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Idées

Faut-il retarder, à nouveau, l’âge légal de départ à la retraite ?

Idées | Débat | publié le : 02.03.2013 |

Un comité des Sages devrait prochainement être mis en place afin de proposer des pistes pour rétablir l’équilibre du système de retraites par répartition. Car, en dépit de la réforme de 2010, le déficit des régimes sera supérieur à 21 milliards d’euros en 2017.

Bruno Palier Directeur de recherche du CNRS à Sciences po (Centre d’études européennes)

On a tendance à dire que l’âge légal de départ à la retraite est, en France, parmi les plus bas d’Europe, en se référant à la retraite à 60 ans, qui sera repoussée à 62 ans d’ici au 1er janvier 2017. Cependant ce n’est pas cet âge-là qu’il faut prendre en compte mais celui à partir duquel il n’y a plus de décote sur le montant de la retraite obtenue dans le cas où le nombre d’années nécessaires à une retraite complète n’est pas atteint. Cet âge est de 65 ans et huit mois en France, et il sera porté à 67 ans à partir de 2017, sachant que la décote représente – 1,25 % de la pension par trimestre manquant (moins 5 % par année manquante). Ces règles-là, qui définissent l’âge légal de départ à la retraite dans les autres pays européens, sont parmi les plus strictes d’Europe. Ainsi, cet âge est à peu près partout fixé à 65 ans en Europe, et les pays qui ont décidé de le repousser à 67 ans le feront beaucoup plus tard : d’ici à 2027 au Danemark, en Espagne, d’ici à 2029 en Allemagne, d’ici à 2037 aux Pays-Bas, l’Italie prévoyant de passer à 66 ans d’ici à 2016 et la Grande-Bretagne à 66 ans aussi d’ici à 2020. En Suède, l’âge effectif de départ dépasse les 64 ans (il est légèrement inférieur à 60 ans en France), mais l’âge légal à partir duquel chacun peut choisir de cesser de travailler est de 61 ans. La vraie différence tient plus aux taux d’emploi des seniors. La France est l’un des pays où les seniors parviennent le moins à rester en emploi jusqu’à l’âge de la retraite ! S’ils ont remonté en France au cours des dernières années, les taux d’emploi restent parmi les plus faibles d’Europe : en 2010, 48,1 % des 55-59 ans étaient en emploi en France, pour 56,4 % en Allemagne, 63,2 % en Grande-Bretagne et 78,6 % en Suède. Seulement 10,2 % des 60-64 ans étaient en emploi en France, pour 19,6 % en Allemagne, 36,1 % en Grande-Bretagne et 46 % en Suède. La question est donc moins celle de l’âge légal décidé par les pouvoirs publics que l’âge réel de départ à la retraite, qui dépend des politiques des entreprises, de leurs stratégies de formation (trop souvent refusée aux salariés de plus de 50 ans, qui se retrouvent alors moins productifs à cause de l’absence de formation adéquate) et aussi de l’aménagement des postes et des conditions de travail. Commençons par faire en sorte de garder les seniors dans les entreprises jusqu’à l’âge de la retraite avant de vouloir repousser une fois encore l’âge légal de départ.

Pierre Concialdi Chercheur à l’Ires

Le recul de l’âge légal de la retraite a des effets sur le marché du travail, sur les inégalités et sur les comptes sociaux. Cette mesure incite les salariés à rester davantage sur le marché du travail, du moins quand ils le peuvent. Dans les pays où l’âge légal est plus élevé, l’écart entre l’âge de cessation d’activité et l’âge de liquidation de la retraite est bien plus important qu’en France : le recul de l’âge de la retraite augmente la précarité des salariés âgés. Dans un contexte de sous-emploi massif, cela pénalise aussi les autres salariés sans accroître pour autant le taux d’emploi global. C’est ce qu’on observe depuis dix ans. Le taux d’emploi global est resté stable, mais il a fortement augmenté pour les 50 ans et plus tandis qu’il a baissé (pour les jeunes) ou quasiment stagné pour les autres classes d’âge. Ce phénomène s’est accentué entre 2010 et 2011 avec une hausse du taux d’emploi pour les 55-64 ans et une baisse pour les moins de 55 ans.

