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Enquête

De gros enjeux aussi chez les patrons

Enquête | publié le : 05.06.2013 | Nicolas Lagrange

Alors que la légitimité des organisations représentatives (Medef, CGPME, UPA) est mise à mal, d’autres frappent à la porte. Le gouvernement pousse à la réforme, sur fond de campagne électorale au Medef.

Pas touche à ma représentativité ! Pendant des années, le Medef et la CGPME ont exclu toute réforme dans ce domaine. En 2008, lors de l’examen du projet de loi sur la représentativité syndicale, la référence à une réforme ultérieure côté patronal est retirée. Pour les pouvoirs publics, l’affaire doit être réglée par les organisations patronales elles-mêmes. En décembre 2011, la CGPME et l’Usgeres (économie sociale et solidaire) présentent une proposition commune, sans lendemain, mais qui relance le débat. La donne ne change vraiment qu’en juillet 2012, à l’issue de la première conférence sociale : sous la pression du gouvernement, les organisations patronales acceptent de plancher sur une réforme, dont les modalités vont être enfin abordées ce mois-ci, lors de la deuxième conférence sociale.

Le sujet est tout sauf anecdotique. Certes, la capacité des trois organisations patronales reconnues à négocier et à s’engager au nom de leurs adhérents est réelle, mais leur légitimité est contestée. Lors des élections prud’homales de 2008, seulement 12 % des patrons d’entreprise d’au moins un salarié ont voté. En 2010, la participation a avoisiné 17 % aux élections des CCI et 18 % dans les chambres de métiers et de l’artisanat. Surtout, 76 % des représentants des directions jugent faible ou très faible la représentativité des orga ? nisations patronales, selon une enquête de la Dares menée en 2011 auprès de 4 000 d’entre eux.

Très peu de TPE au Medef. Il faut dire que les entreprises ignorent le plus souvent qu’elles sont indirectement adhérentes du Medef, de la CGPME ou de l’UPA. Elles sont nombreuses à cotiser à un ou plusieurs syndicats professionnels, lesquels adhèrent ensuite à une fédération professionnelle et parfois à une structure territoriale, ces deux dernières adhérant ensuite à la confédération. Par ailleurs, certaines confédérations ont du mal à coller au tissu économique. « Les TPE sont très majoritaires en France, les rapports donneurs d’ordres/sous-traitants se sont beaucoup étendus, or les relations économiques et sociales sont contrôlées par les grandes entreprises, dominantes au Medef », analyse Jean-Marie Pernot, chercheur à l’Ires, coauteur d’un rapport sur les formes de représentation du patronat. « Le Medef compte très peu de TPE et surestime son nombre d’adhérents indirects », ajoute Michel Offerlé (voir en tretien page 24), qui a dirigé un travail de recherche pour la Dares sur l’espace patronal français. Il ne totaliserait pas 800 000 adhérents indirects, mais de 300 000 à 350 000 au maximum. Le chercheur a recensé le nombre d’entreprises adhérentes revendiqué par chaque fédération et ajouté une estimation des entreprises cotisantes aux Medef territoriaux. Côté CGPME : le nombre d’adhérents indirects ne serait pas de 600 000, mais de moins de 300 000. Quant à l’UPA, elle compterait de 220 000 à 250 000 entreprises pour 300 000 adhérents revendiqués. En outre, ces chiffres incluent les doubles ou triples affiliations. Ainsi, l’Umih (hôtellerie-restauration), qui revendique 80 000 entreprises, adhère à la fois au Medef, à la CGPME et à l’UPA, venant gonfler d’autant leurs effectifs. L’UIMM et la FFB (bâtiment), 72 000 entreprises à elles deux, adhèrent au Medef et à la CGPME, comme 11 autres fédérations…, ce qui relativise la puissance des confédérations. Pour autant, le Medef pèse plus que les deux autres en termes de poids économique et de nombre de salariés ; ses moyens et son expertise sociale pointue (principalement via l’UIMM) lui permettent en outre de piloter les négociations interprofessionnelles.

