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Enquête

Le réformateur incompris

Enquête | publié le : 04.05.2013 | Emmanuelle Souffi, Anne-Cécile Geoffroy

En moins d’un an, celui qui incarnait le changement a perdu son capital confiance. Adepte du dialogue social, le président mène des réformes au pas de course. Sans que l’opinion en mesure toute la portée…

Au soir du 7 mai 2012, il voyait « la vie en rose » et savourait sa victoire. De Tulle à la place de la Bastille, un air de renouveau soufflait sur la France. Les images font mal. L’exercice du pouvoir aussi. Un an plus tard, entre la dégringolade économique et le scandale Cahuzac, l’ambiance au Château est plutôt à la « marche funèbre » de Chopin. Jamais sous la Ve République un président n’a autant dévissé dans les sondages. Celui qui apparaissait comme le porteur du changement, le garant de la justice et d’un État exemplaire, n’est plus soutenu que par un quart des Français. Une descente aux enfers que son intervention télévisée du 28 mars n’a pas stoppée, comme si, quoi qu’il dise ou qu’il fasse, rien ne pouvait restaurer cette confiance perdue d’un peuple qui a du mal à croire en l’avenir.

C’est tout le paradoxe – voire le drame – de la méthode Hollande. Trop discrète, pas assez vendue à l’opinion publique quand son prédécesseur en faisait des tonnes. « On ne raconte pas une histoire, ça manque de storytelling, de chair », regrette la députée Karine Berger, qui a participé activement à la campagne socialiste. Le candidat, qui « sentait le pays à la minute près », selon ses proches, s’en est aujourd’hui coupé. À l’Élysée, on pointe les ratages de communication de cet hiver, les couacs à répétition entre ministres, le côté « trop techno » du gouvernement. À chaque discours de Jean-Marc Ayrault, le groupe socialiste bat le rappel pour éviter qu’il ne s’exprime devant des travées vides. « Il incarne le spleen du pays », raille un député de la majorité. En laissant son Premier ministre aller au charbon, le président revient finalement aux fondamentaux des institutions de la Ve république. Matignon exécute. L’Élysée arbitre. À rebours de l’« hyperprésident » Sarkozy. Un virage qui, couplé à une politique devenue illisible, déstabilise des Français à la foi chancelante.

Incompris, François Hollande ? Tout avait pourtant bien commencé. Dès le début de son mandat, il redonne toute leur place aux partenaires sociaux.Ces fameux « corps intermédiaires » instrumentalisés et vilipendés par son prédécesseur. La conférence sociale de juillet 2012 est l’acte fondateur de sa stratégie de concertation. Il l’avait imaginée dès 2011, au moment des primaires socialistes, avec Claude Bartolone, désormais au perchoir de l’As semblée nationale. « Pour lui, seul le dialogue permet de trouver des solutions efficaces et pérennes », résume son fidèle compagnon, Michel Sapin, ministre du Travail. « C’est son côté mitterrandien, observe un proche conseiller. Il n’aime pas s’entourer uniquement d’hommes blancs de plus de 50 ans qui disent tous la même chose. »

Un homme de synthèse. À Tulle, « François », comme certains Corréziens le surnomment encore, se plaisait déjà à prendre le pouls des habitants avant de trancher. « Tout le monde pouvait donner son avis et, une fois la décision prise, elle était plus facile à faire passer car admise par tous », confie une ancienne assistante. On dit « l’homme de la synthèse » incapable de tailler dans le vif. Pure illusion… « Dans le privé, c’est quelqu’un d’assez glacial, qui parle peu. À demi-mot, vous comprenez tout de suite ce qu’il veut », relève un parlementaire. À l’occasion des vœux aux forces vives, il a surpris son monde – et en premier lieu Thierry Repentin, alors ministre chargé du dossier – en évoquant une énième réforme de la formation professionnelle. Mais l’homme n’est pas un adepte des coups de force. « Il préfère la zone stable à une ambition maximale avec risque de chute », reconnaît un membre de Solferino.