L’effet sur les inégalités est plus direct et mécanique en raison des inégalités d’espérance de vie, qui sont de nature plus structurelle. Non seulement l’espérance de vie (à 35 ans) des cadres est plus élevée que celle des ouvriers (d’environ sept ans), mais cet écart est plus important pour l’espérance de vie en bonne santé (de huit à dix ans selon le degré d’incapacité). Un recul de l’âge légal prive ainsi tous les salariés d’un même nombre d’années de retraite alors que les années de « bonne vie » à la retraite sont bien plus importantes pour les cadres que pour les ouvriers. L’effet sur les comptes des régimes de retraite a été chiffré par le COR en 2010. Les résultats montraient qu’un recul de trois ans des bornes d’âge ne diminuait pas les besoins de financement des régimes de fonctionnaires et réduisait d’un peu plus d’un quart ceux du régime général.

En résumé, le recul de l’âge de la retraite ne permet pas de rétablir l’équilibre des comptes tandis qu’il augmente fortement les inégalités. Comme l’allongement de la durée de cotisation ou la désindexation des pensions, cette mesure a pour objectif, dans le droit fil des changements opérés depuis vingt-cinq ans, de « définancer » les retraites, c’est-à-dire de réduire l’accessibilité à une pension et, plus généralement, le niveau des droits à pension. Il s’agit là d’un choix politique qui ne peut guère être légitimé par des arguments de nature économique.

Jean-Olivier Hairault Professeur à Paris I, Centre d’économie de la Sorbonne

Il faut prendre conscience que le niveau de vie des retraités relativement aux actifs va, dans les décennies à venir, baisser au fur et à mesure que les effets de la désindexation des salaires vont se faire sentir. Initiée par la réforme des retraites engagée par le gouvernement d’Édouard Balladur, en 1993, cette baisse représente actuellement la majeure partie de la solution au financement des retraites face au papy-boom. Seul l’allongement de la vie active par le recul de l’âge effectif de la retraite peut contrer à l’avenir cette évolution très dommageable, qui n’est pas clairement perçue par les Français.

La hausse de l’âge légal de la retraite en 2010 a, pour la première fois, actionné de façon contraignante le levier de l’allongement de la vie active. Elle oblige sans marges de choix à reculer son départ à la retraite à 62 ans, indépendamment de sa durée de cotisation. Parce que les Français dans cette situation sont encore nombreux, cette réforme est efficace, quoique loin d’être suffisante, mais également injuste, parce qu’elle introduit une inégalité dans la durée de cotisation. Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a en partie corrigé ces effets injustes, mais ainsi perdu en efficacité. L’action du gouvernement ne peut pas rester en l’état : il lui faut prolonger son intervention par un allongement des carrières.

Pour sortir du dilemme entre efficacité et justice, il est en effet urgent de remettre à l’ordre du jour une réforme portant sur l’allongement de la durée de cotisation. Il faut en accélérer le calendrier, en visant quarante-quatre années en 2025. Cette durée de cotisation allongée indiquera de façon transparente et forte la durée de vie active qu’il faut chercher à atteindre pour assurer le maintien du niveau de pension des retraités dans le futur. Encadrée par des surcotes et des décotes, cette réforme laissera en outre à la majorité des Français la possibilité de résoudre au mieux de leurs préférences les termes du dilemme fondamental entre leur niveau de vie et leur temps de travail. Cette voie de réforme est possible et peut être mise en œuvre rapidement. Une réforme plus systémique, et donc plus ambitieuse, introduisant la retraite par points, permettrait d’atteindre les mêmes objectifs, mais nécessiterait un temps de latence trop grand. Le gouvernement doit indiquer très rapidement qu’il met le cap sur l’allongement de la vie active, et l’instrument de la durée de cotisation constitue un moyen juste et efficace pour atteindre cet objectif.