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Gare aux bombes RH !

Dossier | publié le : 04.05.2013 | Éric Béal, Rozenn Le Saint

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La pondération des risques RH par les DRH (sur une échelle de 1 à 4)

Crédit photo Éric Béal, Rozenn Le Saint

Née dans le giron de l’environnement et de la finance, la gestion des risques figure désormais parmi les tâches des services de ressources humaines. Les DRH doivent identifier, évaluer et prévenir ceux liés à l’administration des salariés.

À l’instar de M. Jourdain, les DRH feraient-ils de la gestion des risques sans le savoir ? L’étude ADP publiée en novembre 2012 indique qu’une majorité d’entre eux se soucient, avant tout, de la qualité de l’engagement de leurs collaborateurs (61 %). La lutte contre les risques psychosociaux (44 %) et la gestion des talents (43 %) arrivant aussi en tête de leurs préoccupations pour les deux années à venir. Or ces trois thèmes font partie des risques RH identifiés par les grandes entreprises. Dans un nombre croissant d’entre elles, cette démarche est pratiquée de manière systématique sous les termes de « cartographie des risques ». Elle n’est pas propre à la gestion des ressources humaines, comme le rappelle Frédéric Lucas, secrétaire général de l’Association pour le management des risques et des assurances de l’entreprise (Amrae). « La gestion du risque est apparue aux États-Unis dans les années 60. Les primes d’assurances augmentant de façon importante, il s’agissait de réduire les risques par la prévention pour négocier une réduction de tarif avec l’assureur ou choisir de ne pas se couvrir. »

Entamée dans la finance, le juridique et le commercial, cette pratique a été généralisée petit à petit à l’ensemble des problématiques de l’entreprise. En France, la gestion du risque apparaît autour de 1975. La loi Barnier, de 1995, relative à la prévention des risques naturels, puis la loi Mer, en 2003, traitant de la sécurité financière, ont incité les entreprises à renforcer leurs contrôles internes et à identifier leurs risques de façon systématique. « Les entreprises cotées ont maintenant l’obligation de publier chaque année une présentation de leurs risques et des explications sur la manière dont elles se couvrent, dans un document distribué aux investisseurs », précise Frédéric Lucas. La gestion RH ne pouvait donc échapper à cette investigation généralisée.

Pionniers en la matière, Air liquide et Danone présentent à leurs actionnaires un document de référence depuis des années lors de leur assemblée générale. Dans celui de 2011, le groupe alimentaire indique avoir « mis en place un système global d’identification et de gestion des risques qui hiérarchise les enjeux en fonction de leur probabilité d’occurrence et de leur impact estimé sur le groupe ». Ce système s’appuie sur une méthodologie de cartographie nommée Vestalis et la présence d’un directeur de la gestion des risques, du contrôle et de l’audit internes. La quasi-totalité des quelque 160 filiales du groupe établit une cartographie. Parmi les risques RH répertoriés, ceux liés aux « conséquences de restructuration », ceux attachés aux « opérations de croissance externe » et, plus généralement, ceux concernant le déclin éventuel de « l’attractivité du groupe », qui pèserait sur ses capacités à « attirer et retenir les personnes disposant des compétences et des talents nécessaires ».

Analyser et hiérarchiser. Benjamin Castaldo, le DRH du Groupe Partouche (49 casinos en Europe), ne peut compter que sur lui-même pour mener à bien un tel exercice. Comme 78 % des DRH interrogés par l’Amrae l’an dernier, il ne bénéficie pas de l’aide d’un risk manager, ou manager des risques (voir encadré), pour l’épauler. « Mais, en matière de gestion des risques RH, le DRH est quand même le mieux placé, dit-il. Dans beaucoup d’entreprises, le management des risques est une compétence partagée qui aura vocation à être confiée à une personne lorsque la taille de l’établissement ou l’importance du sujet le commandera. » Et d’expliquer que le Groupe Partouche est particulièrement sensible aux risques liés au facteur humain. « Dans une société de jeux d’argent, il est impératif de s’intéresser aux collaborateurs qui sont les vecteurs de notre image auprès des clients. » Pour identifier les risques, Benjamin Castaldo se focalise sur le business de son groupe. « Répertorier les risques RH revient à connaître ce que vous vendez, dans quel contexte et à qui. Chez Partouche, le manque de personnel est le premier risque, devant le manque de compétences et le manque de motivation de la part de nos collaborateurs. »

Établir une cartographie des risques consiste à classer chacun d’entre eux en fonction de son importance. « C’est un outil pratique qui permet d’aborder les problèmes de manière transversale et d’objectiver le poids de chaque risque, explique Bénédicte Huot de Luze, déléguée générale de l’Amrae. Il s’agit de discerner les risques acceptables de ceux qui ne le sont pas et d’établir une hiérarchie afin de répondre aux plus importants en premier. » En matière de gestion des ressources humaines, une certification ISO 31000 existe, mais elle ne semble guère utilisée. Pour sa part, Bernard Mercier, directeur chez Towers Watson, n’est pas convaincu de son utilité. « Les projets de certification qualité donnent souvent des réponses trop technocratiques. Remplir un grand nombre de bordereaux n’a qu’une incidence relative sur la qualité du management des risques. »