Jugé trop prudent, le socialiste est pourtant un des présidents qui s’attaquent le plus à notre modèle social. Son gouvernement pourrait être le premier, depuis 1945, à s’attaquer au principe d’universalité des allocations familiales. Acculé par la crise et lié par sa promesse d’inverser la courbe du chômage, l’énarque révolutionne le marché du travail avec la loi sur la sécurisation de l’emploi. De quoi donner des gages à Bruxelles et aux agences de notation, quitte à froisser la population et l’aile gauche du Parti socialiste. Contrats de génération, emplois d’avenir… Comme du papier à musique, la feuille de route confiée aux partenaires sociaux se décline. Durant les négociations sur l’ANI, les contacts, SMS et coups de fil, sont quasi permanents entre le Château, syndicalistes et ministres, tel Michel Sapin qui continue de le tutoyer dans l’intimité.

Mais après un an de règne, les Français ne voient toujours pas leur quotidien changer. Ou en pire. « Le dialogue social, ça prend du temps. François Hollande et son équipe l’assument. Mais ils doivent trouver le bon équilibre entre le moment du dialogue et celui de la décision », estime l’ancien syndicaliste Jacky Bontems, qui a fait partie de la task force sociale réunie autour du candidat durant la campagne. « C’est toute la limite de la démocratie sociale, pointe Gérard Larcher, sénateur UMP. Il doit libérer tout ce qui peut être facteur de croissance, seule source de création d’emplois. Les crédits d’impôt prévus pour 2014 arriveront trop tard. Les entreprises seront asphyxiées dès cette année. » Pour redresser le pays, Hollande réclame deux ans aux Français et trois ans « pour nous dépasser ». Trop long pour répondre à l’urgence sociale. « Hollande, c’est courage fuyons ! » raille Arnaud Robinet, député UMP de la Marne. « Quelle est sa stratégie sur les retraites, les allocations familiales, la baisse des charges ? vilipende Xavier Bertrand, ancien ministre UMP du Travail. Nous sombrons en “Deuxième Division” et François Hollande fait semblant de réformer. »

Piégé par sa méthode, le médiateur se retrouve contraint d’accélérer le tempo. À la différence de son prédécesseur qui imposait son propre timing, le chef de l’État se voit dicter le rythme des réformes par la déconfiture de la conjoncture. Comme sur les retraites, où il s’est converti à un allongement de la durée de cotisation. L’ANI est examiné en procédure accélérée et des ordonnances seront prises en matière de logement. Alors qu’une nouvelle conférence sociale aura lieu mi-juin, le front syndical se fissure. En martelant qu’il respecterait l’équilibre de l’accord du 11 janvier signé par le patronat et trois centrales (CFDT, CFTC, CFE-CGC), il a pris le risque de se mettre à dos la CGT et Force ouvrière. « Nous n’acceptons pas que les partenaires sociaux fassent les lois. C’est le rôle des parlementaires. Dans trois ans, tout le monde aura oublié l’ANI. Seule la loi restera en mémoire », martèle Jean-Claude Mailly. Même l’intention de sanctuariser le dialogue social dans la Constitution ne trouve pas grâce aux yeux du leader de FO. « Je ne doute pas de sa volonté sincère, mais si on a besoin de l’inscrire dans la Constitution, c’est que la démocratie est bien mal-en-point », ironise-t-il. Ceux qui ont joué le jeu sur l’emploi ont l’impression d’avoir été roulés dans la farine ailleurs. « La démocratie sociale, ça n’est pas uniquement quand on en a envie », prévient Laurent Berger, numéro un de la CFDT. Le projet de loi sur la décentralisation ou le programme de modernisation de l’action publique – succédané de la défunte RGPP – se sont écrits sans eux…

