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Politique sociale

Carole Couvert, Madame Sans-Peur de la CGC

Politique sociale | publié le : 02.04.2013 | Stéphane Béchaux

La favorite de l’élection à la tête de la centrale, à son congrès mi-avril, manque peut-être de culture sociale, pas de ténacité. Mais sa guerre avec l’ex-leader a laissé des traces.

De l’ombre à la lumière. Secrétaire générale de la CFE-CGC depuis trois ans, Carole Couvert espère vivre une journée historique ce 17 avril à Saint-Malo, pour l’ouverture du congrès confédéral. Âgée de tout juste 40 ans, cette salariée de GDF Suez y briguera la première place de la centrale des cadres, occupée depuis décembre 2005 par Bernard Van Craeynest. Un président sortant meurtri et déchu, privé de toute rémunération depuis des mois, rejeté par la quasi-totalité des troupes. Et qui, jusqu’au bout, s’est démené pour entraîner dans sa chute sa numéro deux. Celle-là même qu’il désignait voilà trois ans comme la candidate idéale pour lui succéder un jour. « Hélas ! des Carole, on n’en a pas dix ou vingt », affirmait-il alors.

À l’époque, les deux dirigeants vivent le parfait amour. Ils partagent une vision commune, celle de transformer la CFE-CGC en organisation généraliste. Leur ambition ? Construire la « troisième force syndicale ». Un projet mûri déjà depuis deux ans : en 2008, BVC avait fait de Carole Couvert la cheville ouvrière de la fusion – avortée – avec l’Unsa. Dans la foulée du congrès de Reims, le duo réenclenche le processus. Il lance des groupes de travail pour explorer de nouvelles pistes et prendre langue avec l’Unsa, la CFTC et FO. Mais la dynamique s’enraye très vite. Faute de partenaires potentiels et d’impulsion confédérale. Faute d’urgence vitale, aussi : en octobre 2010, le Conseil constitutionnel sauve la CFE-CGC en lui reconnaissant le droit de ne voir mesurer sa représentativité que sur la seule population des cadres et agents de maîtrise. La décision prend à contre-pied Bernard Van Craeynest, qui renonce à sa grande ambition sans en avertir sa secrétaire générale. « Il a planté le projet deux jours avant un comité confédéral. Quand on défend une ambition, on ne se débine pas. Et on en parle à ses numéros deux et trois », fustige aujourd’hui Carole Couvert.

Entorse aux statuts. L’épisode marque la fin de la lune de miel et le début des embrouilles. Il résume, aussi, les incompatibilités d’humeur au sommet. D’un côté, un homme de dossier, solitaire et indécis. « Dans la maison, tout le monde l’aime bien, il est affable et partage le bout de saucisson. Mais ce n’est pas un patron, qui dirige et tranche », témoigne un ancien de la Rue du Rocher. De l’autre côté, une fonceuse qui, elle, revendique ce « lien hiérarchique » entre la direction confédérale et les secrétaires nationaux. Mais peine à asseoir sa légitimité. Issue d’EDF-GDF, la militante de Côte-d’Or a certes rejoint la confédération dès 2003 pour s’occuper des questions d’égalité professionnelle. Mais au prix d’une entorse aux statuts : avec ses trois petites années d’expérience syndicale de terrain, l’intéressée ne pouvait se prévaloir des « cinq années de militantisme » requises. Par la suite, elle n’a investi aucun champ du social ni participé à la moindre négociation.

Au sein du bureau, les dysfonctionnements se font jour dès la première réunion, consacrée à la répartition des dossiers. Une séance de sept heures, qui accouche d’un découpage en pôles sans rapport avec celui annoncé au congrès ! Censée chapeauter les questions européennes, Carole Couvert s’en voit notamment dessaisie, au profit du chimiste François Hommeril, qui a décidé mi-février de lui disputer la tête de l’organisation. Ces tensions initiales vont perdurer pendant presque toute la mandature, rendant tout travail collégial compliqué. « La négociation sur l’emploi n’a pas été otage des tensions. J’ai fait en sorte de rester dans ma bulle, en dehors de tout ça », relativise pourtant Marie-Françoise Leflon, secrétaire nationale à l’emploi. Une neutralité qui lui vaut d’être candidate au poste de secrétaire générale sur la liste Couvert, après avoir été sollicitée pour le même poste par son adversaire.

“Elle parle bien mais elle ne maîtrise pas les dossiers. Il va falloir lui en faire des fiches !” raille un opposant

Laissant au trésorier l’administration de la boutique, Carole Couvert prend la tangente fin 2010. « Le numéro deux ne peut bien fonctionner que s’il est soutenu par le numéro un. Or BVC m’a désavouée plusieurs fois en public. Comme je n’ai pas de tendance masochiste, j’ai cherché à être utile à l’organisation en me fabriquant un poste sur mesure », justifie-t-elle. Son nouveau combat ? Accroître la visibilité de la CFE-CGC auprès des Français et moderniser son image. « Retraithon », « Nouveau dialogue », « Pacte social », « Procès du syndicalisme »… Pendant dix-huit mois, l’ex-étudiante de l’ancienne École supérieure de management de Chalon-sur-Saône multiplie les opérations événementielles. Des initiatives diversement appréciées. « Son boulot est de régler au quotidien la marche de la maison, pas de faire des coups de com pour polir son image. Les salles, on les a remplies avec nos militants, on a fait zéro adhésion », critique Gabriel Artero, le patron des métallos. « L’objectif, c’était de faire parler de nous dans la presse régionale. Pour intéresser les gens il faut être attrayant sur le plan marketing », rétorque Régis dos Santos, son homologue des banques.

En interne, Carole Couvert s’active aussi, dans l’ombre. Elle surfe sur la vague du « tout sauf BVC » qui monte dans les branches professionnelles, mécontentes de la gouvernance de la confédération. Pendant toute l’année 2012, le comité directeur, qui réunit chaque mois les membres de l’exécutif et les dirigeants des principales fédérations, devient le lieu d’affrontements d’une rare violence. En jeu, non pas des divergences sur le positionnement de la CFE-CGC sur la scène sociale, mais la réforme des statuts et des questions de transparence financière. Un passage obligé pour la centrale, qui doit adapter ses textes aux nouvelles règles de représentativité. Un cauchemar. Avortée en juin, la réforme aboutit en décembre, avec la confirmation du caractère catégoriel du syndicat, adoptée à une écrasante majorité. Entre les deux assemblées générales, coups bas, menaces et accusations pleuvent. Jusqu’alors bénéficiaire d’une convention lui permettant d’être payé par son entreprise d’origine, Safran, contre remboursement par la confédération, BVC se voit même privé par ses instances de toute rémunération. À bout, celui-ci assigne mi-octobre sa secrétaire générale, son trésorier et neuf fédérations devant le TGI de Paris pour actes de dénigrement. Puis se rétracte.

Improbables défections. L’épisode signe la mort du métallo à la tête de la centrale. « C’est à ce moment-là que j’ai décidé de me présenter », prétend son ex-protégée. Peu crédible : le 25 mai 2012, le jour même où son rival annonce sa candidature à un troisième mandat, elle dépose des noms de domaine susceptibles de lui servir pour un futur site Web de campagne ! Dans la maison, beaucoup considèrent d’ailleurs que l’intéressée, parfaitement conseillée, s’est lancée dans la course bien avant. « Elle mène campagne depuis deux ans. Avec efficacité. Elle a su agréger autour d’elle un bloc de fédérations mécontentes du bilan de BVC, en faisant oublier que c’était aussi le sien », observe Philippe Jaeger, patron de la Fédération de la chimie. Un de ses acolytes, François Hommeril, tente bien dans l’urgence de contrer la favorite. Mais les chances de cet ingénieur fort en gueule, syndicaliste chez Rio Tinto, s’avèrent minces. Malgré le soutien des puissants métallos. Pour l’emporter, celui que l’interne surnomme Don Quichotte doit miser sur des défections dans la banque – à la BNP Paribas notamment –, l’agroalimentaire et la santé.

Les détracteurs de la quadra, qui la peignent en « intrigante », insistent sur sa faible culture syndicale et sociale. Et font circuler la vidéo d’un débat sur LCP, en juillet, au cours duquel Carole Couvert se fait expliquer par la députée socialiste Karine Berger qu’un taux d’imposition de 75 % au-delà du million d’euros de revenus n’équivaut pas à un chèque au fisc de 750 000 euros. « Elle parle bien mais elle ne maîtrise pas les dossiers. Il va falloir lui en faire des fiches ! » raille un négociateur maison. « Elle ne fait pas la maille. Sur les sujets techniques, on n’a jamais entendu le son de sa voix », abonde BVC. Ces mêmes opposants soupçonnent aussi l’intéressée – qui s’en défend – de vouloir remettre sous peu la question du « catégoriel » sur le tapis. En rappelant que le numéro deux de sa propre fédération, celle des industries électriques et gazières (IEG), cumule la casquette avec celle de leader de l’Unsa Énergie.

Ses partisans vantent, eux, son dynamisme, son aisance orale et sa capacité à organiser le travail collectif. « On admire sa ténacité. Malgré les obstacles, elle est restée souriante et a continué à bosser. Elle a créé le lien avec les fédérations, qui construisent avec elle son projet », approuve Christian Taxil, leader des électriciens-gaziers. « Elle veut remettre le militant au milieu. La Rue du Rocher ne doit plus être le nombril de la confédération, mais un centre de ressources à la disposition des fédérations, des unions territoriales et des syndicats », renchérit Régis dos Santos. Plusieurs étapes de son parcours plaident d’ailleurs pour elle. Première présidente, de 2005 à 2008, de la caisse nationale de retraite des IEG, elle a fait l’unanimité auprès des administrateurs, toutes étiquettes confondues. Son premier patron chez EDF-GDF, Robert Durdilly, actuel président de l’Union française de l’électricité, vante lui aussi ses « qualités managériales ». Un talent qui, si elle l’emporte, lui sera fort utile pour recoller les morceaux d’une organisation sens dessus dessous.

Affaiblie mais toujours debout

Apaisée sous l’ère Cazettes, la CFE-CGC sort de la présidence Van Craeynest terriblement divisée. Et affaiblie par la perte de la présidence historique de l’Agirc, récupérée par l’ennemi cédétiste, et de celle de la Caisse nationale d’assurance vieillesse, désormais aux mains de FO. Néanmoins, la centrale des cadres est encore debout. Avec ses quelque 140 000 adhérents « comptables » revendiqués, la centrale affiche une forte hausse par rapport à 2008 (+25 %), bien qu’elle subisse de plein fouet le papy-boom, avec 54 % des troupes ayant dépassé les 50 ans.

Peu audible sur la scène syndicale, monopolisée par les trois « grandes », la confédération parvient néanmoins à jouer sa petite musique. Protégée par son statut catégoriel, elle enregistre de bons scores aux élections professionnelles dans les entreprises, ce qui lui vaut l’assurance de conserver sa représentativité au niveau national et dans la plupart des branches.

Dans les négociations interprofessionnelles aussi, sa signature est indispensable au camp réformiste pour pouvoir conclure. Fin 2012, la CFE-CGC a d’ailleurs viré en tête lors du scrutin TPE, avec 27 % des voix contre 20,5 % à la CFDT. Elle a même creusé l’écart avec la CFDT par rapport aux prud’homales de 2008. Des résultats à relativiser, la centrale n’ayant recueilli que… 10 697 suffrages !

Auteur

  • Stéphane Béchaux