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Enquête

Vieille centrale, gros travaux à prévoir

Enquête | publié le : 02.03.2013 | Stéphane Béchaux, Emmanuelle Souffi

Remettre de l’ordre dans les instances, reprendre en main l’organisation du pouvoir, booster les adhésions, garantir la relève militante : les grands maux dont souffre la centrale appellent de grands remèdes.

Epuisante CGT ! Atomisée entre 24 154 « bases » d’implantation, la centrale de Montreuil rassemble structures microscopiques et gros bastions, nostalgiques de la lutte des classes et partisans des petits pas. Un énorme paquebot qui se pilote à la conviction et au charisme, pas à l’oukase. « Ici, on travaille les uns à côté des autres, rarement ensemble », résume un permanent confédéral. Gouvernance déficiente, baronnies immuables, adhésions en berne, vieillissement des cadres… Les maux dont souffre la CGT sont connus de tous. Et pourtant, rien ou presque ne bouge. Revue des grands chantiers qui attendent le nouveau leader.

Réorganiser la maison confédérale

Bien qu’il n’ait pas vu un atelier depuis longtemps, Thierry Lepaon va devoir mettre les mains dans le cambouis. Car Bernard Thibault, excellent porte-parole à l’extérieur, s’est révélé un piètre manager. Incapable d’impulser un vrai travail collectif et de fixer des caps, il s’est progressivement coupé de sa base, préférant gérer la maison avec ses conseillers depuis le huitième étage de l’immeuble confédéral. « Son entourage l’a isolé, soi-disant pour le protéger. Il n’avait plus aucun contact régulier avec les patrons de fédé, c’est devenu un fantôme », déplore le secrétaire général d’une structure professionnelle. Lors du 49e congrès de Nantes, le leader avait fait le choix de s’entourer d’un bureau sans grande envergure, avec pour tâche principale d’animer le travail de la commission exécutive (CE), considérée comme l’instance dirigeante. Un échec. « On ne dirige pas la CGT à 50, avec une réunion tous les quinze jours. Bernard a constitué une équipe faible, à sa main, pour centraliser le pouvoir », analyse un membre pro-Aubin de l’ancienne CE. Symboles de la confusion, les responsables d’« espaces » – ces structures protéiformes qui regroupent les activités confédérales – en sont venus à participer activement aux réunions du bureau, au même titre que les « politiques ». En dehors des instances, la maison connaît aussi des ratés. Sous la même casquette de « conseiller » se cachent tout à la fois des militants dotés de fonctions politiques, par exemple de représentation, et de purs techniciens. « Il n’y a aucune règle discutée collectivement, tout est à géométrie variable. Ça crée une ambiance détestable et une souffrance au travail indigne de la CGT », dénonce une permanente. En l’absence de tout organigramme, repérer dans les méandres des « espaces », « activités » et autres « pôles » les personnes ressources s’avère ardu. « Ceux qui connaissent bien la maison savent à qui s’adresser, les autres rament », confirme l’un des négociateurs de la centrale. Le site Web de la confédération est à son image, fouillis et mal structuré. À Montreuil, beaucoup voient partir avec soulagement le secrétaire général mais aussi l’administrateur, Michel Doneddu, aux méthodes très autoritaires. Ils attendent du nouveau patron, très au fait des difficultés internes, qu’il remette de l’ordre dans le paquebot. « Je veux un bureau confédéral fort, une commission exécutive forte, un comité confédéral national fort. L’enjeu, c’est d’articuler les trois », assène l’intéressé. De la langue de bois, qui ne présage en rien des choix futurs.

