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Vie des entreprises

Pour que vive l’ANI du 11 janvier 2013

Vie des entreprises | Chronique juridique | publié le : 02.03.2013 | Jean-Emmanuel Ray

« La victoire a mille pères, mais la défaite est orpheline. » John Kennedy résumait en 1961 une évidence humaine : personne ne veut porter la responsabilité d’évolutions difficiles. Et l’on pourrait ajouter, surtout en France, « la critique est facile, mais l’art est difficile » : l’ANI du 11 janvier est sous le feu des critiques, sur la forme comme sur le fond.

Tout projet de réforme envisagé par le gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l’emploi et la formation professionnelle fait l’objet d’une concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d’employeurs en vue de l’ouverture éventuelle d’une négociation. » Entérinant une pratique officieuse datant de Jacques Delors, conseiller de Jacques Chaban-Delmas en 1969, directement inspiré des pratiques communautaires, notre article L. 1 datant de la « loi Larcher » du 31 janvier 2007 instituant la « négociation légiférante » avait une forte valeur symbolique au pays de Colbert et quatre avantages.

LES QUATRE AVANTAGES DE LA NÉGOCIATION LÉGIFÉRANTE

1. Créant nécessairement une phase de refroidissement, ce temps réservé aux partenaires sociaux a deux avantages collatéraux non négligeables : la machine médiatique qui s’est emballée sur un projet de loi lié à une actualité aussi brûlante que ponctuelle va lâcher cet os au profit de celui du lendemain : de lege non ferenda est, en France, appréciable. Aussi, il va permettre aux experts de mieux réfléchir à la faisabilité du projet, à ses conséquences sociales et financières.

2. Sa double légitimité assure au texte légal (et à ses décrets, voire aux circulaires, eux aussi très concertés sinon négociés avec les signataires) une meilleure stabilité, lui évitant des modifications en cas d’alternance politique.

3. La source conventionnelle de la loi associant légitimité sociale et politique est génératrice de consensus, à tous les stades : au Parlement, députés et sénateurs des deux bords n’ont guère envie de se mettre à dos l’ensemble des signataires. En entreprise, ce texte initié par leurs confédérations est plus facilement appliqué par les militants, suscitant sans doute moins de contentieux.

4. Last but not least : cette régulation sociale apaisée peut contribuer à relancer la machine économique, ou du moins faire réfléchir les investisseurs étrangers un peu effrayés par nos gauloises réactions. De ce point de vue, l’ANI du 11 janvier est tombé à pic pour nos partenaires économiques et autres agences de notation très réservés sur le « modèle français ».

LE MISTIGRI DU SOCIAL EN PÉRIODE DE CROISSANCE MOLLE

Banal en Europe du Nord, ce processus associant démocratie sociale et démocratie politique doit-il être constitutionnalisé, comme le souhaite une improbable alliance Parisot-Hollande ? En caricaturant, la première veut, surtout quand la gauche arrive au pouvoir, que l’État lâche les entreprises paralysées par des couches successives de contraintes. Et le nouveau président souhaite certes valoriser les « corps intermédiaires » vilipendés par son prédécesseur (voir les grandes conférences sociales de juillet 2012 puis juillet 2013 au Conseil économique, social et environnemental), mais aussi les impliquer dans des réformes bien peu populaires. Candide aurait en effet remarqué que, avec la fin des Trente Glorieuses et a fortiori avec notre croissance aujourd’hui proche de zéro, le grain à moudre s’est fait rare. Qu’il faut désormais organiser le repli du social : PSE, accord de sauvegarde de l’emploi, niveau des allocations chômage, voire des retraites… Si la puissance publique avait été la grande organisatrice de la conquête de toujours plus d’avantages sociaux financés par la croissance, elle ne verrait aujourd’hui aucun inconvénient à se délester de cette lourde charge politique sur les partenaires sociaux, leur laissant faire le sale boulot. Comme l’a bien résumé le Conseil européen, « les gouvernements ne doivent pas être les seuls à préconiser et à soutenir le changement » (c’est-à-dire à prendre des coups). Et de souhaiter « favoriser les initiatives associant les partenaires sociaux, la société civile et les pouvoirs publics » : le mistigri du social, en repli faute de croissance.

LE DERNIER ANI MODÈLE 1968

L’accord signé doit-il être positivement majoritaire, à défaut d’être unanime, comme l’a été celui du 19 octobre 2012 sur le contrat de génération ? L’ANI du 11 janvier sera en tout cas le dernier de son espèce. Jusqu’en mai 2013, il peut encore être signé par deux confédérations et être juridiquement valide si les trois autres, tout en le condamnant médiatiquement et quel que soit leur poids réel, n’exercent pas leur abracadabrantesque majorité arithmétique d’opposition (trois contre deux). Mais le prochain accord s’inscrira dans le cadre de la loi du 20 août 2008 et de l’arrêté devant fixer la liste des confédérations représentatives au niveau national : celles ayant obtenu au moins 8 % des suffrages exprimés aux élections professionnelles 2008-2012. Et il ne sera valide que si ses signataires réunissent au moins 30 % des suffrages (ce qui serait sans doute le cas de l’ANI du 11 janvier) et s’il ne fait pas l’objet d’un droit d’opposition de la part des confédérations ayant obtenu plus de 50 %. De ce point de vue, et lorsque l’on regarde l’état de la syndicalisation en France, on peut déplorer la guerre déclarée entre signataires et l’alliance baroque CGT-FO, qui oppose d’abord les syndicats de salariés entre eux : en ont-ils vraiment besoin ?

