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Vie des entreprises

Melvita plus à l’écoute de ses salariés que Weleda

Vie des entreprises | Match | publié le : 02.04.2013 | Éric Béal

L’envolée de la cosmétique bio s’essouffle. Et la recherche de gains de productivité conduit à des changements qui ne vont pas de soi. Mais le dialogue est mieux établi chez le français que chez le suisse.

Les laboratoires Weleda et Melvita ne se contentent pas de fabriquer des crèmes pour la peau, des huiles de massage ou des savons à partir de produits biologiques. Ils revendiquent une action militante. Weleda, groupe suisse dont l’usine française est installée à Huningue (Haut-Rhin), « se met au service de l’être humain et de la Terre en tant que globalité ». Quant à la Fondation Melvita, une marque du groupe L’Occitane, elle explique que « l’entreprise a toujours revendiqué son attachement à la diversité écologique en inscrivant la nature au cœur de sa démarche et de sa préoccupation humaniste ». Les deux entreprises mettent en avant leurs efforts pour diminuer les impacts de leur production sur l’environnement : tri des déchets, réduction de la consommation d’eau et d’énergie, financement d’actions de sauvegarde d’espaces naturels. Chez l’une comme chez l’autre, cette démarche n’a pas qu’un intérêt marketing, mais suscite aussi un vrai attachement des salariés à leur entreprise qui se traduit notamment par un turnover insignifiant.

Une exigence de rentabilité

Côté business, les deux fabricants ont profité d’une croissance annuelle du marché de la cosmétique bio de 25 % de 2002 à 2008. Depuis, cette tendance s’est un peu tassée et la concurrence a réagi : les leaders du secteur comme L’Oréal, Beiersdorf ou Henkel ont développé une gamme de produits bio pour investir cette niche. Les deux laboratoires peuvent encore tabler sur 10 à 12 % de croissance par an. Pas suffisant, aux yeux de leurs actionnaires respectifs, pour éviter des mesures d’adaptation.

À la suite de pertes financières subies pendant deux années consécutives, le conseil d’administration de Weleda a décidé de mettre en place un plan de réduction des coûts en mars 2012 ainsi qu’une diminution du nombre de références en pharmacie homéopathique. 5 % des emplois du groupe ont été supprimés. À Huningue, 14 postes ont disparu et plusieurs lignes de médicaments homéopathiques ont été arrêtées. D’autres produits sont désormais fabriqués à Schwäbisch Gmünd (à 50 kilomètres de Stuttgart), le site allemand du groupe.

En dépit de l’ouverture de nouveaux laboratoires pour répondre aux exigences de la réglementation pharmaceutique, cette réorganisation a constitué un choc pour le site français, le seul à ne pas avoir perdu d’argent ces deux dernières années.

Une alliance salutaire

Bernard Chevilliat, le créateur de Melvita, n’a pas attendu de connaître une telle situation pour agir. En 2008, il a marié son entreprise située à Lagorce, en plein cœur de l’Ardèche, à L’Occitane, un fabricant et distributeur de cosmétiques naturelles dont le site de production est situé à Manosque (Alpes-de-Haute-Provence). Ce rapprochement a permis à Melvita de profiter du savoir-faire marketing et commercial de son partenaire à l’étranger, où une soixantaine de boutiques vendent désormais les produits de la marque. Bien vécue par les salariés qui y voient une assurance de pérennité pour l’entreprise, cette fusion par échange d’actions a eu des conséquences non négligeables d’un point de vue social. Tous les accords ont été dénoncés en 2011 et le statut social de L’Occitane s’est imposé aux salariés de Melvita. « Nous n’offrions pas les mêmes avantages que L’Occitane, explique Amanda Gerentes Chevilliat, la responsable de la communication. Il valait mieux tout mettre à plat pour construire un système équitable avec les partenaires sociaux. »

Les négociations ont commencé par le temps de travail. La direction veut transformer les trente-deux heures trente hebdomadaires payées trente-cinq de l’ancienne organisation en trente-six heures de travail sur les lignes de production, payées quarante, avec augmentation de salaire et jours de récupération. Un changement que la majorité des syndicats a du mal à accepter. Suivront des négociations sur la grille des salaires, la couverture santé, l’ancienneté, l’intéressement ou le Perco. En tout, une vingtaine d’accords à formaliser pour les syndicats CFDT et CFE-CGC présents à Lagorce, comme pour leurs collègues FO et CGT de Manosque. « On devrait en avoir pour au moins six mois de concertations », estime Yvan Paul, délégué FO. Pour Lionel Martineau, un responsable CFDT départemental, c’est une méthode voulue par la direction : « Plus les négociations se succèdent rapidement et moins les représentants syndicaux peuvent travailler correctement leurs dossiers. »

