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Les cadres ont droit à leur différence

Dossier | publié le : 05.06.2013 | Sabine Germain, Éric Béal

Alors que la Cour de cassation entérine les avantages catégoriels, les entreprises sont dans le flou pour adapter leur régime de prévoyance aux critères du décret qui en définit le caractère collectif. Du côté de la santé, elles attendent les suites de l’accord sur la sécurisation de l’emploi.

Comment continuer à accorder des avantages particuliers aux cadres en matière de prévoyance et de retraite ? C’est la question à laquelle toutes les entreprises de France devront avoir répondu le 1er janvier 2014 pour ne pas subir les foudres de l’Urssaf. La période est délicate pour les directeurs des affaires sociales des entreprises, qui semblent coincés entre le récent revirement de jurisprudence effectué par la Cour de cassation et un décret toujours en vigueur.

Après avoir auditionné des organismes de protection sociale et les partenaires sociaux, les Sages du Quai de l’Horloge ont en effet tranché le 13 mars dernier et choisi de donner un coup d’arrêt à la conception « égalitariste » du traitement des salariés (voir l’encadré page 72). En créant une exception à leur jurisprudence pour les régimes de prévoyance, ils légitiment les avantages catégoriels et écartent l’obligation de présenter des raisons objectives pouvant être contrôlées par un juge pour justifier les différences d’avantages entre catégories professionnelles. Un coup de tonnerre après cinq années de décisions inverses, au cours desquelles la Cour a sanctionné des entreprises qui opéraient une différence de traitement entre les salariés cadres et non cadres. Elle estimait alors que l’appartenance à une autre catégorie professionnelle ne pouvait justifier une différence de traitement entre salariés placés dans des situations identiques.

Pour autant, le décret du 9 janvier 2012 qui détermine des « critères objectifs pour la définition du caractère objectif et obligatoire des garanties de prévoyance et de retraite ouvrant droit à des exclusions d’assiette de cotisation de Sécurité sociale » sera bien appliqué par l’Urssaf. En rejetant le recours en annulation introduit par la CGT et la CFE-CGC, le Conseil d’État l’a renforcé le 15 mai dernier. « Ce décret présente cinq critères objectifs qui justifient une différence de couverture entre salariés d’une même entreprise. On peut déduire de ces précisions qu’en dehors de ces critères acceptés par l’Urssaf le principe de l’égalité de traitement est encore la norme », explique Marie-Christine Darcas, responsable grands comptes au département prévoyance-santé chez Mercer. Deux textes, deux logiques distinctes. Or la période de transition fixée par le décret de 2012 permettant aux entreprises d’adapter leurs régimes de prévoyance et retraite prend fin le 1er janvier 2014. Après cette date, l’Urssaf pourra redresser une entreprise si elle considère que ses différents régimes de prévoyance collective ne répondent pas aux critères définis dans le décret. La question se pose de savoir si les entreprises doivent s’en tenir au décret ou bien si elles peuvent épouser la logique de la Cour de cassation sans rien changer à leurs divers régimes.

La réponse est d’autant plus délicate qu’une circulaire, censée expliquer comment appliquer le décret, attend toujours sur le bureau de Marisol Touraine, la ministre des Affaires sociales, de recevoir une signature. Parmi les experts, peu nombreux sont cependant ceux qui espèrent la voir arriver avant la date fatidique. « Elle ne sortira pas, prédit Marie-Christine Darcas. La loi de sécurisation de l’emploi généralise la couverture santé obligatoire à tous les salariés. Elle va donner lieu à des négociations entre partenaires sociaux qui peuvent faire ressortir l’inadéquation de certains critères. La ministre attendra. »

Négociations à venir. A priori, le flou est total pour les directions d’entreprise. Pour autant, la situation ne paraît pas si inextricable aux experts. « L’objectif numéro un est de ne pas jouer avec le feu. Il faut harmoniser les régimes quand cela fait sens et respecter les critères du décret là où il est nécessaire de maintenir des différences », affirme Me David Rigaud, du cabinet éponyme. « Je conseille à nos clients d’adopter une lecture littérale du décret, indique Éric Teboul, directeur du pôle conseil chez Adding, un cabinet de conseil en actuariat et gestion RH. L’arrêt de la Cour de cassation sécurise les entreprises sur le plan juridique, mais il est préférable de se conformer aux critères du décret pour éviter les mauvaises surprises sur le plan financier. »

Pour les directeurs des affaires sociales, cela ne peut signifier qu’une chose : ouvrir des négociations pour modifier leurs accords de prévoyance afin de justifier l’existence de régimes différenciés par catégories de salariés. Une perspective envisagée par Marc Veyron, directeur des affaires sociales France de Capgemini. « Nous allons toiletter notre accord de prévoyance pour nous mettre en conformité avec le décret avant le 31 décembre, affirme-t-il. C’est une mesure de prudence. Cela ne changera rien pour les salariés. La modification portera sur la rédaction de l’accord. Nous étudions néanmoins quelques améliorations de garantie pour inciter les partenaires sociaux à la signature. » Chez EADS, l’exercice a déjà eu lieu. L’avenant à l’accord-cadre de groupe sur les régimes collectifs de prévoyance modifie les dénominations associées aux différentes catégories bénéficiaires des deux régimes. Le « personnel cadre et non cadre forfaité » devient « personnel cadre et non cadre assimilé articles 4 et 4 bis », et le personnel non cadre prend la dénomination « non cadre hors 4 bis ». Mais les différences entre les régimes restent inchangées. Chez Euriware, une SSII filiale d’Areva, les discussions n’ont pas encore commencé. « Je ne sais pas si cela sera nécessaire, indique Emmanuel Bianchi, DS CGT. L’accord de groupe respecte scrupuleusement l’accord de branche sur les prestations du régime de prévoyance. Cela devrait nous mettre à l’abri des mauvaises surprises. » Voire.

Reste qu’une majorité de grandes entreprises se sont déjà lancées dans un rapprochement de leurs régimes de prévoyance. C’est particulièrement vrai sur la couverture santé. « Les sondages que nous avons effectués auprès de notre clientèle montrent que 60 à 80 % des entreprises de plus de 1 000 salariés ont adopté une couverture des frais de santé identique pour les cadres et les non-cadres », indique Éric Teboul. Abdelkader Berramdane, directeur de la veille législative chez ADP, confirme. « Les plus grandes entreprises ont déjà rapproché les régimes cadres et non cadres. Mais elles attendent la conclusion des négociations engendrées par la loi de sécurisation de l’emploi pour aller plus loin. » S’agissant de ses propres salariés, ADP a déjà gommé toutes les dispositions différentes entre les régimes cadres et non cadres pour les couvertures santé, accidents et prévoyance lourde.

Chez Total, l’égalité entre cadres et non-cadres existe depuis longtemps dans chaque unité économique et sociale, assure un porte-parole. Elle est doublée d’un socle commun sur la couverture incapacité-invalidité. DRH France d’EADS, Frédéric Agenet indique que le rapprochement entre les régimes est effectif pour les frais de santé et envisagé pour la prévoyance lourde. « Sur la prévoyance, nous sommes confrontés à un problème d’équilibre du régime non cadre que nous devons régler préalablement, précise-t-il. Mais l’objectif de rapprocher les régimes a été discuté avec les représentants syndicaux et figure clairement dans l’accord-cadre du groupe. Il ne résulte pas d’une analyse juridique. Nous estimons que les différences entre cadres et non-cadres n’ont pas lieu d’être s’agissant des remboursements des frais de santé et la prévoyance. Mais cette position de principe peut être différente pour d’autres sujets lorsque c’est justifié. »

Les PME, elles, n’ont pas bougé. Il leur reste six mois pour entrer dans les critères du décret du 9 janvier 2012. Pour éviter de se voir sanctionner, elles peuvent interroger l’Urssaf, qui a trois mois pour répondre. « Une chose est sûre, estime Marie-Christine Darcas : les améliorations de la couverture prévoyance et retraite octroyées aux cadres dirigeants par certaines entreprises sont vouées à disparaître. » Les différences de traitement dans chaque catégorie étant toujours proscrites. À charge pour les entreprises de trouver un autre outil de fidélisation.

Un revirement de jurisprudence

Les trois arrêts de la Cour de cassation du 13 mars 2013 ont fait grand bruit dans le Landerneau des spécialistes de la prévoyance. « Jusque-là, la Cour avait tendance à considérer que les différences d’avantages entre catégories de salariés n’allaient pas de soi, explique David Rigaud, avocat. Il fallait démontrer qu’elles corrigeaient des désavantages subis sur le poste de travail. Or les entreprises bénéficient d’avantages fiscaux sur le financement des contrats de prévoyance, de la mutuelle ou des retraites complémentaires couvrant leurs salariés. À condition qu’ils aient un caractère collectif et obligatoire. Une jurisprudence de la Cour de cassation critiquant les différences entre régimes cadres et non-cadres pouvait, à terme, se traduire par le refus d’appliquer les diminutions de cotisation de la part de l’Urssaf. » Trois affaires lui étaient présentées.

Dans la première affaire, des salariés contestaient la prise en charge différente de cotisations à une mutuelle d’entreprise selon les catégories, en s’appuyant sur le principe d’égalité de traitement.

D’autres salariés refusaient la création d’un régime complémentaire maladie-invalidité institué au seul profit des cadres de leur entreprise. Dans la troisième affaire, les représentants des salariés et ouvriers contestaient une moindre prise en charge par l’entreprise des cotisations à leur mutuelle, comparée à celle accordée aux cadres.

En estimant qu’en santé, prévoyance et retraite « l’égalité de traitement ne s’applique qu’entre salariés d’une même catégorie professionnelle », les Sages du Quai de l’Horloge sont revenus à une conception classique de la protection complémentaire qui a notamment engendré la création de deux régimes de retraite : l’Arrco pour les salariés et l’Agirc pour les cadres.

Auteur

  • Sabine Germain, Éric Béal