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Vie des entreprises

Des praticiens sous contrôle des réseaux de soins

Vie des entreprises | Décryptage | publié le : 04.05.2013 | Nicolas Lagrange

Optique, dentaire, audioprothèse…, les réseaux des complémentaires santé troquent tarifs à la baisse contre apport de clientèle. Avantages et inconvénients pour les professionnels de santé.

Économiser jusqu’à 40 % sur ses lunettes ou ses prothèses auditives, jusqu’à 20 % sur ses prothèses dentaires…, la perspective est séduisante, tant pour les particuliers que pour les entreprises, dans le cadre des contrats collectifs. C’est ce que propose Santéclair, le plus important réseau de soins par sa diversité et par sa taille, créé il y a dix ans à l’initiative d’Allianz, Maaf-MMA et Ipeca (aéronautique), trois complémentaires rejointes depuis par 19 autres. Soit un vivier de 6,5 millions d’adhérents, contre 3 millions à l’origine, susceptibles d’utiliser la plate-forme téléphonique de Santéclair et de consulter ses 6 ? 000 professionnels conventionnés. Avec à la clé des tarifs réduits, voire de meilleurs remboursements. Le nombre d’utilisateurs progresse régulièrement : environ 1 million d’adhérents ferait appel chaque année à, au moins, un professionnel partenaire.

« Dans le dentaire, nous travaillons avec 2 800 chirurgiens-dentistes, indique Marianne Binst, fondatrice et directrice générale de Santéclair. Sur tous les actes où les tarifs ne sont pas imposés par l’Assurance maladie, principalement les prothèses, nous avons négocié avec tous les praticiens volontaires des baisses de 15 à 20 % par rapport à la moyenne des prix constatés dans leur secteur géographique. » Dans son contrat d’une dizaine de pages, le praticien s’engage à être contrôlé régulièrement (environ un acte sur cinq), sur les prix comme sur la qualité. « Et, en cas de négligence grave, il est exclu du réseau, ce qui arrive à cinq ou six professionnels chaque trimestre. En contrepartie, l’apport de notre clientèle génère un surcroît de chiffre d’affaires de 27 000 euros par an en moyenne », ajoute Marianne Binst.

Dans les zones à très forte densité médicale, l’appartenance à un réseau de soins peut constituer un avantage concurrentiel décisif. « C’est du détournement de patients. Par ailleurs, les praticiens des réseaux deviennent de plus en plus dépendants des clients qui leur sont envoyés, estime Catherine Mojaïsky, présidente de la Confédération nationale des syndicats dentaires (CNSD). Enfin, pour afficher des prix beaucoup plus bas, il faut être moins regardant sur la qualité des prothèses. »

Assurés mieux remboursés. La CNSD a fait un autre choix. Depuis 1996, elle a signé avec la MGEN un protocole collectif auquel adhèrent près de 25 000 chirurgiens-dentistes (62 % de la profession). Les tarifs des actes sont plafonnés, mais les plafonds sont relativement élevés. La mutuelle s’engage de son côté à mieux rembourser les assurés qui choisissent ces praticiens et à pratiquer le tiers payant. « L’apport de clientèle est très limité, mais les assurés se font soigner plus facilement, ce qui améliore l’accès aux soins », argumente la Dre Mojaïsky.

Pourtant, ces remboursements différenciés, selon que le patient fréquente ou non un réseau de soins, ne sont pas autorisés pour les mutuelles, alors qu’ils le sont pour les assureurs et les institutions de prévoyance. Une faille mise en avant par d’autres syndicats dentaires, et qui a poussé quelques chirurgiens-dentistes à attaquer en justice la MGEN, laquelle a été condamnée à plusieurs reprises. D’où, en novembre 2012, la proposition de loi Le Roux – aujourd’hui au point mort – pour remédier à ce vide juridique. Plusieurs syndicats de médecins ont profité du débat parlementaire pour tenter d’obtenir l’interdiction aux complémentaires santé de négocier des plafonds d’honoraires.

