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Vie des entreprises

Saint-Nazaire et Turku à la lutte pour sauver l’emploi

Vie des entreprises | Match | publié le : 05.06.2013 | Rozenn Le Saint

Alors que le coréen STX a annoncé la vente de ses chantiers navals en Europe, les salariés de Saint-Nazaire sont plus sereins que ceux de Turku, dépossédés par les Français de la commande décisive du paquebot Oasis.

L’entrée du chantier naval de Saint-Nazaire a des allures de ville fantôme avec son parking désert. Celui du finlandais Turku, coincé entre une forêt de pins et la mer Baltique, est plein. Mais bientôt, ce sera l’inverse. Car, dans les chantiers navals, l’arrivée d’une commande fait l’effet d’une bombe à retardement. Avec la construction de deux bateaux de croisière allemands pour TUI Cruises, d’une valeur d’environ 800 millions d’euros, les 2 300 salariés de Turku ont matière à travailler pendant près de deux ans. Mais pour la suite, c’est l’inconnu. Le chantier de ce port distant de 170 kilomètres d’Helsinki sera mis en pause pour une durée indéterminée. À la tête des sites de Saint-Nazaire comme de Turku, les propriétaires se succèdent. Le coréen STX – devenu actionnaire majoritaire des ex-Chantiers de l’Atlantique en 2007 – a annoncé leur mise en vente le 4 mai, mais les salariés ne s’en émeuvent pas plus que cela. Contactée, la direction refuse de communiquer. Tant qu’aucun acheteur ne se présente, ils restent sous la coupe asiatique, voilà tout. Et si le nom du repreneur demeure la grande inconnue (voir l’encadré page 52), une chose est sûre : les chantiers européens de STX sont promis « à la découpe ». Alors, de Turku et de Saint-Nazaire, qui saura le mieux se vendre ?

L’Oasis raflé à Turku. Si la peur du vide n’est pas palpable dans l’estuaire de la Loire, c’est avant tout parce que les salariés nazairiens savent que l’État, actionnaire à 33 %, tend un solide filet de sécurité. Dans ce domaine, les travailleurs de Turku partent avec un sérieux handicap. La commande de l’Oasis 3, le plus grand paquebot du monde, logiquement censée revenir au chantier finlandais puisque c’est là-bas qu’avaient été assemblés les deux premiers modèles, lui a été raflé en décembre par son frère ennemi, Saint-Nazaire. Aujourd’hui, sa cale sèche de 365 mètres de long et 80 mètres de haut est déserte. Pourtant, « quelques semaines auparavant, quand on croyait ce contrat de 1 milliard d’euros acquis, cela avait été célébré dans toute la ville », se souvient Sanna Forslund, ancienne responsable du projet Trooli de la municipalité, destiné à accompagner les travailleurs du chantier au chômage partiel vers une reconversion ou une recherche d’emploi. À l’époque, la mairie de la cinquième ville du pays décide même de mettre un terme à ce programme cofinancé par le Fonds social européen, démarré en janvier 2010 parce que « 2009 avait aussi été une année catastrophique, le carnet de commandes était vide ». Avec la perte de l’Oasis, les 2 700 participants réguliers du projet Trooli sont de nouveau livrés à eux-mêmes.

