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Politique sociale

Des stars du barreau qui voient rouge

Politique sociale | publié le : 02.03.2013 | Anne Fairise

Spécialistes de la défense des salariés licenciés, Mes Philippe Brun et Fiodor Rilov sont devenus les bêtes noires des directions. Et de certaines instances syndicales qui dénoncent leur jusqu’au-boutisme. Portraits croisés.

Cela s’appelle une fraude, M. Varin ! » Pour une fois, ce n’est pas dans une salle d’audience que résonne la voix de Philippe Brun. Ce mardi 29 janvier, l’avocat rémois qui combat depuis vingt ans les plans sociaux de grands groupes qu’il juge dictés par la seule recherche de rentabilité piétine, sous la pluie, avec les ex-salariés du site PSA de Melun-Sénart. À l’appel des syndicalistes CGT, le médiatique défenseur des Viveo et Sodimédical se hisse vite sur l’estrade improvisée, devant le siège du constructeur, pour dénoncer les conditions de la fermeture de Melun-Sénart en janvier 2012.

Un « modèle », comme le prétendent les services du patron de PSA, car conduit sans plan social ? Non, « une fraude avérée par la délivrance d’attestations de Pôle emploi spécifiant le licenciement », martèle Philippe Brun, qui appelle à poursuivre le combat « jusqu’à la cour d’appel de Paris », sous les hourras des anciens de Melun-Sénart requinqués… et de 50 ouvriers de PSA Aulnay-sous-Bois, également galvanisés. La veille, ils ont appris la suspension du plan de 8 000 suppressions d’emplois de PSA grâce à la procédure conduite, pour le compte de la CGT de sa filiale Faurecia (équipementier), par l’avocat parisien Fiodor Rilov. « L’autre Philippe Brun », de quinze ans son cadet mais rivalisant sur les dossiers sensibles, des Samsonite aux Continental, en lutte aussi contre « les multinationales qui font des profits gigantesques et licencient ». Également vent debout contre l’accord du 11 janvier, bouleversant la législation sur les plans sociaux.

Projet contre les licenciements boursiers. Lui aussi bat le pavé parisien ce mardi. Pas comme avocat, précise-t-il, comme « militant communiste révolutionnaire », dans la pure tradition familiale, encarté au PCF depuis l’âge de 17 ans. On retrouve ce fils d’un artiste peintre russe devant le ministère du Travail, aux côtés de 400 salariés d’une vingtaine d’entreprises où l’emploi est menacé venus déposer le projet de loi contre les licenciements boursiers… qu’il a rédigé. Au risque d’alimenter les procès en mélange des genres. Ceux-ci se multiplient depuis qu’en juin dernier le quadra s’est porté candidat à la succession du bouillonnant Maxime Gremetz aux législatives de la première circonscription de la Somme, pour finalement se désister au profit du délégué CGT de Goodyear d’Amiens Nord. Avec qui il bataille depuis 2007, au prix de… 15 procédures juridiques, contre la fermeture annoncée du site. Le militant supplante-t-il l’avocat ? « Quand je plaide, ce n’est que sur le fondement de mes arguments juridiques, au service de la cause des salariés. Même si mes enjeux de militant et d’avocat se recoupent parfois. Car les rapports de classe en France sont, en partie, fondés sur la possibilité des détenteurs de capital de licencier les travailleurs ? », dit-il.

Ils partagent la créativité technique, la pugnacité et une utilisation assumée des médias

Un discours et un parcours sans détour qui le distinguent de son aîné Philippe Brun : sympathisant du Front de gauche mais « avant tout un homme libre », clame ce presque sexagénaire fort en gueule. Si Rouge, le magazine de la Ligue communiste révolutionnaire, lui ouvre ses colonnes, lui s’inscrit dans le socialisme autogestionnaire. Rien d’une tradition familiale pour le Rémois, fils d’un ouvrier maçon « plutôt démocrate-chrétien », qui a eu une vie avant de prêter serment, à 36 ans. D’abord comme enseignant-chercheur en droit social à l’université de Reims et assistant du maire PS de Châlons-en-Champagne, puis conseiller juridique auprès de la CFDT Champagne-Ardenne et défenseur prud’homal. Pour autant, il a eu du mal à envisager la carrière d’avocat, « et de devenir petit patron. D’ailleurs, je suis un mauvais patron, trop gentil », ironise ce dirigeant d’une PME de 15 salariés. Histoire de marquer sa différence, il a intégré en 1993 la profession non par la voie du concours, mais « du fait de [son] expérience syndicale », nouvelle possibilité alors offerte.

À la différence de son jeune confrère, il n’est pas encarté, enfin ne l’est plus depuis qu’il s’est senti « excommunié » par le PS. L’histoire est connue. En 1999, Philippe Brun défend les 450 salariés de Wolber, filiale à Soissons de Michelin, qui délocalise la production en Asie. Lorsque, interpellé sur les licenciements, Lionel Jospin lâche le fameux : « L’État ne peut pas tout. » Consulté par François Hollande, l’avocat aide alors les députés de gauche à préparer un amendement « Wolber » autorisant les salariés à saisir le juge pour s’assurer de l’existence d’une cause économique avant la mise en œuvre du plan social. Finalement déposé par les communistes et discuté le 2 décembre 1999, il sera rejeté par les députés, serrant les rangs derrière le gouvernement Jospin, au prix d’une pagaille dans la majorité plurielle. Un épilogue amer qui lui a valu de rencontrer le jeune Rilov, introduit par le député communiste Maxime Gremetz sur cette affaire comme de nombreuses autres. Mais ils n’ont jamais travaillé ensemble.

