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Idées

Faut-il supprimer le 0,9 % pour la formation professionnelle ?

Idées | Débat | publié le : 02.04.2013 |

François Hollande a appelé à une réforme « courageuse » de la formation professionnelle, repoussant à la fin de l’année le dépôt d’un projet de loi. Parmi les sujets sur la table figure l’obligation légale (0,9 % de la masse salariale) des entreprises.

Joël Ruiz Directeur général d’Agefos PME.

En tant que principal financeur paritaire (Opca), la question posée nous renvoie au mécanisme de la mutualisation des fonds de la formation et son efficacité dans le contexte actuel. Si la participation au développement de la formation, via le 0,9 %, se maintient depuis 1971, c’est qu’elle présente des atouts essentiels, le plus évident étant celui de l’investissement minimal. L’obligation garantit l’accès à un financement depuis quarante ans et encore davantage en période de crise, or les investissements immatériels sont ceux qui souffrent le plus des réductions de dépenses des entreprises. Bon nombre d’entre elles, sans contribution minimale, freineraient énormément sur le poste formation. Une diminution de la formation des salariés s’accompagnerait d’une diminution de leurs compétences et donc, pour l’entreprise, de sa capacité à innover, de sa productivité et de sa compétitivité. La réduction de l’emploi ensuite ? Une conséquence logique. Autrement dit, la disparité des investissements formation est lissée par cette participation minimale obligatoire. C’est encore plus flagrant pour les TPE-PME, où il y a de réelles disparités de pratiques. L’obligation légale, même en temps de difficultés économiques, demeure un investissement nécessaire pour accompagner l’évolution des entreprises. De manière plus globale, c’est le principe même de formation continue qui est en question. Supprimer la participation minimale à l’investissement, c’est prendre le risque de devoir soutenir dans des conditions beaucoup moins positives et plus coûteuses les parcours professionnels difficiles. Former dans l’emploi coûte beaucoup moins cher que former les demandeurs d’emploi.

Supprimer l’obligation légale sur le plan de formation laisse entrevoir un transfert de fonds des entreprises, financées par cette obligation, vers un régime exclusif de subventions pour la formation des demandeurs d’emploi et des publics prioritaires. Déployer des moyens supplémentaires pour les demandeurs d’emploi est nécessaire, nous y sommes engagés depuis 2006, mais cela doit-il se faire au prix du désinvestissement dans la formation des salariés ? La formation des jeunes est une grande cause nationale, mais sans la moindre formation des adultes en emploi, qu’en sera-t-il ? On ne peut pas opposer ces priorités. Elles sont les deux faces d’une même pièce, celle de l’avenir de notre économie.

Jean-Pierre Willems Consultant en formation professionnelle.

Instaurée il y a quarante ans pour inciter à développer la formation professionnelle, la fiscalisation du plan de formation n’a plus guère d’effet incitatif et ne produit plus que des effets pervers : elle maintient une logique centrée sur le moyen, la formation, alors que la finalité est la compétence et la professionnalisation des salariés ; elle bureaucratise le fonctionnement des entreprises, des Opca et des organismes de formation autour de la notion d’imputabilité. À ce titre, l’obligation légale est un des freins au développement de l’e-learning. Elle prédétermine un niveau de budget qui est largement insuffisant pour avoir une véritable politique de formation (sur la base d’un salaire moyen de 2 500 euros, après versement des cotisations obligatoires, il reste environ 240 euros par salarié et par an pour la formation) et elle maintient des obligations de déclaration qui n’ont même plus d’intérêt statistique tant les entreprises se contentent de déclarer le minimum sans procéder au fastidieux recensement des coûts imputables.

La suppression du 0,9 % conduirait à se poser, au moins, trois questions : faut-il maintenir une obligation légale pour les PME afin qu’elles disposent de fonds mutualisés pour accompagner leur effort de formation ? Le paradoxe serait d’instaurer une taxe qui disparaît lorsque l’effectif s’accroît, soit l’inverse de ce qui est habituellement pratiqué. Ne faut-il pas rendre la négociation d’une contribution conventionnelle obligatoire dans le cadre de la négociation triennale de branche ?, chaque secteur définissant à quelle hauteur il a besoin de mutualiser des ressources en fonction de l’évolution de l’emploi, des métiers, des technologies, etc. Cette négociation pourrait porter aussi bien sur les TPE-PME que sur les grandes entreprises. Il faudrait également que l’État reconnaisse ce rôle de gestionnaire de contributions conventionnelles, voire de contributions volontaires, aux Opca. Enfin, ne faut-il pas rendre plus explicites les responsabilités sociales de l’employeur en matière de gestion des compétences et de l’employabilité, sur la base notamment des positions prises par la Cour de cassation qui considère qu’un salarié doit d’autant plus bénéficier de formation que son emploi est pauvre en contenu et ne lui permet pas de maintenir ses compétences. La suppression du 0,9 % n’a de sens que si ces trois questions sont simultanément traitées.

Paul Desaigues Conseiller confédéral CGT à la formation initiale et continue.

Il ne faut pas supprimer le 0,9 % mais, au contraire, le généra liser. Toutes les entreprises devraient contribuer à hauteur de 1,6 %. C’était d’ailleurs l’ambition des négociateurs de l’ANI de 2003. Il faut aussi revoir d’urgence l’assiette et le volume de la mutualisation. Seules les entreprises de moins de 10 salariés sont tenues de mutualiser le plan. Or la mutualisation est insuffisante et son usage, au bénéfice des personnes morales (entreprises, coopératives, associations…) et physiques (les travailleurs) qui en ont le plus besoin, est défaillant. Des réformes simples sont possibles. Un exemple. Un usage perçu comme un détournement de finalité du dispositif fait que près de 30 % des CIF concernent des actions de formation venant en substitution du plan pour des TPE-PME. Les raisons : efficacité, simplicité de fonctionnement et pleine substitution de masse salariale. C’est souvent le patron lui-même qui aide le salarié à faire sa demande. Les deux en tirent un intérêt : le salarié par l’accès à une certification reconnue sans perte de revenu, le patron par la capacité d’autofinancer le remplacement du salarié en formation. Il y a donc là un besoin social et économique auquel il est nécessaire d’apporter une réponse.

La réforme de 2009 intègre un mécanisme qui pourrait répondre à ce besoin à condition de la compléter. Des sections moins de 10, 10 à 49 et 50 et plus sont constituées au sein de tous les Opca. Elles servent d’appui à la « fongibilité asymétrique descendante ». Son principe : les fonds mutualisés d’une section ne peuvent être abondés que par ceux de la section des entreprises de plus grande taille. Or seule la section moins de 10 est « alimentée » puisque la mutualisation du plan n’est obligatoire que pour ces entreprises. Il faudrait donc imposer une mutualisation d’une partie de l’obligation légale « plan » (le 0,9 %) des entreprises de plus de 10 afin que les sections 10 à 49 et 50 et plus soient alimentées et ainsi rendre possible cette fameuse fongibilité que la loi a prévue mais pas outillée. Une mutualisation de 0,1 % de ces 0,9 % suffirait pour extraire du financement du CIF les formations de type plan. Des formations certifiantes de durée moyenne ou longue pourraient être ainsi financées par les Opca sur ces fonds mutualisés ainsi fléchés. Cela aurait le double avantage de libérer des financements pour les « vrais » CIF, dont le nombre financé pourrait augmenter de 50 %. La suppression du 0,9 % n’est donc pas la solution mais une réponse simpliste à de vraies questions.