LE SYNDROME MAINS BLANCHES

« Pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l’emploi »: le titre de l’ANI est particulièrement ambitieux. Si le compromis qu’il acte n’est pas « historique » faute d’accord unanime, ses grands axes montrent cependant la possibilité d’une évolution à terme considérable des relations sociales. Bon ou mauvais accord ? Tout dépend du diagnostic fait sur la situation actuelle mais aussi future de l’économie et du chômage en France, et du rôle dévolu aux syndicats : ne doivent-ils arracher que des « avantages » comme ils l’ont fait pendant les Trente Glorieuses ou négocier aussi des contreparties quand la bise est venue ?

Avantages Si, à l’ancienne, on pensait faire fonctionner le syndicalisme de la pelle à tarte en se partageant un gâteau en croissance de 5 % par an, c’est une déception : le texte conventionnel est loin d’être aussi univoque. Mais, depuis l’apparition des accords dérogatoires en 1982, un accord collectif n’est plus forcément à sens unique : à côté des avantages peuvent figurer des contreparties.

Contreparties ? Si l’on estime qu’il y a le feu à la maison (1 000 chômeurs de plus chaque jour) et que l’on regarde ce qu’ont récemment fait nos voisins italiens, espagnols ou britanniques à l’échelon national ou dans leurs usines automobiles, les signataires de l’ANI ont trouvé un point d’équilibre dans le monde tel qu’il est. Pas celui rêvé des anges, ou de la lutte idéologique contre un patronat assoiffé du sang des travailleurs, toute concession étant nécessairement une perte sèche pour les salariés. Face aux réalités du moment, même notre ministre du Redressement productif a abandonné ses rodomontades et autres moulinets médiatiques. Alors dans une telle situation, que faire ? Rien pour garder les mains blanches ? Est-ce la bonne solution pour l’emploi des salariés en poste (les précaires payant le prix maximal) ou l’accès des chômeurs à un emploi ? Bien sûr, le texte n’est pas parfait ; il s’agissait d’une négociation difficile qu’il fallait absolument conclure rapidement car un échec était inconcevable pour un gouvernement ayant tout investi dans le dialogue social.

LE COURAGEUX PARI DE LA FLEXIBILITÉ INTERNE

Le courageux pari fait par les signataires est celui de la flexibilité interne, plus longue et complexe à mettre en œuvre (formation, reclassement…) que la flexibilité externe (à court terme plus facile : couper une branche) : c’est-à-dire les PSE et surtout les licenciements économiques individuels, qui se multiplient et ne visent pas forcément les salariés les plus jeunes et les plus diplômés, et donc la lutte contre la montée d’un chômage de longue, très longue durée (durée moyenne : deux cent cinquante-sept jours, en augmentation de cinq jours) mettant l’ensemble de notre système de protection sociale en danger.

En attendant la traduction législative de ce texte qui veut aussi créer une dynamique de changement, mérite-t-il ce tir à vue ? Trois exemples.

1. Anticiper le plus en amont possible pour éviter d’être face à un obstacle – et donc salariés et syndicats dos au mur. Le collaborateur n’est plus titulaire d’un emploi à vie : il est locataire du sien mais propriétaire de sa compétence et donc de son employabilité en interne et sur le marché du travail. Garder son emploi ou un emploi en cas de coup dur ? La mobilité professionnelle et géographique est encouragée, sur le plan individuel et collectif, avec une GPEC reboostée.

2. Moins de travail à temps partiel subi avec un minimum hebdomadaire de vingt-quatre heures, malus de cotisations pour les CDD courts mais bonus pour l’embauche de CDI de moins de 26 ans, engagement du secteur du travail temporaire de négocier un CDI intérimaire (qui pourrait atteindre 20 % ?).

3. Les articles relatifs au PSE veulent enfermer toute la procédure dans des délais restreints et l’accord collectif se voit donner un pouvoir considérable. Mais il faudra que des syndicats représentant plus de 50 % des suffrages exprimés y prêtent la main. Et a-t-on fait le bilan social, financier et humain des interminables procédures judiciaires en forme de parties de flipper, y compris chez Goodyear Amiens ? Qui a gagné quoi ? Que pensent les salariés en cause de ces feuilletons judiciaires ? Certes, pour les syndicats ou les institutions représentatives du personnel, le temps – associé à l’argent et à une éventuelle médiatisation du conflit – est aujourd’hui un élément déterminant du rapport de force. Mais depuis l’affaire des petits LU on sait aussi que ces fermetures d’usines s’étalant sur un an, voire dix-huit mois, sont une catastrophe humaine et financière, ce que confirme l’agonie de l’usine d’Aulnay.

FLASH
Un exemple de diabolisation : la mobilité externe (article 7)

Que n’a-t-on pas entendu sur le sort de cette pauvre Cosette obligée d’aller travailler chez d’autres Thénardier et qui, si elle refuse de revenir, serait déclarée démissionnaire et donc privée d’allocations chômage ! Sans même évoquer la mobilité intragroupe qui pourrait retrouver des couleurs, autre traduction possible : Nestor s’ennuie dans son entreprise, ou trouve que le carnet de commandes sent le roussi ; il veut changer d’emploi, mais sans prendre le risque d’un départ précipité. Il signe alors avec son employeur un avenant à son contrat, et non une mise à disposition vers une entreprise tierce. Pendant cette suspension, il travaille avec un autre contrat dans une autre entreprise.

Au bout de cette période probatoire new-look ?

Deux solutions.

Nestor veut réintégrer la maison initiale : il doit retrouver son emploi antérieur ou un poste similaire, avec sa qualification et sa rémunération. Il ne veut pas revenir ? C’est qu’il a trouvé le second job plus excitant : on voit alors mal pourquoi l’employeur numéro un devrait licencier un collaborateur qui est en poste chez le numéro deux. Il sera donc démissionnaire, sans avoir à effectuer le préavis d’usage.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray