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Politique sociale

Des plans de départs volontaires à deux visages

Politique sociale | publié le : 02.04.2013 | Emmanuelle Souffi

Entre les recalés qui rêvaient de prendre la tangente et les partants qui voulaient rester, les plans de départs volontaires attisent les frustrations. Même s’ils restent moins traumatisants que les licenciements contraints.

J’y vais ou j’y vais pas ? L’ouverture d’un plan de départs volontaires (PDV) suscite toujours les mêmes interrogations. Alternative aux départs contraints, il s’impose comme le nouvel outil pour dégraisser en douceur. En transférant sur l’individu la prise de décision, il évite le traumatisme d’un plan social. Et l’écueil médiatique. Directions, syndicats, salariés, les PDV arrangent tout le monde. « C’est devenu la norme socialement acceptable pour les entreprises qui ne sont pas en grande difficulté financière et qui doivent se réorganiser », observe Philippe Rogez, associé au cabinet Raphaël Avocats. Mais ces « armes de destruction massive », en apparence plus sécurisants qu’un PSE, peuvent se révéler être de vrais nids à problèmes…

2 000 volontaires pour 880 places… La Société générale, c’est un peu l’histoire de l’arroseur arrosé : 2 000 salariés désireux de s’envoler et « seulement » 880 places disponibles… Un numéro vert saturé le premier jour de dépôt des candidatures en mars dernier, pléthore de demandes au back-office alors que la banque voulait aussi alléger ses effectifs au front… Et, finalement, des crises de nerfs, une démotivation générale et des trous qu’il a fallu combler. « Deux cents intérimaires travaillent aujourd’hui pour compenser les départs qu’on n’aurait pas dû avoir », révèle Michel Marchet, délégué syndical national CGT. Il faut dire que la banque « a voulu faire bien les choses », comme l’indique un porte-parole un peu gêné par ce surprenant succès. Une surprime de 50 000 euros si on levait le doigt le premier mois, un plafond porté à 36 mois de salaire de base – soit 300 000 euros maximum –, des formations prises en charge jusqu’à 25 000 euros… De quoi ouvrir son auberge en Dordogne !

Adepte des PDV – son troisième en dix ans –, Oracle a fait preuve des mêmes largesses. « Comme dans une approche marketing produit, l’offre doit être pertinente sans être trop alléchante pour ne pas susciter trop d’envies », commente Franck Pramotton. Le délégué syndical national CFDT se souvient de cette équipe de 10 personnes partie en 2009 pour monter un business concurrent. « Trois ans après, on n’a toujours pas compensé les pertes de compétences ! » regrette le syndicaliste. Au fil du temps, le spécialiste des bases de données a posé des verrous. Définition de métiers et d’équipes prioritaires au volontariat. En 2009, une liste de 50 key people, aux connaissances inestimables, a même été dressée par les managers et placée sous séquestre. Pour eux, pas question de prendre la tangente. Évidemment, les noms ont fuité et les intéressés, furieux d’avoir été recalés, ont démissionné ou bien négocié des promotions. « Dans un PDV ne s’en vont que les meilleurs, les recasables », rappelle François Dupuy, sociologue du travail.

Que le guichet soit largement ouvert, comme à la Société générale, ou restreint, comme à la BNP, il engendre toujours de la frustration. Car, au final, la direction met son veto. Soit que le nombre de candidats a été atteint, soit que le projet professionnel est trop aléatoire pour justifier un départ serein. « Pour qu’un plan fonctionne, il doit définir précisément les catégories de salariés concernées et les cas de refus », prévient Déborah David, avocate chez Jeantet. Bouygues Telecom, qui a reçu 600 demandes pour 556 postes supprimés, l’a dessiné à partir d’une organisation cible. Pour vérifier que le salarié allait bien travailler ailleurs, BPI – le cabinet de reclassement mandaté –, appelait le nouvel employeur. En cas de création d’entreprise, des primes complémentaires étaient versées au moment de l’obtention du numéro Kbis. Car certains salariés sont prêts à tout pour que cette occasion inespérée de faire autre chose ne leur échappe pas. Chez Oracle, de fausses promesses d’embauche, signées par des copains avec une clause de résiliation pour être sûr que l’emploi ne sera pas effectif, ont pu circuler. Pour les contrer, le plan de l’année dernière a subordonné le versement d’indemnités à la fin de la période d’essai. « Le licenciement n’est pas un droit », ironise Franck Pramotton. Mais l’aubaine est trop belle, même à l’heure d’un chômage record. Début janvier, chez Hewlett-Packard, « la bonne nouvelle » annoncée par mail aux salariés en a fait tousser plus d’un. Le PDV réservé aux seniors a été ramené de 520 à… 300 postes ! « La direction mondiale s’est rendu compte que des contacts clients expérimentés allaient disparaître et qu’il faudrait réembaucher pour répondre aux besoins », confie Guy Sauer, délégué syndical national CFE-CGC. Sauf qu’entre-temps certains avaient pris des options pour acheter un commerce ou une affaire. « ? En tant qu’organisation syndicale, je ne me vois pas défiler pour défendre des gens qui demandent à être licenciés ! » raille le syndicaliste.

Écœurés de s’être fait recaler, certains n’hésitent pas à se tourner vers les prud’hommes. Le contentieux sur « la perte de chance » est en plein essor. La Société générale, Bouygues Telecom ou encore Oracle en font les frais. « Le salarié estime qu’il entrait dans le champ des catégories visées par le plan et qu’il en a été abusivement privé », décrit Philippe Rogez. C’est la thèse défendue par une cadre épaulée par Emmanuelle Boussard-Verrecchia. En conflit avec sa direction depuis son retour de congé parental, elle souhaite partir. Mais, un mois avant l’ouverture du guichet, son intitulé de poste est modifié, de sorte qu’elle ne figure plus dans les cibles prioritaires. « Les PDV servent aussi à régler ses comptes », note l’avocate.

Boosté par les recalés, le contentieux sur “la perte de chance” est en plein essor

L’éconduit peut également prendre acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur en arguant de l’inégalité de traitement si des collègues ont été sélectionnés. « C’est compliqué moralement et juridiquement, reconnaît Aline Chanu, avocate. Car on a davantage l’habitude de se battre pour sauvegarder l’emploi. » Mais, couplés à un gros chèque, le mal-être et la quête de sens peuvent être de puissants dopants.

Olivier* est au contraire un volontaire malgré lui. Directeur au département fusions et acquisitions de la BNP Paribas, il a dû quitter son poste dans le cadre du PDV ouvert en mars 2012. Contraint et forcé. « Les conditions du plan étaient tellement peu intéressantes que personne ne voulait partir, se souvient-il. La direction a donc fait pression. » Deux jours avant l’ouverture du plan, son bonus est supprimé alors qu’il a rempli ses objectifs et que ses collègues, moins performants, ont perçu le leur. « Pour des cadres qui travaillent vingt heures par jour, c’est d’une violence inouïe », estime le jeune homme. Il refuse pourtant de signer la convention de rupture soumise par la direction. Car le courrier vise les articles sur la rupture conventionnelle alors que ça n’en est pas une. « Ça permettait à l’employeur de prouver mon consentement en cas de litige futur », analyse-t-il. L’Inspection du travail déclare la lettre « nulle et non avenue ». À force de menaces, Olivier paraphe le document. Et entame un recours pour discrimination, harcèlement et rupture sans cause réelle et sérieuse, qui passe en conciliation ce 4 avril.

Les contentieux de ce type sont encore rares. Mais ils témoignent des dérives quand le plan ne fait pas le plein ou quand l’entreprise a une idée bien précise de ceux dont elle veut se séparer. « Temps de réflexion, mesures d’accompagnement, projet personnel… Le juge vérifiera que le consentement était libre et éclairé », détaille Philippe Rogez, de Raphaël Avocats. En restructurant, l’employeur « force » le salarié à envisager une fin qui ne lui avait peut-être pas traversé l’esprit. « On laisse les gens décider, mais ça n’est pas un choix éclairé puisque leur poste est supprimé », pointe l’avocate Aline Chanu. L’appât du gain fait tourner les têtes, même si « les décisions se prennent généralement en famille et de façon réfléchie », tempère Xavier Tedeschi, dirigeant du cabinet Latitude RH. Pressés de dresser une nouvelle organisation, les managers peuvent faire passer des messages subliminaux. « Est-on dans le conseil avisé ou dans le volontariat quand votre chef vous dit qu’il n’aura plus rien à vous proposer en termes d’évolution ? » s’interroge Bernard Allain, délégué syndical central FO de Bouygues Telecom. La perspective de lendemains qui déchantent ou de partir avec moins en cas de licenciement économique finit alors de convaincre les plus récalcitrants…

* Le prénom a été modifié.

Pierre Garaudel Maître de conférences à l’IAE de Paris
“Y a-t-il consentement dans la subordination ?”

Les plans de départs volontaires sont-ils suffisamment encadrés ?

Les contrôles sont limités quand le système d’incitation est faible. Par contre, ils sont nécessaires quand l’incitation à partir est forte et que le bassin d’emploi est peu attractif. Car le salarié, attiré par le chèque-valise, va surestimer son employabilité. La philosophie d’un PSE, c’est le retour à l’emploi. On peut difficilement accepter que quelqu’un parte pour ensuite pointer à Pôle emploi et faire peser ce risque sur la collectivité.

Révèlent-ils une certaine « cupidité » des salariés ?

À l’annonce d’un PSE, tout le monde s’accroche à son fauteuil. Dans un PDV, les perdants sont ceux qui restent. Il peut être le révélateur d’un mal-être au travail, d’une envie de reconversion. L’emploi est un bien collectif qu’il faut protéger pour un syndicaliste. Ce dernier se heurte à des salariés qui perçoivent le départ comme une opportunité. Quand le PDV est très attractif, difficile de mobiliser pour dénoncer la restructuration. Les représentants se retrouvent donc écartelés entre la défense du collectif et des intérêts individuels.

Peut-on vraiment parler de volontariat ?

La question, c’est de savoir s’il peut y avoir un vrai consentement dans une relation de subordination… En quelque sorte, on achète le consentement en versant de fortes indemnités. Là où le recours au volontariat est fréquent, c’est quand la légitimité de la restructuration est contestable. Voilà dix ans, les Direccte n’auraient pas estimé nécessaire d’inciter les entreprises à y recourir. Aujourd’hui, il y a un consensus pour institutionnaliser les PDV. E. S.

Auteur

  • Emmanuelle Souffi