Restructurer les champs fédéraux

La CGT, c’est un peu comme le système solaire. Un astre, Montreuil, autour duquel gravitent 33 planètes autonomes. « L’opinion publique en a une vision monolithique. En fait, il existe plusieurs CGT. Elle est éclatée comme l’était l’Empire ottoman », analyse Dominique Andolfatto, professeur à l’université de Bourgogne et coauteur de Sociologie des syndicats (éd. La Découverte, 3e éd., 2011). Les organisations, mais aussi les syndicaux locaux, sont l’ADN de la CGT. Leur indépendance, son socle. Parfait pour ramener les centres de décision au plus près du terrain. Mais délicat à piloter. Sous l’ère Thibault, le fossé n’a cessé de se creuser entre ces deux mondes. « Il n’a pas assis son autorité sur les fédérations, analyse Leïla de Comarmond, auteure des Vingt ans qui ont changé la CGT. Depuis sa prise de distance avec le PC, c’est une organisation qui n’a plus de colonne vertébrale. »

Les durs de la Chimie et des Cheminots côtoient les réformistes du Textile et de la Métallurgie. Les baronnies se multiplient. Chacun a ses méthodes pour négocier, syndiquer, revendiquer. « Ce qu’on met derrière le mot fédéralisme à la CGT, c’est chacun pour soi ! » tranche un homme de la maison. Les conflits, comme dans le secteur du commerce, ne se règlent plus Place du Colonel-Fabien mais au tribunal. Pour éteindre les incendies, le congrès devrait d’ailleurs adopter de nouvelles règles de vie en misant sur la conciliation. Porté aux nues lors du dernier congrès, le « travailler ensemble » a du mal à se traduire sur le terrain. Les espaces revendicatifs communs, plates-formes partagées par plusieurs fédérations, restent souvent lettre morte. La Métallurgie les expérimente au travers de son concept de filière industrielle. Le Commerce avec les branches de la sécurité et des transports. Mais, la plupart du temps, difficile de dépasser le chacun pour soi, corollaire pourtant indispensable de la modernisation des structures, qui ne reflètent plus le marché du travail.

« Bureaucratisation souvent inconsciente », « fétichisme des structures »… Il y a quatre ans, la commission dite « ad hoc », pilotée par Louis Viannet, dressait un diagnostic au vitriol de l’état de sclérose du premier syndicat de France. Depuis, malgré les beaux discours, rien n’a bougé. Ou presque. « La direction confédérale a une espèce de crainte surestimée de casser l’organisation », note un conseiller. Très avancée, la fusion de la petite Fédération du verre-céramique (4 400 adhérents) et de celle de la construction a finalement avorté. Tout comme le rapprochement un temps esquissé de la Culture et de la CGT Spectacle. Conséquence de cet immobilisme, les officiers de la marine marchande sont toujours… 622 ! Et les centres d’appels, en vogue, s’éparpillent entre les Fédérations des sociétés d’étude, du commerce et des postes et télécommunications. Avec 80 branches et 120 conventions collectives, le Commerce aimerait opérer des fusions. Mais actualiser les frontières ne se fait pas du jour au lendemain. « La CGT n’est pas épargnée par les enjeux de responsabilité et de pouvoir », reconnaît Michèle Chay, sa leader. Résultat : un millier de nouveaux adhérents restent en attente de rattachement à un syndicat, faute d’avoir pu être « classés » dans la bonne case…

Donner la priorité à la syndicalisation

Officiellement, Bernard Thibault peut se targuer d’avoir gonflé les troupes. La CGT frôlerait les 690 000 adhérents, soit 25 000 de plus en… quatorze ans de mandat ! Pas très glorieux… Comme les autres, elle reste sous-représentée dans le monde du travail. Sur 22 millions de salariés, 2,6 % sont syndiqués à la CGT et, sur 13 millions de retraités, 0,9 % ont une carte, selon le document d’orientation. Les bastions historiques, comme les cheminots, les postes et télécoms ou l’énergie, perdent du terrain, concurrencés notamment par SUD. « Les fédérations apparemment les plus fortes sont en fait celles qui ont le plus reculé alors même que les effectifs des branches sont restés stables, voire ont progressé », précise Dominique Andolfatto.

La chasse aux adhésions est donc ouverte. Une vieille antienne des grand-messes de la Porte de Montreuil. « Combien de fois avons-nous pris cet engagement ? » tonne d’ailleurs le document d’orientation du 50e congrès. En vérité, les syndicats se contentent d’engranger de bons scores aux élections professionnelles sans forcément chercher à transformer les votes en adhésions. « Il y a des camarades qui peuvent être dans une logique d’avant-garde, reconnaît Baptiste Talbot, secrétaire général de la Fédération des services publics. S’ils sont performants et qu’ils arrivent à obtenir des avancées, ils ne perçoivent pas l’intérêt de gagner des militants. C’est un discours à combattre car il pose des problèmes de renouvellement. »

Une cinquantaine de syndicats de site ont certes pu voir le jour ça et là. Comme chez EDF et Airbus qui nouent des liens avec les salariés des prestataires et sous-traitants. Ou encore au Technocentre de Renault, à Guyancourt. Mais les initiatives se comptent sur les doigts des deux mains… La Métallurgie milite pour la création de comités interentreprises, instaurés par la loi dans le cadre des relations entre sous-traitants et donneurs d’ordres. Surtout, les « comités jeunes », lancés en fanfare voilà quelques années, ont des niveaux d’activité très faibles. « On n’a sans doute pas fait de la jeunesse une priorité, défend Pierre-Jean Rozet, conseiller confédéral. Ça n’est pas simple de les attirer. Ils sont souvent présents là où on n’est pas et, pour eux, le syndicalisme, c’est pour les CDI. »

À la mi-février, le dernier article sur le portail du collectif jeunes de la CGT datait de… novembre ! Le compte Twitter de la confédération n’avait pas été actualisé depuis juin. Pourtant, la bataille de la syndicalisation auprès de générations hyperconnectées se joue aussi sur les réseaux sociaux. Sans doute autant qu’à coups de tractage à la sortie des bureaux…

Assurer la relève militante

Pas encore élu, Thierry Lepaon, 53 ans, pense déjà à… sa succession. « Compte tenu de mon âge, ça va être une obsession. Il y a deux hypothèses. Soit un camarade émerge d’un conflit ou d’une bataille revendicative, soit il se distingue dans le collectif de direction comme le plus à même de fédérer les énergies. » La préoccupation du nouvel homme fort peut paraître anticipée, elle illustre néanmoins l’extrême difficulté de la centrale à renouveler ses cadres. À chaque congrès, la CGT se voit contrainte de faire des pieds et des mains pour que ses syndicats envoient des jeunes et des femmes à la grand-messe, et pas seulement des quinquas. Et elle peine tout autant à diversifier les profils lors de l’appel à candidatures à la commission exécutive. Cette année, sur les 16 sortants, 13 sont des femmes. Et 10 se retirent après un seul mandat.

« Les jeunes qu’on fait monter à la CE, il faut les accompagner, les former, les soutenir. Sans une vraie politique des cadres, on ne peut pas y arriver », prévient Alain Delmas, ex-secrétaire régional en Aquitaine, aujourd’hui membre du Conseil économique, social et environnemental. Un diagnostic qui vaut aussi dans le choix des responsabilités qu’on leur donne. Au printemps 2011, la confédération a cru bon de confier à des novices de la commission exécutive la conduite des négociations interprofessionnelles sur l’emploi des jeunes. Un cadeau empoisonné. Sans feuille de route ni expérience de la négociation, la délégation cégétiste a brillé par son amateurisme et son incapacité à peser.

Hors de Montreuil, le manque de renouvellement des troupes s’avère aussi criant. Faute d’accords sur le droit syndical dans les entreprises, la grande majorité des unions départementales et des comités régionaux est dirigée par des militants du public, qui enchaînent les mandats. Les rares syndicalistes issus du secteur privé sont employés par leur organisation, ce qui complique la rotation des troupes. « Autrefois, monter à la confédération constituait l’aboutissement d’un parcours syndical. Mais aujourd’hui les jeunes n’en ont plus envie, ils ne veulent pas faire du syndicalisme à vie. La CGT est remplie de plus de 50 ans qui n’ont pas d’autres perspectives que de rester en place. Ça ne favorise guère le dynamisme », observe l’ex-cégétiste Jean-Dominique Simonpoli qui, à la tête de l’association Dialogues, monte des programmes de valorisation des acquis de l’expérience à destination des syndicalistes. Le sujet devrait intéresser Thierry Lepaon. L’ex-Monsieur Formation de la CGT a, lui-même, bénéficié d’une VAE à sa sortie de Moulinex.

Auteur

  • Stéphane Béchaux, Emmanuelle Souffi