Beaucoup d’études ont été menées sur les discriminations comme phénomène social, mais il existe beaucoup moins de travaux sur la manière dont celles-ci sont vécues par ceux qui en sont les victimes. C’est ce qui fait l’originalité de l’ouvrage signé de quatre enseignants de l’université de Bordeaux, dont le sociologue François Dubet. Ils se sont concentrés sur trois groupes : les migrants, les femmes et les minorités sexuelles. Ils ont donné la parole à ceux qui faisaient l’expérience de ces discriminations, prenant le parti de poser comme hypothèse qu’ils s’exprimaient de « bonne foi ». Le premier témoignage, celui de Nordine, plonge ainsi dans l’univers des ghettos urbains. Mais là où celui-ci s’en tire par la colère et réussit à s’extraire de son ghetto, beaucoup d’autres succombent à ce que les enquêteurs appellent « l’écrasement » : « Le racisme et la stigmatisation détruisent les individus, les écrasent, et certains récits sont présentés comme une succession d’humiliations et de malheurs auxquels il n’est pas possible de résister », observent les quatre chercheurs qui évoquent les différentes stratégies personnelles, de la haine au détachement systématique, par lesquelles les victimes de discriminations s’en défendent. Leur ouvrage montre que si les discriminations touchent en priorité les catégories populaires et les chômeurs, elles n’épargnent pas les classes favorisées, à commencer par les femmes. Mais, suivant la position sociale que l’on occupe et le parcours que l’on a pu suivre, l’expérience de la discrimination n’est pas la même. L’essai consacre un chapitre à la question des discriminations sur ce que les auteurs préfèrent nommer « les marchés du travail ». Après avoir examiné le cas d’un marché relativement atypique, celui de l’audiovisuel, François Dubet et ses collègues mettent en avant ces secteurs où elle est presque institutionnalisée. Le bâtiment, une frange de la restauration, les métiers de la sécurité, l’intérim. À la fin de leur exploration, ils constatent que même si les moyens juridiques existent pour lutter contre cette plaie, il est très difficile pour les victimes d’y avoir recours sans risque de retour de bâton. On retrouve le thème de prédilection de François Dubet dans la conclusion, qui insiste sur le fait que le seul critère de l’égalité des chances ne suffit pas pour combattre les discriminations si l’on laisse de côté la lutte pour l’égalité sociale.
Pourquoi moi ? L’expérience des discriminations, François Dubet, Olivier Cousin, Éric Macé et Sandrine Rui. Éditions Seuil . 340 pages, 23 euros.