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Enquête

Une direction en panne de boussole

Enquête | publié le : 02.03.2013 | Stéphane Béchaux

Déchirée entre jusqu’au-boutistes et pragmatiques, la CGT ne parvient pas à peser dans les négociations interprofessionnelles. Ni à infléchir les politiques gouvernementales.

Depuis le 11 janvier, la CGT a retrouvé des couleurs. Et de l’allant. Vent debout contre l’accord interprofessionnel « pour un nouveau modèle économique et social » conclu ce jour-là par sa grande rivale, la CFDT, la centrale de Montreuil est sortie de sa longue léthargie. Distribution de tracts, lobbying auprès des parlementaires, interventions médiatiques, défilés bras dessus, bras dessous avec les militants ennemis de Force ouvrière… En ce début d’année 2013, le premier syndicat de France, qui frise les 700 000 adhérents, donne de la voix et montre qu’il faut encore compter avec lui. « On est à l’offensive pour neutraliser ce texte et obtenir une nouvelle loi qui sécurise vraiment les salariés et fasse reculer la précarité », prévient Agnès Le Bot, chef de file de la délégation cégétiste lors des négociations. Pas gagné, le gouvernement ayant fait savoir son intention de respecter fidèlement le texte.

La posture de Bernard Thibault et de ses troupes était parfaitement prévisible. Paralysée pendant toute l’année 2012 par une violente guerre interne de succession qui l’a rendue inaudible, la CGT se doit de resserrer les rangs, en prévision de sa grand-messe triennale et de son changement de leader. « En période de crise, la CGT qui dit non, c’est une bonne marque, une belle assurance vie. Les dirigeants vont tenir cette ligne d’opposition jusqu’à la fin mars, histoire de rassembler le congrès et d’éluder les sujets qui fâchent », décrypte un ancien secrétaire général de fédération. Officiellement, la maison jure être entrée dans les discussions pleine de bonne volonté. « La note de cadrage nous convenait, on a démarré cette négociation positivement, il y avait plein de choses à creuser. Mais le Medef a immédiatement tout dévoyé », assure Francine Blanche, l’une des négociatrices, qui a participé à plusieurs bilatérales préparatoires avec Patrick Bernasconi, le chef de file de la délégation patronale.

Règlement de comptes

Une version démentie en interne par plusieurs sources. « Le bureau confédéral n’a jamais voulu peser sur les négos, il s’en est servi pour régler des comptes », confie l’un des dirigeants. « On a tué d’entrée toute velléité de discuter en confiant le dossier à Agnès Le Bot, qui n’a jamais bossé dans une entreprise ni conduit la moindre négo », ajoute un autre. Victime principale, Maurad Rabhi, le spécialiste des questions d’emploi, relégué sur un strapontin pour avoir soutenu Éric Aubin. Plus grave, la centrale ne s’est même pas fixé de feuille de route, avec des revendications précises à faire aboutir. D’après une source interne, Maurad Rabhi et Mohammed Oussedik, le Monsieur Industrie de la maison, avaient pourtant planché sur un projet de texte. Sauf que la direction confédérale n’a même pas daigné s’en saisir. Résultat des courses, la CGT s’est retrouvée totalement marginalisée lors des discussions. « Comme elle ne proposait rien, tout le monde en a pris son parti. La délégation FO, elle, est entrée dans la négo. Elle a entretenu le doute sur ses intentions, a bataillé et fait évoluer le texte, quand bien même elle ne l’a pas signé », commente-t-on à la CFDT.

Un refus d’y toucher qui a perduré depuis. « FO a été très active dans le processus de transcription de l’accord, en pointant du doigt les incohérences et les ambiguïtés, en s’arrêtant sur des détails. Pas la CGT », constate-t-on au ministère du Travail. Faut-il voir dans cette attitude le signe d’un nouveau raidissement de la centrale de Montreuil, qui refuserait de prendre durablement le stylo ? Probablement pas. « Les périodes d’avant-congrès sont toujours très particulières. A priori Thierry Lepaon n’est pas partisan d’un retour à l’ancienne CGT, il a le souci du réel et ne se réfugie pas dans les dogmes », analyse Leïla de Comarmond, journaliste aux Échos, auteure des Vingt ans qui ont changé la CGT.

Au cours des deux dernières années, la confédération a d’ailleurs paraphé plusieurs accords interprofessionnels portant sur les contrats de génération, l’utilisation des fonds du 1 % logement ou le fonctionnement de l’Association pour l’emploi des cadres. Des textes néanmoins secondaires, qui ne peuvent masquer son incapacité à s’engager sur des sujets complexes. « La CGT n’a pas fait un vrai travail d’analyse de l’évolution de la société. Elle se contente de gérer l’actualité, de réagir aux événements avec une ligne simple : accompagner la contestation des salariés qui vivent mal la précarité et les bas salaires », commente l’un des dirigeants cédétistes. « Depuis sa prise de distance avec le Parti communiste, il lui manque un corpus doctrinal et des idées claires. Elle pèche par son absence de repères théoriques, de cadres structurants », abonde un consultant, très fin connaisseur de la centrale.