Reste que le dialogue social est plutôt aisé chez M & L, le nouveau nom de la société depuis la fusion de Melvita avec L’Occitane. « Attention, la discussion peut être dure, précise Raphaël Esposito, le trésorier du CE. Mais il y a toujours un accord à la fin. » « On finit toujours par aboutir à un compromis acceptable pour les deux parties », abonde Lionel Sauzet, DS CFE-CGC.

Tractations délicates

À l’inverse, les syndicats de Weleda se plaignent d’un manque de discussion avec la direction. « Le dialogue social n’est pas naturel dans cette entreprise. Certains acquis sociaux ont été rognés unilatéralement. Comme la prime d’ancienneté qui n’est plus calculée sur le salaire réel mais sur les minima conventionnels. Ou le treizième mois, proratisé depuis 2008 en cas d’arrêt maladie de plus de six mois consécutifs ou non. Y compris en cas de grossesse pathologique », indique Marie-Christine Lebreton, la DS CFDT. Une situation historique qui pourrait évoluer, selon Estelle Bisch, la DRH. « Les syndicats peuvent demander l’ouverture d’une négociation. » Mais l’entreprise « au service de l’être humain » n’est pas la championne du dialogue social. Marie-Christine Lebreton a fait l’objet d’une procédure de licenciement de 1998 à 2004. « Les syndicalistes étaient considérés comme des empêcheurs de tourner en rond jusqu’à l’an dernier. La nouvelle direction respecte les partenaires sociaux, mais les pratiques anciennes ont la vie dure », indique-t-elle. De son côté, Hélène Jurvillier, DS CFTC et secrétaire du CHSCT, estime qu’en dépit de récentes avancées « c’est une entreprise comme les autres où les choses peuvent être difficiles ».

La recherche de gains de productivité est à l’ordre du jour chez les deux concurrents de la cosmétique bio. Chez Weleda, il s’agit d’abord de retrouver le chemin de la profitabilité. « Nous tenons à garder notre indépendance, indique Marc Follmer, le président du directoire de Weleda France. Nos actionnaires ne nous demandent pas de maximiser nos résultats mais nous devons financer notre développement sans compter sur un partenaire financier puissant. » Chez M & L, la direction doit plutôt assurer une croissance du volume des produits fabriqués pour faire face à l’expansion de ses deux marques en Asie-Pacifique. Un spécialiste du lean manufacturing a été débauché de PSA Peugeot Citroën pour mettre en place les principes de base de cette restructuration : organisation des flux, rangement 5S ou zoning dans les ateliers. « Nous sommes en train de passer d’une PME paternaliste à un groupe international », traduit Raphaël Esposito. Et la transition ne va pas de soi.

Autre caractéristique commune, les rémunérations ne sont pas très élevées chez les spécialistes de la cosmétique bio. Une employée de niveau 2 sur la grille salariale de l’industrie pharmaceutique gagne 1 550 euros sur treize mois chez Weleda. Elle dépasse à peine les minima de branche (1 504 euros) chez Melvita. Mais les salariés bénéficient, dans les deux cas, de deux ou trois mois de salaire en plus chaque année grâce à l’intéressement et à la participation. Ainsi que d’une prime de fin d’année, équivalente à un mois de salaire chez M & L et plus modeste chez Weleda.

Avantages sociaux

Les deux entreprises ont également investi dans le champ social. Chacune d’elles s’est dotée d’une crèche d’entreprise. L’une comme l’autre mettent l’accent sur la prise en compte du handicap. Melvita se targue d’un taux de 8,4 % de travailleurs handicapés à Lagorce et Weleda a travaillé avec l’Afpa jusqu’en 2011 pour accueillir des stagiaires présentant divers handicaps afin de les former à des postes d’opérateurs. Plus classiquement, Melvita met des navettes de transport à disposition de ses employés qui vivent dans un rayon de 30 kilomètres autour de l’usine. Weleda leur a octroyé des titres-restaurants et des Chèques-Vacances. Côté comité d’entreprise, avantage à Melvita sur le budget social qui représente 1,12 % de la masse salariale, quand celui de Weleda stagne à 0,65 %. Mais la direction de Huningue paie la moitié des frais pour les événements organisés par le comité des fêtes.