Prompt à critiquer le millefeuille de l’administration territoriale française, le monde patronal s’intéresse encore peu à l’efficience de son système de représentation. Il conserve une multitude de branches et de structures diverses qui ont un coût humain et financier pour les entreprises », estime Jean-Paul Guillot, président de l’association Réalités du dialogue social (RDS) et chef d’entreprise lui-même. Plusieurs syndicats d’employeurs sont en concurrence dans un certain nombre de branches, sans que les syndicats de salariés sachent combien ils pèsent. C’est le cas dans la sécurité privée, avec huit organisations patronales, ou dans le cinéma et la coiffure, secteurs marqués par plusieurs contentieux. « Ces failles dans la représentation patronale compliquent les négociations, entravent la régulation d’un secteur d’activité, engendrent des distorsions de concurrence et peuvent compromettre la pérennité de certaines entreprises », déplore le député Jean-Frédéric Poisson, auteur d’un rapport ad hoc en 2009. Sur le plan interprofessionnel, lorsque Medef, CGPME et UPA signent l’ANI d’avril 2011 sur le logement des jeunes, l’accord ne s’applique qu’à leurs adhérents. Michelin n’est pas concerné, car le groupe adhère au Syndicat national du caoutchouc et des polymères, qui n’est membre d’aucune des trois organisations. Les exploitants agricoles, les professionnels libéraux et les entreprises de l’économie sociale et solidaire ne sont pas davantage concernés. A contrario, quand l’ANI de janvier 2013 sur la sécurisation de l’emploi est transposé en loi, il s’applique à toutes les entreprises. Ce qui pose aussi des problèmes. « La généralisation d’un plancher de 24 heures hebdomadaires pour les contrats à temps partiel a été actée. Ce n’est pas réaliste pour l’activité des professions libérales qui nécessite de la souplesse », proteste Michel Chassang, le président de l’UNAPL, qui veut faire de son organisation la quatrième représentative au niveau interprofessionnel. « On ne veut plus se contenter de strapontins dans quelques instances. »

Hormis la reconnaissance politique et médiatique, l’enjeu de la représentativité interprofessionnelle est… financier.

Au-delà de la reconnaissance politique et médiatique, l’autre gros enjeu de la représentativité interprofessionnelle est… financier. RDS a recensé plus de 300 types d’instances (locales, départementales, régionales, nationales et internationales), représentant près de 100 000 mandats patronaux… dont plusieurs milliers de mandats nationaux donnant souvent accès à des financements importants. Quelques chiffres tirés du rapport Perruchot de novembre 2011 sont éclairants : en 2010, le Medef a reçu plus de 12 millions d’euros de subventions publiques au titre de sa contribution aux organismes paritaires (31 % de ses recettes), la CGPME 6,8 millions (75 % de ses recettes !) et l’UPA 3,6 millions (11 % de ses recettes). Par comparaison, le budget total de l’UNAPL atteignait 2,4 millions la même année ! La reconnaissance d’un acteur de plus supposerait de répartir le gâteau en quatre parts au lieu de trois.

L’Usgeres préfère jouer la carte du consensus. Peu présente dans l’industrie, le commerce et la construction, elle ne réclame plus de représentativité interprofessionnelle. « Nous demandons un statut d’observateur dans les négociations interprofessionnelles afin que nos spécificités soient prises en considération, explique Sébastien Darrigrand, délégué général. Nous négocions de nombreux accords collectifs couvrant 13 branches professionnelles (bientôt 14, après le rapprochement avec le Syneas). Nous souhaitons donc la reconnaissance de ce niveau multiprofessionnel, entre les branches et l’interpro. » Ce qui impliquerait l’accès à une vingtaine d’instances nationales et territoriales tripartites et un financement ad hoc. Car, contrairement à l’UNAPL et à la FNSEA, l’Usgeres ne siège pas à la Commission nationale de la négociation collective, au Conseil économique, social et environnemental ou encore au Conseil d’orientation des retraites.

