créé d’illusions que d’activité. Sur le numérique, on est à la traîne, notre chiffre d’affaires reste ridicule », observe David Chianese, le secrétaire FO du CCE.

Au même moment, l’opérateur, détenu à 72 % par l’État, se prépare aussi à une éventuelle ouverture du capital, alors dans les tuyaux. Il adopte les normes comptables IFRS, entame une vaste démarche de certification de ses activités, fait auditer ses politiques de rémunération, ses pratiques de RSE et son climat social interne. « On a besoin d’avoir un modèle opérationnel qui soit au plus haut niveau des standards. En se comparant avec les entreprises du privé, on se force à adopter une culture d’ouverture vers l’extérieur », justifie Charles Lantieri, le numéro deux. Un état d’esprit que la maison entend perpétuer, quand bien même la privatisation partielle n’est plus à l’ordre du jour.

2 PROFESSIONNALISER LES RH

L’opération Grand large se traduit, côté RH, par le lancement d’un vaste plan d’action managériale. « On a déployé des modules de formation pour permettre aux managers, notamment de proximité, de porter le changement. Car ils sont le rouage essentiel de la transformation », souligne Pierre-Marie Argouarc’h, le DRH. Formé chez l’assureur Generali, celui-ci met la main à la pâte. Depuis cinq ans, il coanime les sessions des quelque 200 cadres de la nouvelle filière managériale. Un programme toujours en cours : après s’être formés, cette année, au développement du leadership, les managers plancheront, en 2014, sur l’accompagnement du changement. Une piqûre de rappel qui vise à les impliquer davantage et à décharger les deux collaborateurs de la DRH qui, faisant office de consultants internes en réorganisation, croulent sous les sollicitations.

La maison profite aussi de l’ouverture à la concurrence pour professionnaliser ses RH, jusqu’alors très artisanales. Elle systématise les entretiens annuels de performance, déploie un logiciel de gestion des talents et met en place une palette d’outils à destination de l’encadrement : des revues de personnel pour les 150 postes clés, des sessions de coaching, des dispositifs d’évaluation à 360° pour les responsables de direction et de département et, bientôt, les managers de service. Plus original, l’entreprise crée un observatoire interne des métiers, composé de 12 salariés issus des différentes familles professionnelles. À raison d’une réunion par ­trimestre, charge à l’instance d’aider la direction à anticiper l’évolution des 34 métiers et 150 fonctions recensés en 2008 lors de la négociation portant sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.

Histoire d’unifier les pratiques RH sur ses trois sites, la Française des jeux se dote enfin de principes d’action managériale. Des « PAM », dans le jargon interne, répartis sous cinq grandes bannières : « aller à l’essentiel », « donner du sens », « jouer l’équipe », « faire preuve de courage » et « agir proactivement ». Une bible du parfait manager que les bons élèves affichent dans leur bureau. Mais qui en fait ricaner plus d’un dans les couloirs. « On ne peut qu’être d’accord avec ces principes. Mais ces mots sonnent creux, c’est de la com. L’entreprise aime les labels, les plaquettes, les discours. Sauf que derrière la belle vitrine il n’y a pas grand-chose », dénonce Raymond Icardi, délégué syndical Unsa.

3 MAINTENIR LA PAIX SOCIALE

Sous ses airs de multinationale, la Française des jeux cache une PME familiale qui essaie de cultiver la convivialité à coups d’opérations caritatives ou de voyages. Et sait se montrer généreuse avec les CE, richement dotés (à hauteur de 2,4 % de la masse salariale) pour leurs œuvres sociales. En matière de dialogue social, en revanche, programme minimal : la direction n’a jamais jugé utile de négocier le moindre accord syndical ni d’ouvrir l’intranet aux représentants du personnel. L’entreprise brille par sa très faible culture sociale. « Au siège, on a beaucoup de mal à mobiliser les salariés. Aux élections professionnelles, on n’atteint jamais le quorum », témoigne François Le Gatt, délégué CGC et ex-secrétaire du CE de Boulogne-Billancourt. Organisé en juin, le dernier scrutin n’a pas échappé à la règle, avec une faible participation. FO en est sortie victorieuse avec 59 % des voix, très loin devant la CGC (17 %) et l’Unsa (14 %).