Ce que les deux avocats-militants partagent, par contre, c’est une même créativité technique, une pugnacité inégalée et une utilisation assumée, quasi systématique, des médias qui bouscule les pratiques de la profession. « L’un et l’autre osent là où beaucoup d’autres avocats restent frileux. Philippe Brun, surtout, expérimente beaucoup », reconnaît un confrère « travailliste » qui salue sa virtuosité technique et son talent oratoire. « Si je convaincs, ce n’est pas parce que je suis lyrique sur les injustices, il faut être techniquement très fort », martèle son homologue parisien. Pour les Flodor, Fiodor Rilov a demandé en 2005 la saisie conservatoire de la marque, pour obliger le groupe à proposer un plan social suffisant. Dans de nombreux dossiers, il « réactive » la notion de coemploi entre la maison mère et les filiales : « Qui décide de l’organisation de la production, si ce n’est la maison mère ? Les décideurs doivent assumer leurs responsabilités. » « Surtout, il est fort pour différer le plan de la direction. Il gagne sur le non-respect des règles d’information-consultation des instances représentatives du personnel. Toujours sur la forme, jamais sur le motif économique », précise un défenseur patronal. Cela reste la cause de Philippe Brun.

Absence de motif économique. Sur le sujet, l’avocat rémois n’a jamais déposé les armes. Pour les « petits LU » et les salariés de STMicroelectronics, il a de nouveau réclamé l’annulation des plans sociaux pour absence de motif économique, mais perdu devant tous les tribunaux, jusqu’à la Cour de cassation. Il a fallu que les salariés de Sodimédical, d’Ethicon et de Viveo (trois restructurations dans des groupes en bonne santé) le sollicitent pour qu’il reparte au front en 2010. Jusqu’à ce que la cour d’appel de Paris lui donne raison mi-2011, suscitant l’affolement des milieux patronaux. La Cour de cassation a beau avoir douché tout espoir le 3 mai dernier, l’avocat grisonnant a encore saisi, en février, la cour d’appel de Paris, pour le compte des fédérations CGT et CFE-CGC et leurs représentants chez Viveo !

Ces combats juridiques sans fin servent-ils la cause des salariés ? Il en est d’amers, comme la réintégration des Wolber en 2005, après sept ans de procédure, dans une usine… n’existant plus. Certains devront même rembourser, par la suite, une partie des indemnités perçues. « L’acharnement procédurier peut être contre-productif : la partie adverse va se protéger encore plus », souffle un avocat. Philippe Brun en a fait l’expérience lorsque la loi de cohésion sociale de 2005 est revenue sur l’avancée de jurisprudence sur la réintégration des salariés licenciés ! Inutile de demander à Fiodor Rilov l’impact de ses actions sur la jurisprudence : l’avocat parisien évacue la question en parlant de « processus » : « La doctrine jugera. Ce n’est pas parce que je suis communiste et révolutionnaire que je m’assois sur la tradition. »

Leurs méthodes restent controversées, y compris au sein de certaines fédérations CGT qui dénoncent un jusqu’au-boutisme dommageable pour l’emploi. « Ils mènent une action personnelle et individualiste sans penser aux salariés », tranche un responsable fédéral. Il leur reproche de « jouer les superdélégués », bref d’établir la stratégie à la place des syndicats d’entreprise. « Souvent, lorsqu’il y a une restructuration difficile, les syndicats s’autonomisent des structures fédérales. Or celles-ci ont leur propre avocat », résume un représentant fédéral FO.

La négociation, avec ses compromis, n’est pas le fort de Mes Brun et Rilov. « Chez Samsonite, Fiodor Rilov a fait capoter le protocole d’accord qui se négociait entre l’employeur et la fédération CGT au ministère du Travail. Il a dit qu’il pouvait obtenir de plus grosses indemnités. De fait, il les a triplées, mais après la fermeture de l’usine et trois ans de procédure, en prenant de gros honoraires au passage ! » déplore un négociateur de l’époque. « Les montants proposés par la direction étaient ridicules », se défend l’avocat parisien, aujourd’hui très controversé pour son rôle auprès de la CGT Goodyear à Amiens, qui s’oppose depuis sept ans à tous les plans de restructuration. Au risque que cette obstruction systématique conduise au licenciement des 1 250 salariés, comme cela a été annoncé fin janvier par Goodyear. Lorsque nous l’avons interrogé la veille sur le sujet, Fiodor Rilov défendait sa stratégie : « À un moment, la vraie responsabilité est de ne pas engager les salariés dans un processus les privant de leurs droits. »

Charismatiques. Chose certaine, Philippe Brun et Fiodor Rilov sont adulés des salariés qu’ils défendent. Leurs meilleurs avocats. Ceux-là les décrivent volontiers comme « chaleureux », « pédagogues » et « mettant toujours les salariés en avant auprès des médias ». Aucun des deux, il est vrai, n’est avare de son temps sur le terrain. Et ils partagent une même simplicité dans les rapports humains. « Fiodor, il est extraordinaire. Il ne manque pas une AG du collectif des ex-Samsonite, même s’il est toujours en retard », sourit Renée, 61 ans. « Philippe Brun, c’est comme un père pour nous », renchérit un PSA de Melun-Sénart.

Mais leur combat reste solitaire, aucun des deux ne participant à la commission sociale du Syndicat des avocats de France, classée à gauche. « Ils ne s’inscrivent pas, ou difficilement, dans un mouvement de réflexion collective. Ils gèrent leur carrière à part », déplore l’un d’eux. Philippe Brun la verrait bien évoluer vers un mandat parlementaire au nom du Front de gauche, pour gagner par la loi ce que la jurisprudence ne lui a pas donné. Il pourrait y rencontrer Fiodor Rilov, qui compte se représenter aux prochaines législatives. S’il obtient cette fois la naturalisation française.

Auteur

  • Anne Fairise