Entrepreneurs désenchantés. Du côté patronal, François Hollande n’a pas encore trouvé le bon ton. Il a bien l’oreille de certains (Paul Hermelin, de Capgemini, Henri de Castries, d’Axa, Pierre Pringuet, de Pernod Ricard et président de l’Afep…) à qui il envoie des textos pour les sonder sur telle ou telle mesure. La fronde des Pigeons, cet hiver, contre le projet de taxation des plus-values de cession a laissé fuser le sentiment que le président n’aimait pas ses entrepreneurs. Encore une fois, erreur. « Pour lui, avant de distribuer, il faut produire, ce qui suppose de rétablir la productivité et la compétitivité de l’entreprise », confie Jacky Bontems. L’ancien numéro deux de la CFDT anime un think tank, le Réseau 812, qui regroupe 300 contri buteurs (DRH, économistes, syndicalistes…) et alimente en notes l’Élysée et Matignon. Élu de terrain, le Corrézien « fait une distinction entre les patrons du CAC 40 et ceux des PME », nuance un proche. Pas question de mesures uniformes qui pourraient créer des effets d’aubaine. Les plus grandes entreprises sont ainsi privées d’aides pour signer des contrats de génération alors que les PME sont incitées financièrement à le faire.

Comme sa politique, le président est finalement en trompe l’œil. Optimiste, mais conscient que la France doit changer de modèle pour conserver son leadership. Converti à la rigueur, mais sans le dire vraiment. Social-démocrate, mais sans être prêt à l’imposer à son clan ni aux Français. À trop agir sans tenir un langage de vérité, François Hollande donne l’impression d’avancer les yeux fermés. Il louvoie, alors qu’il sait sans nul doute où il va. « Pour enrayer le pessimisme à outrance, il faut expliquer les réformes, qu’elles soient justes et qu’on sache ce qui nous attend après-demain », tance Laurent Berger. Qu’il ait fait du retour de la croissance son cap n’est guère rassurant tant elle paraît hypothétique. Or, comme le disait Léo Ferré, « avec le temps, va, tout s’en va ». Une des chansons préférées de l’ancien maire de Tulle…

Stéphane Rozès Politologue, fondateur de CAP (Conseils, analyses et perspectives)

“François Hollande est un joueur de go”

Y a-t-il rupture de méthode entre le sarkozysme et le hollandisme ?

Nicolas Sarkozy a le tempérament du sauveur. C’est Bonaparte : le politique s’impose au social et les partenaires sociaux ne sont que les défenseurs de lobbys. Il se place au centre du mouvement en distinguant les alliés des ennemis. François Hollande, au contraire, n’est pas dans la verticalité du bonapartisme politique. Il est dans l’horizontalité, au milieu et pas au-dessus du social. Là où Nicolas Sarkozy est un joueur d’échecs, François Hollande est un joueur de go. Il met en avant les acteurs, il ne veut pas se lier les mains avec un récit politique, il pense qu’il faut donner du temps au temps. C’est un facilitateur. Pour lui, la négociation possède un vrai sens, la société doit avancer tous ensemble. La France est de tempérament monarchiste et d’esprit républicain. Elle attend un compromis entre ces deux méthodes.

Pourquoi une telle incompréhension entre les Français et le président ?

« La France n’est pas le problème, mais elle est la solution », disait-il au Bourget le 22 janvier 2012. Pour lui, on peut réussir en étant ce qu’on est pourvu qu’on réforme notre modèle social. Seul hic, il se fixe des objectifs de court terme (chômage…) alors que la priorité, c’est le redressement du pays à moyen terme. François Hollande est dans une vision cyclique de l’économie. Mais on ne peut pas tenir un discours « churchillien » et en même temps laisser croire à une éclaircie prochaine. C’est comme administrer un remède à un malade qui se demande s’il a des chances de guérir ou s’il devra le prendre ad vitam.

Que doit-il faire pour restaurer cette confiance perdue ?

Pour mettre un pays en mouvement, il faut répondre à la question du « pourquoi ? » quand les élites se concentrent sur le « comment ? ». La France a besoin de cap, de mise en cohérence, d’incarnation et de récit politique. L’ancien et l’actuel président ont un point commun : ils mésestiment la maturité et l’intelligence des Français. Ils agissent comme si les citoyens ne pouvaient pas voir les choses telles qu’elles sont. Le premier voulait trancher sur tout, le second respecte la parole des uns et des autres. Or plus les individus sont inquiets, plus la symbolique présidentielle est importante. On ne peut pas la banaliser comme François Hollande ou la rabaisser comme Nicolas Sarkozy.

Propos recueillis par Emmanuelle Souffi

Auteur

  • Emmanuelle Souffi, Anne-Cécile Geoffroy