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Politique sociale

La Halde disparue, la lutte continue

Politique sociale | publié le : 04.05.2013 | Sabine Germain

En mars 2011, le Défenseur des droits absorbait la Halde. Depuis, la lutte contre les discriminations et pour l’égalité a perdu en visibilité. Mais pas en efficacité.

Depuis deux ans, le nombre de saisines du Défenseur des droits au titre des discriminations baisse de 20 % chaque année : de 12 000 en 2010 elles sont passées à 10 000 en 2011 puis à 8 000 en 2012. L’hypothèse d’un recul des inégalités dans la société française étant exclue, on pourrait en conclure que les victimes de discriminations ont perdu l’adresse de leur défenseur. Pourtant, les 40 juristes de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) sont toujours installés rue Saint-Georges, à Paris. En revanche, la Halde a disparu du paysage : tout comme le Défenseur des enfants, la Commission nationale de déontologie de la sécurité et le Médiateur de la République, dont les missions et les moyens ont été confiés au Défenseur des droits, institué par la loi organique du 29 mars 2011. Nommé pour six ans par le Président de la République, Dominique Baudis est devenu le premier Défenseur des droits trois mois plus tard : il a pris ses quartiers dans les bureaux du Médiateur de la République, à deux pas de la Concorde, où les quatre missions et leurs 240 collaborateurs devraient à terme être réunis.

Cette nouvelle institution, voulue par Nicolas Sarkozy sur le modèle espagnol du Défenseur du peuple, est née dans la douleur. En juin 2010, une cinquantaine d’associations et de syndicats (Ligue des droits de l’homme, Fnath, Aides, SOS Racisme, CGT, CFDT, FO…) ont créé le collectif SOS Halde pour manifester leur refus de voir cette haute autorité, qui commençait tout juste à trouver sa vitesse de croisière, se faire absorber. Et se sont joints à l’appel alors lancé par le comité consultatif de la Halde. « Je n’avais rien contre la notion de Défenseur des droits, que je trouvais même plutôt séduisante, se souvient Catherine Tripon, signataire de l’appel en tant que membre du comité consultatif et porte-parole de L’Autre Cercle, fédération d’associations contre les discriminations faites aux lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres en entreprise. Mais ses prérogatives me semblaient trop limitées. De plus, la mission de lutte contre les discriminations et pour l’égalité risquait d’être diluée dans ce nouvel ensemble. »

Des recommandations suivies. De fait, cette mission n’a plus la même visibilité que du temps de la Halde. Dominique Baudis le reconnaît lui-même : « Laissez-nous un peu de temps ! Après une période de rodage, le Défenseur des droits n’est réellement opérationnel que depuis un an. » « N’oublions pas que la Halde a mis cinq ans à se faire connaître, après avoir bénéficié de campagnes de communication importantes, plaide Mansour Zoberi, membre du collège “lutte contre les discriminations et promotion de l’égalité”. En deux ans, le Défenseur des droits a su se faire connaître : quand il s’exprime (sur la scolarisation des enfants roms, par exemple), sa voix porte. » Politiquement et juridiquement : « Dans 90 % des cas, nos recommandations sont suivies par les magistrats, voire citées dans les attendus des décisions de justice », se félicite Maryvonne Lyazid, adjointe du Défenseur des droits et vice-présidente du collège « lutte contre les discriminations ». Les condamnations peuvent être lourdes : une directrice commerciale mise à l’écart après son retour d’un congé maternité et d’un congé parental d’éducation a saisi le tribunal de prud’hommes. Accompagnée par le Défenseur des droits durant toute la procédure pour discrimination, elle a obtenu 210 000 euros de dommages et intérêts.

Ce que la mission de lutte contre les discriminations et pour l’égalité a perdu en visibilité, elle l’a gagné en efficacité, estime Dominique Baudis : « De nombreux sujets sont transversaux. Nous avons ainsi été saisis par deux familles d’enfants handicapés pour refus d’accès à des activités périscolaires. Auparavant, elles auraient pu saisir trois institutions (la Halde, le Défenseur des enfants et le Médiateur de la République) et obtenir des réponses différentes. » L’exemple fait sourire Anne-Sarah Kertudo, juriste bilingue en langue des signes : « J’ai soumis au Défenseur des droits le dossier d’un prisonnier sourd qui ne parvenait pas à obtenir un interprète. Les différents services ont passé plusieurs mois à se demander comment qualifier cette discrimination. Jusqu’à ce que j’aille frapper à la porte du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, qui a été plus efficace. »

Sur le terrain, les synergies entre les différentes missions du Défenseur des droits sont pourtant réelles : les quatre réseaux de délégués territoriaux, chargés de recevoir les réclamants, ont été mis en commun. La mission de lutte contre les discriminations dispose désormais d’un réseau de 450 délégués à travers la France, contre une centaine du temps de la Halde. « On se bat trop souvent contre le mille-feuille administratif français pour critiquer la réunification de quatre institutions, insiste Soumia Malinbaum, présidente d’honneur de l’Association française des managers de la diversité. L’essentiel, à nos yeux, est que l’institution en charge de la lutte contre les discriminations perdure. Elle a trouvé en Dominique Baudis un défenseur engagé et sincère, qui incarne bien sa fonction. » Catherine Tripon reconnaît, elle aussi, « la qualité du casting : Dominique Baudis s’implique vraiment dans la lutte contre toutes les formes de discrimination. Tout comme Maryvonne Lyazid, pourtant issue du monde du handicap ».

Car la lutte contre les discriminations est protéiforme : âge, apparence physique, religion, état de santé, sexe, activités syndicales, orientation sexuelle…, 19 critères de discrimination ont été recensés. « Mobilisé par les quatre missions du Défenseur des droits, Dominique Baudis n’a donc que 1/19 d’un quart de son temps à consacrer à chacune de ces discriminations », sourit Vincent Baholet, délégué général de la Fondation Agir contre l’exclusion, qui regrette la disparition du comité consultatif, composé de 18 personnalités des mondes économique, associatif et syndical qui apportaient une expertise de terrain à la Halde.

« Le collège “lutte contre les discriminations et promotion de l’égalité” ne compte qu’un représentant du monde de l’entreprise [Mansour Zoberi, directeur de la promotion de la diversité du groupe Casino] alors que c’est là qu’il y a le plus de discriminations, et c’est aussi là qu’on peut agir le plus efficacement », relève Vincent Baholet. Pour réellement s’emparer de la question des discriminations, « les entreprises ont besoin de la puissance publique », poursuit-il. Or « le Défenseur des droits ne sera fort que si le pouvoir politique le veut », ajoute Catherine Tripon. Le message est lancé…

– 20 %

C’est la diminution annuelle du volume de saisines du Défenseur des droits pour des affaires de discrimination depuis sa création.

Source : Défenseur des droits.

Auteur

  • Sabine Germain