De mémoire de salarié, l’entreprise n’a jamais connu la moindre grève. Hormis deux heures de débrayage voilà trois ans pour protester contre une tentative de remise en cause du calcul de la participation. Un projet vite abandonné par Christophe Blanchard-Dignac. « Le climat social se dégrade. Ce qui sauve l’ambiance générale, c’est la participation et l’intéressement », assure David Chianese. Un vrai jackpot. Cette année, l’enveloppe atteint 12,2 millions d’euros, contre 10,8 millions d’euros en 2012, soit 11 000 euros par salarié en moyenne. L’équivalent de 2,5 mois de salaire. Autre ligne rouge, le regroupement des sites franciliens. Maintes fois évoqué, le rapprochement des 600 salariés de Boulogne-Billancourt et des 200 de Moussy-le-Vieux, au nord de Roissy, ne s’est jamais matérialisé. « Historiquement, le Loto a commencé ici, dans la campagne seine-et-marnaise. Nous sommes propriétaires des locaux et des terrains. Mais on a bien compris que les dirigeants du siège n’entendaient pas s’y réinstaller », commente Ludovic Heikams, secrétaire FO du CE de Moussy.

En matière de package social, en revanche, la direction fait preuve de moins d’immobilisme. Mais s’arme néanmoins de patience pour revoir les généreuses politiques RH. Il lui a ainsi fallu de très longs mois pour obtenir des syndicats, en décembre dernier, l’instauration du forfait jours pour les cadres autonomes, jusqu’alors priés de badger. La renégociation à la baisse de l’accord 35 heures s’est soldée par l’explosion de son principal partenaire, la CGC, à l’époque majoritaire, dont l’essentiel des militants a rejoint FO. Autre dossier sur lequel Pierre-Marie Argouarc’h avance à pas de Sioux, la mise en place d’un dispositif de rémunération variable, actuellement réservé aux 90 plus haut gradés. « Mon ambition, c’est que les 700 cadres en bénéficient à terme », annonce le DRH. Sauf qu’à raison de 20 nouveaux élus par an, la généralisation promet d’être lente.

4 RÉINVESTIR LE RÉSEAU

Au panier, le maillot blanc siglé française des jeux. Cet été, à l’occasion du Tour de France, l’opérateur public a renommé son équipe cycliste FDJ.fr. Un symbole fort de la volonté de l’entreprise de pousser les feux du numérique, qui pèse pour l’instant moins de 400 millions d’euros. Au printemps, la Française des jeux s’est dotée d’une toute nouvelle direction digitale et clients, riche d’une soixantaine de collaborateurs, chargée de booster l’offre de jeux et de services numériques sur le site Internet, les smartphones et les tablettes. « On ne souhaite pas développer un canal de vente au détriment d’un autre. Notre ambition est d’accompagner nos clients dans tous leurs usages, notamment digitaux », précise Jean-Étienne Bouedec, le patron de l’entité.

Pas question pour l’opérateur de délaisser le réseau physique. Et pour cause : l’entreprise doit faire face tout à la fois à la fermeture de nombreux détaillants et à la contraction de son nombre de joueurs, par ailleurs vieillissants. Pour retenir ces derniers, la Française des jeux a caressé l’idée de concevoir une carte de fidélité. Baptisé Ariane, le projet – qui a mobilisé jusqu’à 80 personnes et coûté, de source syndicale, une vingtaine de millions d’euros – a été abandonné début 2012. Au cours des derniers exercices, la direction s’est également lancée dans un programme de rachat de ses courtiers mandataires. Des indépendants employant leur propre personnel et chargés de jouer les intermédiaires entre la maison mère et les points de vente.

Le 1er mai, l’opérateur a décidé de regrouper l’ensemble des entités acquises, qui pèsent 25 % des ventes du réseau, dans une structure unique. Avec l’ambition, à terme, d’externaliser les activités logistiques pour concentrer les troupes sur des fonctions d’animation commerciale. Présidée par Roland de Villepin, cousin de l’ex-Premier ministre, cette filiale emploie 300 personnes. « Ces salariés ont des contrats de travail, des pratiques, des cultures très divers. On a lancé un grand chantier d’harmonisation des statuts, en commençant par mettre en place une couverture santé et prévoyance unique », indique Pierre-Marie Argouarc’h. Le chantier devrait durer au moins un an. Et aboutir à un package nettement moins-disant que celui de la maison mère. Notamment en matière de participation.

REPÈRES

64,9 %

C’est le pourcentage des mises redistribuées aux joueurs. L’État en récupère 24 %, le réseau de distribution 5,9 % et la Française des jeux 5,2 %.

10,23

C’est l’écart de rémunération entre le plus bas salaire dans l’entreprise (24 000 euros annuels) et la rétribution du P-DG (245 484 euros).

RÉPARTITION DU CAPITAL
DATES CLÉS

1933

Création de la Loterie nationale. Les billets, émis par l’État, sont fractionnés par les associations d’anciens combattants et revendus aux particuliers.

1978

Deux ans après le tirage du premier Loto, création de la Société de la Loterie nationale et du Loto national (SLNLN).