Les clients “réseau” Santéclair apporteraient aux opticiens 82000 euros de chiffre d’affaires par an

Plafonds d’honoraires. « Si le cahier des charges du médecin (conditions de présence, de tarifs, de réalisation, de délais) était fixé par l’assureur, on aurait des dérives pouvant altérer la qualité des soins, juge Michel Chassang, président de la CSMF, le principal syndicat de médecins. On peut imaginer un cadre collectif négocié entre un réseau et les syndicats comportant des plafonds d’honoraires, mais avec des conditions identiques sur tout le territoire. » À l’instar de ce qui a été signé dans le secteur dentaire… « Quand on négocie avec un syndicat professionnel, les prix ne baissent jamais, assure Marianne Binst, de Santéclair. C’est immoral de refuser qu’on négocie avec les médecins, dont le lobbying est très puissant. Nous devons pouvoir proposer des plafonds d’honoraires aux médecins qui le souhaitent, en échange de patients plus nombreux. » « Je trouve regrettable que les complémentaires ne puissent peser sur les excès tarifaires d’une partie des médecins du secteur 2 (honoraires libres) qui abusent de leur droit à dépassement, juge Claude Leicher, président de MG France, premier syndicat de médecins généralistes. Les dépassements d’honoraires ont explosé, quasi exclusivement chez les spécialistes, et ils concernent 80 % de la population. Quand on se réclame d’un exercice libéral de la médecine, il faut accepter le jeu de la concurrence. »

La MGEN est la première à avoir mis en place des plafonds d’honoraires dans certains hôpitaux et cliniques, avec l’accord du représentant médical et de chaque praticien, sur la base du volontariat. La mutuelle examine le nombre d’actes du médecin au cours des trois dernières années, détermine la moyenne de ses dépassements et lui propose un plafond très proche de cette moyenne. Mais la MGEN bloque depuis plusieurs mois toute nouvelle entrée dans le dispositif, car les accords qu’elle a déjà signés pourraient être caducs si le Parlement interdit toute négociation sur les dépassements d’honoraires des médecins.

Heureusement pour les complémentaires, pas question de remettre en cause les réseaux de soins dans l’optique, le dentaire et les audioprothèses, qui constituent leur cœur de cible, car elles sont les principaux payeurs devant l’Assurance maladie. « En 2008, nous avons créé un réseau “fermé” dans l’optique, à numerus clausus, relate Christophe Lafond, délégué national de la MGEN. Nous avons établi un cahier des charges, déterminé le nombre d’opticiens souhaité par zone géographique et fait un appel d’offres. Finalement, sur 4 500 candidatures, nous n’en avons retenu que 1 800. Nous avons renouvelé le réseau en 2011 après un second appel d’offres : 35 opticiens ont dû partir, faute d’amélioration de leurs propositions tarifaires. Il n’y a pas eu de prime au sortant. » Le réseau de la MGEN, gère près de 700 000 achats d’équipements par an et il est utilisé par les deux tiers de ses 3 millions d’adhérents, selon la mutuelle.

Réseaux optiques très prisés. Moins nombreux, les opticiens des réseaux fermés ont plus de contraintes, doivent baisser davantage leurs prix, mais récupèrent beaucoup plus d’assurés. Santéclair, dont le réseau fermé compte près de 2 000 opticiens, estime que cette manne de clients leur apporte en moyenne 82 000 euros de chiffre d’affaires par an.« Le flux de clients représente parfois jusqu’à la moitié du chiffre d’affaires d’un magasin, estime Bruno Depyper, responsable des relations avec les complémentaires santé pour Optical Center. L’appartenance à Santéclair génère en moyenne deux clients supplémentaires par jour. » Très prisés des complémentaires, les réseaux de soins optiques servent déjà un quart des assurés en France… Et les 4,5 millions d’assurés d’Humanis vont bientôt rejoindre Itelis, le réseau d’Axa, donnant naissance au premier réseau optique avec 8 millions d’utilisateurs potentiels.

En plus de l’optique et du dentaire, les complémentaires misent depuis peu sur les audioprothésistes. La MGEN revendique plus de 2 300 centres partenaires depuis le 1er janvier, ce qui correspondrait à 70 % de la profession. La mutuelle leur demande des réductions tarifaires pouvant atteindre 15 % et contrôle le respect des bonnes pratiques (diagnostic complet et suivi). C’est un réseau ouvert, qui accueille tous les praticiens répondant au cahier des charges. « Les audioprothésistes qui travaillent peu adhèrent plus facilement, pas les gros labos, souligne Luis Godinho, président du Syndicat national des audioprothésistes (principale organisation). Les remises tarifaires demandées ne sont pas très élevées, elles tournent autour de 5 %. Mais c’est un secteur inélastique aux prix : ce n’est pas parce que c’est moins cher que les assurés vont acheter beaucoup plus d’aides auditives. » Luis Godinho dénonce les offres de certains réseaux qui proposent un appareillage à 700 euros. « À ce prix-là, on travaille à perte ou on diminue la qualité. Le prix plancher se situe plutôt autour de 1 000 euros, car il englobe les visites de suivi (nettoyage, changement de piles, réglages) pendant la durée de vie de l’appareil (cinq ans en moyenne). »

