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Enquête

Opération séduction pour attirer Amazon

Enquête | publié le : 02.04.2013 | Anne Fairise

Le géant américain de l’e-commerce a choisi Chalon-sur-Saône (Bourgogne) et Lauwin-Planque (Nord-Pas-de-Calais) pour y implanter des centres de distribution. Après des mois de concurrence entre différents sites.

Beaux joueurs malgré la défaite ! À quelques mois de distance, en Bourgogne et dans le Nord-Pas-de-Calais, on aura entendu ce même « cette arrivée profite finalement à toute la région ». Une déclaration pansement des candidats malheureux à l’implantation des troisième et quatrième centres de distribution français d’Amazon. « C’est vrai que nous nous sommes pris au jeu. Tous les autres dossiers ont été mis entre parenthèses », confie un déçu. « Pendant huit mois, cela a été un engagement de chaque instant pour avoir une longueur d’avance sur nos concurrents », souffle Christian Poiret, le rayonnant président de la communauté d’agglomération du Douaisis. Sorti vainqueur le 26 novembre de la dernière manche nordiste, face aux parcs d’activités de Valenciennes, d’Arras et de Douvrin, le maire du village de Lauwin-Planque qualifie déjà son terrain de « premier parc logistique au nord de Paris ». Et compare à un « Toyota bis » l’arrivée du géant américain. L’entrepôt de 90 000 mètres carrés, aussi vaste que 14 terrains de foot, qui doit sortir de terre avant l’été, procurera « d’ici à 2015 jusqu’à 2 500 emplois en période de haute activité, permanents et temporaires », a promis l’e-commerçant. En Bourgogne, la concurrence a été plus frontale. Elle n’a duré qu’un gros trimestre avant qu’Amazon choisisse, en juin, de louer 40 000 mètres carrés à Chalon-sur-Saône plutôt qu’à Beaune. En décembre, 930 salariés, aux deux tiers intérimaires, y préparaient les commandes. Un chiffre rendu public par le député-maire PS de Chalon, Christophe Sirugue, harassé par les polémiques. Sur le volume et la qualité des emplois créés, sur le montant des aides allouées au champion de l’optimisation fiscale – le fisc français lui réclame 198 millions d’euros d’arriérés d’impôts et de pénalités pour 2006-2010. Et enfin sur l’interventionnisme pro-Chalon supposé de l’ex-président du conseil général de Saône-et-Loire, le ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg.

Au commencement, pourtant, comme dans tout dossier d’implantation d’entreprise étrangère porté par l’Agence française pour les investissements internationaux, c’est un dossier « anonymisé » qui a atterri dans les parcs d’activités, après avoir transité par les agences régionales de promotion économique. Aucun élu n’est supposé savoir qui se cache derrière « RP Bourgogne » ou « Logistique 22 » dans le Nord-Pas-de-Calais. Au point qu’à Douvrin le parc des industries Artois-Flandres l’avait classé sans suite. « Notre vocation est de reconvertir le bassin minier en maximisant le nombre d’emplois industriels à l’hectare. Quand on a vu « entreprise logistique recherche 25 hectares », on a pensé entrepôt de stockage sans emploi », justifie Johanne Vitse, directrice adjointe.

Fuites d’information

Mais l’anonymat résiste peu à la rumeur, surtout lorsque les intermédiaires sont légion. À Beaune, la visite incognito d’un promoteur choisi par Amazon a alerté, mi-mars 2012, les services de l’agglomération. Évasif, Chalon indique qu’il a connu le projet « courant premier trimestre ». « En quinze jours, à partir de fin février, tous nos territoires ont eu connaissance du projet par différents canaux », admet Alexis Giloppe, directeur de l’agence régionale Bourgogne Développement. À ce stade, avoir la primeur de l’information ne serait pas un si gros avantage. « Lorsque nous avons diffusé le projet anonymisé d’Amazon, le Nord-Pas-de-Calais était en lice avec deux régions françaises et une allemande », martèle Luc Doublet, président délégué de Nord France Invest, l’agence régionale, d’une équité extrême entre ses territoires. Au point d’organiser, à l’été 2012, une visite de 11 sites en quarante-huit heures ! Au prix d’entrevues express entre les représentants des parcs d’activités, souvent des élus, et trois responsables d’Amazon.fr Logistique : quarante-cinq minutes top chrono.