Explication de ce revirement : compte tenu de son endettement colossal, STX n’était pas capable de fournir seul des garanties aux banques. Or le gouvernement finlandais a estimé qu’en tant qu’industriel le conglomérat devait se débrouiller et a refusé d’apporter sa caution. Contrairement à l’État français, qui a cédé à la pression de la maison mère au nom d’un protectionnisme à peine déguisé, en mettant en place un pool bancaire solide qui a rassuré RCI, le client américain. Résultat, Saint-Nazaire a remporté le gros lot. « Il y a un an, nous risquions l’asphyxie. La commande de l’Oasis a été accueillie comme une bouffée d’oxygène, permettant de sortir la tête de l’eau pendant trois ans, le temps de la construction, et d’espérer bâtir une deuxième série dans la foulée », se souvient Aymeric Seassau, conseiller régional PCF des Pays de la Loire. Le gouvernement finlandais, lui, en a eu le souffle coupé et a crié haut et fort à une entorse au principe de libre concurrence. En vain. Au sein de l’Union européenne, tous les coups restent permis ; STX l’a compris. Les connaisseurs du dossier en conviennent : puisque le carnet de commandes de Saint-Nazaire est plein, le moment est idéal pour attirer les repreneurs et éviter de le vendre pour une poignée d’euros. Par un effet de vases communicants, celui de Turku est quasiment vide. Et le timing, on ne peut plus désavantageux. D’autant plus que les clients seraient refroidis par « les prises de risques économiques de Turku, selon François Janvier, élu CFE-CGC au CE des chantiers nazairiens. Ici, nous sommes dans une situation saine, nous ne concluons pas de marché sans boucler la structure financière. En Finlande, le chantier a besoin de l’avance des commandes à venir pour financer la réalisation de celles en cours ».

À long terme, le ciel semble davantage dégagé côté Atlantique qu’en mer Baltique, car le bassin d’emploi nazairien a su se diversifier à double titre. En dehors de STX, d’abord, avec le développement de Total, et surtout du secteur aéronautique. « Mi-2014, nous serons en situation de quasi-pénurie de main-d’œuvre, prévoit même Philippe Jan, directeur du développement des entreprises à la CCI de Nantes. Airbus aura besoin de bras supplémentaires, la fabrication de l’Oasis aussi, qui demande des cadences très élevées. Ce sera aussi le moment où la branche éolienne de STX montera en charge. » Car, au sein même de l’entreprise, la diversification est amorcée. Fin 2012, le coréen a créé des business units pour chaque marché à saisir, comme les énergies marines. Encore une carte que le site sud finlandais ne peut pas jouer. Si l’ouverture aux nouveaux marchés a bien eu lieu, elle s’est faite site par site. Alors que le port de Turku reste spécialisé et dépendant de la fabrication des paquebots de croisière, son voisin Rauma produit plutôt des bateaux militaires ou destinés au tourisme, mais de plus petite taille, et celui d’Helsinki des navires brise-glace.

Main-d’œuvre flexible. Côté sous-traitants, le réseau de Saint-Nazaire, regroupé au sein de Neopolia, est solide. Celui de Turku aussi. Et compétitif, par-dessus le marché, car le coût de la main-d’œuvre y est moindre, avec environ 40 % du personnel provenant d’Europe de l’Est, payé au lance-pierres… Si les niveaux de rémunération au sein de STX sont à peu près similaires en France et en Finlande, avec un salaire annuel brut moyen d’environ 32 500 euros, il n’en est pas de même avec les sous-traitants. Russie, Pologne, Ukraine, pays Baltes…, 50 nationalités se côtoient sur le chantier de Turku, que seul un bras de mer sépare de l’Europe de l’Est. Une main-d’œuvre payée autour de 5 euros brut l’heure – contre 11 euros pour les jeunes recrues de STX, 19 euros pour les cols bleus les plus anciens – et remerciée souvent sans autre forme de procès. Le pendant de cette flexibilité incontrôlée ? Un turnover élevé. « Ce sont des travailleurs qui vont et viennent, constate Ari Rajamäki, responsable sûreté de STX. Pour chaque nouveau venu, l’entreprise consacre une semaine de formation à la sécurité. » Même écho du côté de Philippe Bouquet-Nadaud, ancien DRH des Chantiers de l’Atlantique de 1997 à 2007. À l’époque, il avait rendu visite à Turku à plusieurs reprises. « La pérennité des compétences est mise à mal par cette tentation du travail temporaire des pays de l’Est sans ancrage local, analyse-t-il. D’autant que le personnel vieillit : les jeunes Finlandais s’orientant davantage vers le bois ou l’électronique, avec Nokia, plutôt que vers la construction navale. »

C’est un fait : alors que la moyenne d’âge à STX Saint-Nazaire tourne autour de 42 ans, à Turku, elle dépasse les 50 ans. Et le passage de relais demande encore à être amélioré. Selon cet expert en ressources humaines, si les outils de production sont de qualité comparable, le capital humain semblerait plus optimisé dans l’Hexagone.