Quant à la FNSEA, elle affiche de petites ambitions. « Dès qu’un ANI est signé, nous souhaitons pouvoir négocier sur le même thème dans un délai raisonnable », assure Claude Cochonneau, son vice-président. Une position qui s’explique par la situation très privilégiée en termes de mandats et de subventions du principal syndicat agricole.

Si Medef, CGPME et UPA semblent prêts à quelques concessions, ils n’envisagent pas de scrutin de représentativité, contrairement au système en vigueur pour les confédérations syndicales. « Les organisations patronales n’engagent pas toutes les entreprises, seulement leurs adhérents, argumente-t-on au Medef. Le critère de l’adhésion est donc plus pertinent. Mais le nombre d’entreprises adhérentes doit être pondéré avec leur poids économique et avec leur nombre de salariés. » Difficile en effet de mettre sur le même plan une entreprise artisanale et un groupe du CAC 40.

« D’accord pour pondérer le nombre d’entreprises adhérentes avec leur nombre de salariés, réagit Pierre Burban, secrétaire général de l’UPA, mais le poids économique n’est pas opportun pour établir la capacité de négociation sociale. Les fédérations patronales pourraient déclarer un nombre d’adhérents, facilement contrôlable en cas de litige via les comptes et les certificats d’adhésion. La représentativité doit être ascendante, en partant des branches pour finir sur l’interpro. »

Mais les 15 000 adhérents de l’UIMM peuvent-ils être affectés à la fois au Medef et à la CGPME ? Beaucoup suggèrent d’établir une corrélation avec la cotisation. L’UIMM a versé 2,1 millions d’euros au Medef en 2011 et 150 000 euros à la CGPME ; 93 % de ses adhérents seraient donc rattachés au premier et 7 % à la seconde… Hostile à cette hypothèse, la CGPME propose un seuil de 8 % d’adhérents à atteindre dans les services, le commerce, la construction et l’industrie pour être représentatif à l’échelon inter professionnel. Les confédérations devraient en outre compter au moins 15 000 entreprises adhérentes à leurs structures territoriales et au moins 35 000 à leurs fédérations professionnelles. « Nous voulons tenir compte des autres organisations (UNAPL, Usgeres, FNSEA), explique Geneviève Roy, vice-présidente. La question des branches, elle, est spécifique et ne peut être traitée en même temps. » Bref, si un compromis est trouvé, il pourrait être a minima. Sans compter qu’il faudra préciser les règles de validation d’un accord : 30 % des suffrages ? La majorité des organisations ?

Pour résoudre l’équation, certains prônent une fusion des organisations patronales. D’autres militent pour une meilleure coordination entre les diverses composantes du monde patronal, à l’instar des candidats à la présidence du Medef (voir ci-contre). L’objectif est plus réaliste et les marges de progression sont réelles, au vu des relations exécrables entre Laurence Parisot et Jean-François Roubaud, le président de la CGPME…

Michel Offerlé
Professeur à l’ENS, auteur des Patrons des patrons : histoire du Medef (éditions Odile Jacob, mai 2013), de Sociologie des organisations patronales (éditions La Découverte, mai 2009).
“Le Medef ne fédère qu’une minorité d’entreprises françaises”

On parle le plus souvent du « patronat », en le réduisant au Medef, lequel assure représenter l’ensemble des entreprises de France. Est-ce vrai ?

Oui et non. Tout dépend de ce que l’on entend par représenter. Le Medef est en effet reconnu comme portant la parole des entreprises, des entrepreneurs et des patrons. Il l’est par les pouvoirs publics et les organisations syndicales et aussi par tous ses détracteurs qui voient en lui le lieu où s’incarnent la politique patronale et l’expression de l’esprit actuel du capitalisme. Mais cette représentation est partielle, parce que tous les secteurs de l’économie française n’y sont pas présents et parce que ses adhérents indirects sont très majoritairement des entreprises de taille importante ou moyenne. Économiquement, en termes de chiffre d’affaires, ou socialement, par le nombre de salariés, il regroupe bien un pourcentage très important des entreprises françaises. Démographiquement, en revanche, il ne confédère qu’une minorité de ces entreprises. Le chiffre avancé par ses porte-parole (800 000 adhérents) est très surévalué. De plus, ses adhérents indirects sont pour la plupart aussi adhérents à la CGPME.

Pourquoi le sentiment d’appartenance des chefs d’entreprise aux organisations patronales est-il souvent très ténu, par comparaison avec les salariés syndiqués ?

Les entreprises adhérentes à une organisation patronale cotisent d’abord pour pouvoir bénéficier des services qu’offrent les fédérations et les unions en contrepartie des cotisations. Nombre d’adhérents dépendent d’une fédération et peuvent parfaitement ignorer que celle-ci adhère au Medef (et/ou à la CGPME). Les occasions permettant de produire un sentiment d’appartenance, une « identité commune » (militantisme, débats d’orientation) sont rares. Seuls les adhérents directs aux unions territoriales et les permanents et chefs d’entreprise impliqués dans les débats nationaux peuvent avoir ce sentiment « médéfien ».

Les clubs, associations, mouvements de pensée, think tanks… se sont multipliés dans la sphère patronale. Comment expliquer cette diversification ?

Le Medef national ne peut pas tout faire. Son budget est très faible (3 ou 4 %) par rapport à l’ensemble de ses composantes. Il ne veut pas tout faire non plus. De plus, nombre d’entrepreneurs qui veulent agir collectivement ne sont pas forcément intéressés par le Medef : les P-DG d’entreprises mondiales ont l’Afep ou des clubs cooptatifs internationaux, certains chefs d’entreprise préfèrent des structures associatives n’impliquant pas un investissement dans les relations sociales, très prégnantes dans les confédérations. D’autres encore souhaitent se consacrer à ce qu’ils appellent le « militantisme économique », que l’on trouve dans une multiplicité de clubs d’entrepreneurs et dans des structures d’aide à la création d’entreprise. Les plus militants choisissent des engagements plus coûteux et plus impliquants, comme au CJD ou aux EDC.

Est-il difficile de faire des recherches sur la représentativité patronale ?

Pour un chercheur, s’intéresser à ces questions est aride et coûteux. Enquêter sur ce terrain risque aussi de priver le sociologue d’interlocuteurs. C’est ce qui m’est arrivé… partiellement. Propos recueillis par Nicolas Lagrange

Ce qu’en disent les candidats à la présidence du Medef

Pierre Gattaz

Président du directoire de Radiall

« Tenir compte notamment du critère d’adhésion, sans se limiter à un simple comptage. Rationaliser structures patronales et branches dans un souci d’efficience et de lisibilité. Renforcer la coordination Medef-CGPME-UPA, notamment par un comité opérationnel de liaison. »

Geoffroy Roux de Bézieux

Président d’Omea Telecom

« Tenir compte du nombre d’entreprises adhérentes et du poids de leurs cotisations. Relancer le Comité de liaison des décideurs économiques en l’élargissant aux autres organisations non représentatives, Afep, CJD, CroissancePlus, Ethic… »

Patrick Bernasconi

Président de Bernasconi TP

« Tenir compte notamment du nombre d’entreprises adhérentes, de leur poids économique et du montant des cotisations. Rationaliser les branches professionnelles. Favoriser une coordination systématique entre Medef et CGPME. »

Thibault Lanxade

P-DG d’Aqoba

« Retirer quelques couches au mille-feuille patronal, regrouper des fédérations, réduire le nombre de branches. Réserver une place à la CGPME dans les instances nationales du Medef et réciproquement. »

Hervé Lambel

Gérant de HLDC

« Supprimer les financements publics au niveau interprofessionnel. Renverser la hiérarchie de la norme sociale (primauté de l’entreprise sur la branche et l’interpro). Accompagner les entreprises dans leurs négociations. »

Auteur

  • Nicolas Lagrange