Il évoque aussi une dépendance à l’égard des réseaux et met en avant la concurrence malsaine entre complémentaires pour tirer les prix vers le bas. « La surenchère peut générer des dérives, il serait préférable d’élaborer un cadrage national avec l’Assurance maladie, admet Christophe Lafond, de la MGEN. Mais, dans notre réseau, l’audioprothésiste garde la main sur l’appareillage qu’il propose, on ne s’immisce pas dans ses pratiques. »

Les complémentaires santé investissent également le champ de l’ostéopathie, ce qui correspond à une demande forte de leurs adhérents. La MGEN commence à référencer des médecins ostéopathes et Santéclair vient de monter son réseau avec des ostéopathes dits « exclusifs », ayant cinq ans d’expérience. « Santéclair les présente comme des professionnels de santé, alors qu’ils ne le sont pas, proteste Corinne Le Sauder, présidente du Syndicat national des médecins ostéopathes. Leur champ de compétences est limité, ils n’ont pas de code de déontologie et pas obligation d’avoir une assurance responsabilité professionnelle. Ils peuvent être intéressés par les tarifs raisonnables proposés par Santéclair, d’autant plus qu’il y a trop d’ostéopathes en France. Mais le réseau réduira progressivement les tarifs et ils devront s’aligner pour ne pas perdre leur clientèle. »

Diététiciens, kinésithérapeutes, infirmiers libéraux…, de nouveaux partenariats entre professionnels de santé et réseaux pourraient se développer. « Les complémentaires doivent apprécier si elles ont un intérêt à agir, indique Alain Rouché, directeur santé à la FFSA. Il faut un reste à charge plus faible pour les assurés, grâce à une baisse des prix, et une bonne qualité de prestation contrôlable par l’assureur. Car la montée en puissance prend de nombreuses années. » L’essor des réseaux de soins semble en tout cas inexorable, surtout avec un pouvoir d’achat en berne. Si l’opposition de nombreux syndicats reste vive, de plus en plus de professionnels de santé se laissent tenter par ces nouveaux interlocuteurs qui prospèrent dans les domaines délaissés par l’Assurance maladie.

Les principaux réseaux de soins :

Santéclair

(Maaf-MMA, Allianz, GMF…), 6,5 millions d’assurés

Kalivia

(Malakoff-Médéric et Union Harmonie Mutuelles), 7 millions d’assurés

Sévéane

(Groupama et Pro BTP), 6 millions d’assurés

Itelis

Itelis (Axa, Axéria…), 4 millions d’assurés

MGEN

3 millions d’assurés

Carte blanche

(Swiss Life, GMC…), 2,5 millions d’assurés

Les centres de santé, partenaires naturels des réseaux de soins

Ils sont près de 15 000 médecins, infirmiers, dentistes ou kinésithérapeutes, exercent souvent en mode pluridisciplinaire, ne pratiquent pas de dépassements d’honoraires, systématisent le tiers payant… Ils sont salariés des centres de santé, mais sont rarement référencés par les réseaux de soins, qui leur envoient peu de patients. « On passe des conventions avec certains centres, mais c’est loin d’être systématique ; ils n’ont pas un traitement particulier », admet Marianne Binst, de Santéclair. Il est vrai que les 1 500 centres français, gérés par des associations, des mutuelles ou des communes, sont inégalement répartis sur le territoire et sont parfois encore assimilés aux dispensaires d’antan.

« Nous évoluons dans le cadre d’un projet d’établissement, mais nous conservons une totale indépendance dans le choix de nos pratiques, note Éric May, président de l’Union syndicale des médecins de centres de santé. Nous faisons un travail de qualité, même si on veut de plus en plus nous imposer une rémunération à l’activité. »

Le développement des réseaux de soins permet-il d’accroître l’accès aux soins ? « Si les complémentaires s’impliquent autant dans les réseaux, c’est parce que l’Assurance maladie a déclaré forfait et laissé dériver les honoraires. La solution, ce sont des réseaux de soins 100 % publics », plaide Éric May. Ce qui nécessiterait de revoir le modèle économique des centres de santé, car beaucoup ne parviennent pas à équilibrer leurs comptes.

Auteur

  • Nicolas Lagrange