Clichés à la vie dure. En cette fin mai, chaque midi, les élus CGT (31 % de représentativité) et FO (8,4 %) forment une haie d’honneur syndicale à la sortie de la cantine pour appeler à parapher une pétition de rejet « en bloc » de l’accord compétitivité-emploi en cours de négociation. À l’entrée du site nazairien, les ronds-points portent encore de légers stigmates des palettes brûlées les jours de grève. Si seuls 10 % des salariés français de STX sont syndiqués, contre 99 % en Finlande – l’appartenance à une organisation représentative donnant accès à une complémentaire santé et à des indemnités de chômage complètes –, la tradition réformiste du pays nordique est plus appréciée des patrons. « C’est un syndicalisme de gestion, non politisé. Même si cela fait longtemps que cela n’est pas arrivé à Turku, les salariés sont capables de planter complètement le site si le chauffage est en panne ou si une prime n’a pas été obtenue. En revanche, ils ne cherchent pas à faire la révolution et ils entretiennent des rapports constructifs avec la direction », analyse Philippe Bouquet– Nadaud.

Quand le paquebot Europa a largué les amarres, en avril, « le patron de l’armateur allemand Hapag-Lloyd nous a dit qu’il avait longtemps hésité à venir à Saint-Nazaire par crainte des grèves alors que, finalement, il n’y en a eu aucune le temps de la construction, relate Marc Ménager, de la CFDT, syndicat majoritaire sur le site. Les clichés ont la vie dure ! » Reste que dans ce duel à distance Saint-Nazaire part, désormais, avec une longueur d’avance sur Turku.

STX Saint-Nazaire

Effectif : 2 00 salariés

Sous-traitants : environ 3 500 emplois

Chiffre d’affaires : 730 millions d’euros (2011)

STX Turku

Effectif : 2 300 salariés

Sous-traitants : environ 4 000 emplois

Chiffre d’affaires : 275,5 millions d’euros (2011)

Qui pour racheter ?

Les Chantiers de l’Atlantique, Alstom, l’ancien propriétaire, n’en veut plus, et le gouvernement a écarté une nationalisation du site. L’État pourrait envisager de piloter un pool plus large, incluant notamment DCNS. En Finlande aussi les rumeurs vont bon train. « La Russie détient déjà pour moitié le chantier naval d’Helsinki, mais je doute de ses moyens d’acheter STX Finlande. L’armateur chinois CSC Jinling, lui, les aurait », décrypte Pasi Malinen, professeur d’économie à l’université de Turku. « La meilleure option, selon Timo Eklund, économiste au syndicat majoritaire des chantiers, Metalli, serait celle proposée par les sous-traitants de STX qui envisagent de se rassembler pour racheter le chantier. Mais à condition que l’État entre aussi dans le capital… Ce n’est pas gagné. »

En France ou en Finlande, « les potentiels acheteurs ne se bousculent pas au portillon », constate Sébastien Hupin, secrétaire CGT du CE de Saint-Nazaire. Et d’ailleurs, Marie-Odile Bouillé, députée SRC de Loire-Atlantique, assure que « STX n’a pas signifié à Arnaud Montebourg sa volonté de vendre… Ce pourrait bien être un effet d’annonce destiné à rassurer les investisseurs, compte tenu de l’état de ses finances ». Le 3 avril, le conglomérat a annoncé qu’il n’était pas en mesure de rembourser ses dettes dans le temps prévu. Depuis, le cours de son action est en chute libre

Auteur

  • Rozenn Le Saint