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Vie des entreprises

L’Église se met à la GRH

Vie des entreprises | Zoom | publié le : 02.04.2013 | Éric Delon

Plans de formation, conventions collectives, dialogue social… Pour élever les compétences de leurs salariés et rendre leur gestion plus rigoureuse, les diocèses professionnalisent leurs ressources humaines.

Ancienne responsable des ressources humaines dans le privé puis consultante en management, Corinne Boilley, 55 ans, est devenue, en septembre dernier, secrétaire générale adjointe (chargée des questions économiques, juridiques et sociales) de la Conférence des évêques de France (CEF), l’instance ecclésiastique qui rassemble l’ensemble des évêques et des cardinaux. Après en avoir assuré la direction des ressources humaines pendant cinq ans.

« En toute modestie, ma nomination témoigne de l’importance grandissante accordée par l’Église à la profession nalisation de la gestion des ressources humaines depuis quelques années », souligne cette ancienne militante du Mouvement chrétien des cadres et dirigeants. « L’arrivée croissante de salariés et de bénévoles au sein des diocèses s’est effectuée de manière concomitante à la baisse des vocations des prêtres, dans la logique du concile Vatican II (1962-1965) qui entendait confier de plus en plus de responsabilités aux laïcs », rappelle François Mayaux, professeur de gestion à l’École de management de Lyon et qui anime régulièrement des séminaires de gestion d’équipe et de management pour des évêques et leurs troupes. Selon une estimation de la CEF qui, observe Corinne Boilley, « fait en quelque sorte office de fédération professionnelle pour les diocèses », ces derniers compteraient près de 6 500 salariés sur les 9 500 laïcs (en comptant donc les bénévoles) qui y travaillent.

DRH du diocèse de Paris (906 salariés, soit 593 équivalents temps plein et 8 500 bénévoles laïcs), Henri Augier, qui a passé trente-cinq années dans l’industrie, souligne ce qui, à ses yeux, a présidé à la professionnalisation progressive de la « GRH ecclésiale » : « L’Église s’est toujours retrouvée dans une relation de bienveillance sympathique et naturelle avec les laïcs. Mais cette bienveillance s’est parfois exercée aux dépens de l’exigence et de l’objectivité, analyse-t-il. D’où la recherche d’un meilleur équilibre ces dernières années. Par ailleurs, les nombreux bénévoles qui participent aux actions de l’Église sont souvent très compétents sur un plan professionnel. Il était donc nécessaire d’élever les compétences de nos propres salariés, les cadres formant aujourd’hui un tiers de notre effectif au sein du diocèse de Paris. »

Entretiens d’évaluation. D’où la mise en place, au niveau des diocèses, d’entretiens annuels d’évaluation ainsi que de plans de formation incluant bilan de compétences, cursus de management et même, dans le diocèse de Paris, de coaching. « Nous venons de le lancer à destination des laïcs et des prêtres. Il est assuré par une équipe de coachs internes et par quelques coachs externes », précise Henri Augier.

Autre raison invoquée par les spécialistes RH de l’univers ecclésiastique pour expliquer la professionnalisation de la fonction : la rigueur croissante exigée en matière de gestion. « L’Église vit des dons de ses fidèles. Elle est donc tenue de rendre des comptes quant à sa gestion. Depuis 2005, ses comptes consolidés doivent être publiés et soumis à contrôle public et à certification. Il lui faut donc recruter de solides professionnels dans ce domaine », explique Bertrand Bied-Chareton, qui vient de quitter son poste d’économe diocésain (chargé des RH), qu’il a occupé pendant une dizaine d’années dans le diocèse de Grenoble, après une longue carrière dans les RH du secteur privé. « 15 % des salariés des diocèses sont affectés à des tâches purement administratives », confirme Corinne Boilley, au CEF. Les autres postes particulièrement recherchés en dehors de la sphère ecclésiale ? Responsables des mouvements de jeunes, chargés de communication et de fund raising (collecte de fonds par recherche de mécènes, appel aux dons…), spécialistes du marketing direct, community managers.

En matière de recrutement, reconnaissent volontiers les responsables diocésains, la difficulté principale pour attirer les meilleurs profils réside dans le montant de la rémunération. « Pour les cadres, les salaires sont inférieurs de 20 à 30 % à ceux du marché de la grande entreprise. En revanche, pour les emplois de premier niveau ou de niveau intermédiaire, nous nous situons sur le même plan que les PME. Globalement, notre marché de référence est celui du monde associatif, notamment humanitaire », analyse Jacques de Scorraille, directeur du cabinet de conseil Ecclésia RH. « Pour compenser le handicap de rémunérations moins élevées et attirer des cadres de bon niveau, les diocèses mettent en avant, ce qui est un solide argument en soi, la dimension spirituelle et d’engagement », analyse Guillemette Virmont, directrice du centre du Didrachme (formation continue) à l’Université catholique de Lyon.

Droits des salariés laïcs. Le statut des salariés ? Débattu lors des assemblées plénières des conférences des évêques de France au cours des années 90, un statut collectif destiné à « sécuriser les salariés » a été élaboré de manière unilatérale en 1997 (« statut du personnel laïc de l’Église de France »), faute d’existence, à l’époque, de représentations syndicales au sein des diocèses. En 2006, soucieux d’impulser dans chaque diocèse la mise en œuvre d’un dialogue social, les évêques de France ont initié la négociation de conventions et d’accords collectifs définissant les droits sociaux des salariés laïcs, à la place du statut de 1997.

Le 13 janvier dernier, après de longs mois de concertation, le diocèse de Nancy (46 salariés) a ainsi signé une convention collective destinée à son personnel laïc. « Environ un tiers des diocèses a signé des accords, un tiers est toujours en négociation et le dernier tiers commence à s’engager », note Corinne Boilley. « Ces accords ont été ou sont en train d’être négociés avec des représentants du personnel et des dé légués syndicaux qui se sont progressivement implantés, souligne Laurence Roger, présidente du Snec CFTC (Syndicat national de l’enseignement chrétien). Notre syndicat est davantage présent dans les établissements d’enseignement catholique. Les diocèses sont encore gérés de manière pa ternaliste et les salariés n’ont pas toujours le réflexe de se syndiquer. » Et pourtant, les contentieux liés aux ruptures de contrat ne sont pas rares. « Sous couvert de professionnaliser la GRH, note Laurence Roger, la démarche est bel et bien de se border juridiquement en proposant des statuts en conformité avec la loi. »

Auteur

  • Éric Delon