Sans avoir déployé l’ISO 31000, Poclain Hydraulics (1 800 salariés répartis dans 25 pays) mène depuis 2010, une démarche annuelle d’autoévaluation des risques doublée d’un contrôle interne. « Pratiquement, il s’agit d’une revue des forces et des faiblesses de l’entreprise », estime son DRH, Alain Everbecq. Est impliqué le « top 30 », c’est-à-dire les 15 directeurs groupe et la quinzaine de managers métier. L’audit se présente sous la forme de 200 questions approuvées par le comité exécutif, dont une quarantaine concerne les ressources humaines. « Il y a 22 questions purement RH, précise Alain Everbecq. Le reste porte sur la gouvernance et mes délégations aux services juridique, informatique ou du contrôle de gestion. » L’exercice est géré par la direction générale et le comité d’éthique. Il a révélé que les ressources humaines constituent un des deux premiers facteurs de risque chez ce spécialiste de la transmission hydrostatique. Le manque récurrent d’ingénieurs commerciaux expérimentés en Asie l’empêche de profiter de l’explosion du marché des camions et des engins de chantier. Le cas n’étonne pas Bernard Mercier. « Une entreprise déployée sur plusieurs continents peut voir son activité touchée par le départ d’une personne. C’est arrivé à une société du CAC 40. Après le départ d’un country manager, elle a vu l’activité de cette filiale chuter. Personne n’était prêt à prendre la relève et il avait emmené un certain nombre de clients avec lui. »

Spécialisé dans la gestion de maisons de retraite et de cliniques spécialisées, le groupe Korian s’est doté d’un comité des risques. Implanté en France, en Allemagne et en Italie, il gère 248 établissements médicaux et a récemment pris la décision d’établir une cartographie de ses risques RH. Trois types de risques ont été relevés. Le turnover des équipes soignantes, qui requiert un effort de formation renouvelé en permanence. Les tensions sociales, qui peuvent altérer la continuité des soins. Et les conditions de travail, qui demandent beaucoup de manutention et une attention de tous les instants. Du coup, Monique Rolland, la nouvelle DRH a décidé la mise en œuvre d’une politique de fidélisation des collaborateurs impliquant le management. « On soigne l’intégration des nouveaux recrutés. Tout aide-soignant doit pouvoir connaître le projet de son établissement. » Le groupe investit pour améliorer les conditions de vie au travail et prévenir les risques psychosociaux. Il organise également des groupes d’expression et des groupes d’échange de bonnes pratiques. La DRH de Korian élargit la gestion RH au-delà de ces risques. « Notre métier engendre une obligation de qualité des soins, donc une obligation de qualité de notre gestion RH. »

Certains experts sont d’ailleurs circonspects face à la logique de gestion des risques. « La gestion des risques peut appauvrir la gestion des ressources humaines si elle implique l’idée que la dimension humaine de l’entreprise est source de dangers à éviter », estime Gilles Verrier, ancien DRH et directeur du cabinet Identité RH. Reste que la prévention des RPS, des conflits sociaux ou de la pénurie de collaborateurs fait partie intégrante d’une politique de gestion des ressources humaines.

Jean-Paul Thonier Président du comité risque et RH de l’Amrae et membre de l’Institut français des administrateurs
“Le risk manager joue le rôle de vigie”

Qu’entend-on par gérer des risques en matière de RH ?

Il s’agit de réduire les risques les plus importants par des mesures adéquates. Il va sans dire que seul le DRH peut mener cette tâche à bien. Le risk manager ne joue pour sa part qu’un rôle de vigie spécialisée.

Quels sont les avantages d’une cartographie de ces risques ?

Comme toute cartographie, elle permet de répertorier les risques ayant une incidence sur les résultats de l’entreprise et de les mettre noir sur blanc. De cette façon, il est possible de les hiérarchiser afin de se concentrer sur les plus importants.

Quel est le rôle d’un risk manager ?

C’est un chef de projet transversal qui a au moins deux compétences : la méthodologie et le savoir-faire pour établir une cartographie des risques et analyser ses résultats. Ainsi que des compétences en négociation d’assurance.

Est-ce à lui de gérer les risques RH d’une entreprise ?

Non. Le risk manager travaille avec un « porteur de risques », c’est-à-dire un responsable de domaine ou de département. Cela peut être un directeur financier, un directeur des services informatiques ou un DRH lorsqu’il s’agit des risques liés au vecteur humain. C’est au porteur de risques, une fois l’analyse de la cartographie effectuée, de gérer les risques.

Propos recueillis par E. B.

Auteur

  • Éric Béal, Rozenn Le Saint