1989

Création de France Loto, au capital de 500 millions de francs, dont l’État détient 72 %.

1991

France Loto devient la Française des jeux.

2010

Ouverture à la concurrence du marché des jeux en ligne.

Entretien avec le président-directeur général de la Française des jeux
« Face à la crise, notre modèle de jeu s’avère waterproof »

Dirige-t-on la Française des jeux ­comme une entreprise lambda ?

Oui et non. La Française des jeux se doit d’être performante, comme n’importe quelle entreprise. Mais sa finalité ne consiste pas à maximiser le profit. Sa mission, c’est de canaliser le jeu dans un circuit contrôlé. En veillant à offrir une gamme de produits tout à la fois attractive pour limiter le jeu illégal, et responsable pour éviter les excès.

C’est un peu schizophrène…

Non, nous avons une seule personnalité, pas deux. Il est clair que, dans une école de commerce, on n’apprend pas à faire décliner un produit parce qu’il marche trop bien. Nous, si. On l’a fait avec Rapido, qui pesait 24 % du chiffre d’affaires et dont on a volontairement divisé les ventes par deux. On a fait entrer la notion de « jeu responsable » dans notre ADN. Dès la phase de conception, nos jeux sont imaginés en intégrant des éléments de protection contre leur propre excès.

Cette spécificité interdit-elle toute ­ouverture du capital ?

Une telle décision relèverait de l’État mais, aujourd’hui, je n’y vois pas d’intérêt pour l’entreprise qui n’a pas de besoin de finan­cement et évolue dans un secteur sensible. Si je devais classer les parties prenantes par ordre d’importance, je citerais d’abord les clients. Puis les collaborateurs et la collectivité. Et, en dernière position, les actionnaires. À mes yeux, ce sont les salariés qui s’avèrent les plus soucieux de la durabilité de leur entreprise. À la Française des jeux, ils possèdent 5 % du capital et occupent 6 sièges au conseil d’administration sur 18. En tant que mandataire social, je ne possède aucune action.

Malgré la crise, votre chiffre d’affaires progresse. Faut-il s’en réjouir ?

Notre modèle de jeu s’avère waterproof. Mais jusqu’à un certain point. En Espagne, on a ainsi constaté que la loterie a d’abord résisté à la crise avant d’être rattrapée. Les Français jouent modérément, à hauteur de 193 euros par an, soit moins que la moyenne européenne. Mais les années de forte croissance sont derrière nous. Notre principal défi, c’est de parvenir à rester au contact du grand public, alors que nos points de vente traditionnels – les bars-tabacs et les maisons de la presse – connaissent des difficultés économiques.

Avez-vous vécu l’ouverture à la concurrence comme une menace ?

Nous n’avons jamais cru que les paris sportifs en ligne constitueraient un eldorado mais on anticipait qu’ils se développeraient davantage. En interne, on a tout fait pour se préparer au choc. D’autres entreprises publiques ont été confrontées, avant nous, à des bouleversements rapides de leur activité avec, parfois, des problématiques de stress au travail. On a fait en sorte de prévenir les risques. Notamment en réfléchissant en amont à une politique de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et en mettant en place un observatoire du bien-être au travail.

Vous restez néanmoins dans le haut du panier en matière sociale…

FDJ est une entreprise à dimension humaine, dont la culture sociale n’est pas de nature conflictuelle. Nos salaires ne sont pas excessifs par rapport au marché, ils se situent même plutôt un peu au-dessous pour une entreprise composée à 70 % de cadres. Notre dispositif d’intéressement et de participation nous permet de recruter des collaborateurs de grande qualité car il atteint, selon les années, de 16 à 20 % du salaire annuel.

Les rémunérations variables, elles, restent peu développées…

Dans une entreprise de cadres, il est normal qu’il y ait des objectifs à la fois qualitatifs et quantitatifs. Mais il faut laisser le temps à cette culture de s’installer, en commençant par le haut de l’escalier. À terme, tous les managers de proximité ont vocation à bénéficier d’une rémunération variable. Mais pas tous les salariés. Il est hors de question d’intéresser les coteurs aux rentrées financières qu’ils génèrent sur les paris sportifs, ou le médecin de notre équipe cycliste aux performances sportives réalisées par nos coureurs. Propos recueillis par Stéphane Béchaux et Jean-Paul Coulange

Christophe Blanchard-Dignac

59 ans.

1979

Intègre la direction du Budget.

1986

Conseiller technique du ministre de l’Économie Édouard Balladur.

1988

Sous-directeur au Budget.

1994

DGA de La Poste.

1995

Directeur du Budget.

2000

P-DG de la Française des jeux.

Auteur

  • Stéphane Béchaux