« Déconcertant, vu les enjeux », soupire Johanne Vitse. D’autant que les contacts directs avec Amazon sont restés l’exception. À Lauwin-Planque, Christian Poiret s’est préparé comme pour un grand oral. Juché sur un car podium, au milieu du terrain vide, il a présenté « les atouts RH » de son territoire. Ses 8 300 personnes formées à la logistique dans un rayon de 30 kilomètres, son vivier de demandeurs d’emploi (14,7 % de chômage), la culture nordiste du travail, la manière dont il avait déjà accompagné Kiabi… Fin février, alors que les travaux de construction débutent, ses services ont déjà recueilli 1 000 CV. « L’accompagnement proposé est décisif. On ne vend pas qu’un terrain », répète l’élu. Même si ce qui a emporté d’abord le choix d’Amazon, c’est, reconnaît-il, la localisation géographique et la présence du promoteur immobilier australien Goodman. Un partenaire de poids : il a été associé à huit des dix plates-formes logistiques d’Amazon en Europe ! Début 2012, il avait déjà acheté 25 hectares à Lauwin-Planque. Quand, en juin, cinq mois avant la décision d’im plantation d’Amazon, Goodman a annoncé qu’il y construisait quatre bâtiments, « on s’est dit que c’était plié », rappelle un concurrent.

Autre facteur décisif, la coordination entre communautés de communes et services de l’État. Pour satisfaire aux délais minimes imposés par Amazon, le permis de construire a été obtenu en quatre mois, contre un an habituellement. Aux collectivités locales aussi de faciliter la bonne desserte du site (voie élargie, nouveaux giratoires) et d’apporter des réponses en termes de logement et d’accueil des enfants des futurs salariés… Si, dans le Nord-Pas-de-Calais, les caractéristiques du bassin d’emploi ont peu joué, elles ont été déterminantes en Bourgogne. Face à Chalon qui, avec 89 000 actifs dont 9,5 % au chômage, ne s’est jamais remis de la fermeture de Kodak, Beaune compte 24 000 actifs dont 7,4 % sans emploi. « Notre bassin d’emploi de proximité est plus important, avec une main-d’œuvre qualifiée dans les métiers industriels et rompue aux horaires atypiques », plaide Agnès Ramillon, chargée du développement économique au Grand Chalon. Beaune a fait valoir sa proximité avec Dijon. Mais, pour rejoindre Beaune, les Dijonnais auraient dû payer des frais de péage autoroutier de 6 euros par jour. C’est beaucoup lorsque les premiers niveaux de salaire sont un peu supérieurs au smic. « Nous avions des locaux adaptés, une main-d’œuvre mobi li sable, une desserte autoroutière moins encombrée, une fiscalité plus basse », tempête un proche du dossier à Beaune. Un débat dont Alain Suguenot, son député-maire UMP, veut sortir : « La candidature de Beaune aura permis de bien positionner la Bourgogne face à d’autres régions. » Une différence essentielle entre les deux dossiers porte sur les aides directes des collectivités.

À Chalon, Amazon bénéficiera, entre 2012 et 2013, de 2,25 millions d’euros de subvention pour 500 CDI à temps plein créés. Elle est apportée par la région, qui a bonifié ses aides pour le bassin sinistré, et par le conseil général, qui soutient financiè rement l’implantation d’entreprises. Contrairement à la Côte-d’Or, où est situé Beaune. Au total, un coup de pouce de 4 500 euros par CDI créé, non négligeable lorsqu’on s’installe en location. Sollicité, Amazon n’a pas souhaité nous répondre.

Auteur

  • Anne Fairise