La DRH du groupe L’Occitane s’est dotée d’outils classiques de gestion des ressources humaines. Chaque salarié bénéficie d’un entretien d’évaluation de la performance et d’un entretien de développement personnel par an. Les résultats sont validés par la hiérarchie et remontent jusqu’à la DRH. « Le plan de formation est utilisé pour permettre aux salariés d’évoluer dans leur métier ou de changer de fonction. La plupart des ouvertures de poste font l’objet d’une petite annonce sur l’intranet », précise Lionel Sauzet, le délégué CFE-CGC présent à Lagorce. Après la fusion, 37 personnes ont vu leur poste supprimé sur ce site. Trois affectations ont été systématiquement proposées à chacune d’elles, à Lagorce ou dans l’usine de Manosque, avec une formation suffisante pour leur permettre de rebondir en interne.

Chez Weleda, les salariés ont également un entretien annuel de développement avec leur responsable hiérarchique. Mais le compte rendu n’est pas présenté à la personne concernée et les résultats ne remontent pas jusqu’à la DRH. « Les demandes de formation parviennent à la DRH, mais les autres informations restent aux mains des chefs de service. Résultat, certains problèmes ne sont jamais réglés », estime Marie-Christine Lebreton, qui ajoute que nombre de managers ne sont pas formés pour tirer profit de ces entretiens. Estelle Bisch, la DRH, défend la logique du système. « Nos managers de proximité sont très proches de leur équipe. Le dialogue est constant et les problèmes remontent vite car nous ne sommes pas très nombreux. »

L’explication ne convainc pas les représentants du personnel. « Je n’ai eu qu’un seul entretien annuel de développement sur les huit dernières années. Ça a été un exercice très formel et bureaucratique », affirme un membre du CHSCT. « Il existe des tensions dans certains services, comme dans tout groupe de travail, relève Hélène Jurvillier. Mais les représentants du personnel jouent pleinement leur rôle. » La situation n’est cependant pas catastrophique. Un prédiagnostic vient d’être réalisé par un psychologue du travail. Si des situations à problème perdurent, il ne juge pas nécessaire de constituer des groupes de parole. Mais des référents internes chargés de mener une enquête pour relever toutes les situations à risque seront formés. « Dans une entreprise qui évolue et subit des contraintes réglementaires importantes, les tensions sont inévitables. Mais chez Weleda, la direction met l’accent sur le dialogue entre les managers et leur équipe », assure-t-il.

En dépit des discours affichés par Weleda et Melvita sur le développement durable et la responsabilité sociale de l’entreprise, ces grands principes sont un peu oubliés dans la gestion RH de tous les jours. Le site français du groupe suisse Weleda est celui qui semble s’être le plus éloigné de ce petit jeu de la vérité.

Melvita

Effectif :

360 salariés

(5 000 pour L’Occitane dans le monde)

Chiffre d’affaires :

30 millions d’euros

(31 mars 2011)

Actionnaire:

L’Occitane International SA

(détenue par Reinold Geiger)

Weleda

Effectif France:

370 salariés

(1 800 dans le monde)

Chiffre d’affaires :

54,5 millions d’euros

(en 2011)

Actionnaires principaux:

La Société anthroposophique universelle et la clinique Ita Wegman

Pingres mais partageurs

Les entreprises de la cosmétique font le bonheur de la France. Ce secteur se place au quatrième rang de l’économie française par son solde commercial net, sans compter les revenus financiers sous forme de royalties. Il est composé à 80 % de PME installées sur quelque 450 sites de fabrication ou de recherche répartis dans 74 départements. Pour le moment, pas de délocalisation à déplorer. Dans le secteur de la chimie, les entreprises cosmétiques constituent un monde à part, dans lequel « le dialogue social est plus développé qu’ailleurs », d’après Daniel Morel, secrétaire fédéral de la FCE CFDT.

Les leaders comme L’Oréal tentent de fidéliser leurs troupes en leur proposant des services de conciergerie. Mais ils sont moins généreux en matière de rémunération. Les salaires sont peu élevés et proches des niveaux de la grille conventionnelle. C’est pourquoi, selon les partenaires sociaux, la Fédération des entreprises de la beauté est peu active lors des négociations annuelles sur les salaires de la branche. Ses adhérents sont trop attachés à leur mixte petits salaires et intéressement confortable. E. B.

Auteur

  • Éric Béal