Première à revendiquer la création d’une “sécurité sociale professionnelle”, la CGT a laissé son concept à l’état de friche. Et s’est fait doubler par la CFDT

Première à revendiquer la création d’une « sécurité sociale professionnelle », l’organisation a laissé son concept à l’état de friche. Et s’est fait doubler par la CFDT qui, elle, a su s’entourer d’experts et de chercheurs pour étayer son projet de « sécurisation des parcours professionnels ». Des lacunes criantes que Thierry Lepaon, précédemment chargé des repères revendicatifs, va devoir combler. « On ne peut pas se contenter de combattre ce qui est nocif. Il nous faut aussi relever le défi de la capacité à proposer, avec des revendications précises et pointues, appropriables immédiatement par les salariés », confirme Marie-José Kotlicki, secrétaire générale de la CGT Cadres.

Tiraillée entre des militants très « lutte des classes » et d’autres beaucoup plus pragmatiques, la CGT fait montre d’une grande frilosité sur la scène interprofessionnelle. Mais les résultats qu’elle obtient lors des scrutins syndicaux ne l’encouragent aucunement à sortir du camp très confortable du refus. En décembre dernier, elle a ainsi frôlé les 30 % lors des élections sur sigle dans les très petites entreprises, laissant la CFDT 10 points derrière. Quatre ans plus tôt, elle avait aussi réalisé un carton à l’occasion des prud’homales, en obtenant 34 % des voix contre 22 % pour sa rivale. « La réforme de la représentativité pousse à la radicalisation. Si la CGT commence à mordre vers le centre gauche, à jouer la CFDT bis, elle va perdre sa clientèle sans forcément gagner celle de sa concurrente », commente le chercheur Dominique Andolfatto. Des scores qu’on relativise au siège de la CFDT : « La CGT tire les marrons du feu dans les votes de réputation, déconnectés du terrain. Mais c’est moins vrai dans les entreprises, quand les salariés doivent choisir qui va les représenter. »

Hors de Montreuil, la centrale sait d’ailleurs se montrer réaliste. « Dans les entreprises, les délégués CGT signent une multitude d’accords sans demander l’aval de quiconque. Ils sont beaucoup plus pragmatiques que les dirigeants nationaux. Ce phénomène va s’accentuer car l’entreprise devient le maillon fort de la négo, loin devant la branche ou l’interpro », observe Jean-Dominique Simonpoli, directeur général de l’association Dialogues. La capacité de la confédération et des fédérations à contrôler leurs troupes s’est en effet amoindrie à mesure que la maison a desserré l’étreinte du PC. Au risque de rendre les stratégies parfois illisibles, à l’image des décisions contraires prises par les syndicats CGT Goodyear Dunlop d’Amiens Sud et d’Amiens Nord lors des négociations d’accords de compétitivité dans les deux usines.

À la recherche de lignes directrices

Écartelée entre jusqu’au-boutistes et pragmatiques, l’organisation se cherche des lignes directrices au moment même où la loi de 2008 portant rénovation de la démocratie sociale va prendre sa pleine mesure. « La CGT est encore dans une phase de transition, avec une relation ambiguë au dialogue social. Mais la réforme de la représentativité constitue un élément de modernité qui va l’obliger à prendre ses responsabilités et à évoluer », pronostique l’ancien ministre délégué aux Relations du travail Gérard Larcher.

Soudées pendant toute l’année 2010 marquée par le conflit des retraites, les organisations syndicales ont, depuis, repris leurs distances. La CGT en porte une part de responsabilité, Nadine Prigent n’ayant rien fait, au sein de l’intersyndicale, pour faciliter le travail en commun. Thierry Lepaon et Laurent Berger ont beau assurer n’avoir aucune inimitié personnelle, tout oppose aujourd’hui leurs deux confédérations, en guerre ouverte depuis la conclusion de l’accord du 11 janvier. Et tout laisse à penser que la brouille se prolongera au-delà du congrès confédéral de la CGT. À l’horizon point déjà la renégociation de la convention d’assurance chômage – et de sa redoutable annexe portant sur les intermittents du spectacle –, qui s’annonce particulièrement épineuse.

33 % des accords de branche sont signés par la CGT. Elle ratifie aussi

84 % des accords dans les entreprises où elle est présente.

Source : Dares, chiffres 2011.

48 % des Français attendent de la CGT qu’elle soit plus réaliste dans les négociations.

Sondage Harris Interactive pour le Peuple, 2012.

Très chères signatures…

Nouveau modèle économique et social (11 janvier 2013)

NON SIGNATAIRE

Contrat de génération (19 octobre 2012)

SIGNATAIRE

Accès au logement (18 avril 2012)

SIGNATAIRE

Modernisation du paritarisme (17 février 2012)

NON SIGNATAIRE

Activité partielle de longue durée (6 février 2012)

NON SIGNATAIRE

Chômage partiel (13 janvier 2012)

NON SIGNATAIRE

Accompagnement des jeunes (11 juillet 2011)

NON SIGNATAIRE

Accès des jeunes à l’alternance et aux stages (7 juin 2011)

NON SIGNATAIRE

Contrat de sécurisation professionnelle (31 mai 2011)

SIGNATAIRE

Indemnisation du chômage (25 mars 2011)

NON SIGNATAIRE

Auteur

  • Stéphane Béchaux