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Politique sociale

Ces syndicats qui bloquent les réformes de l'État

Politique sociale | ANALYSE | publié le : 01.09.2000 | Valérie Devillechabrolle

Leurs tentatives de modernisation, à l'Éducation et à Bercy, auront été fatales à Claude Allègre et à Christian Sautter. Les deux anciens ministres n'y ont sans doute pas mis les formes, mais ils ont trouvé devant eux des syndicats prompts à guerroyer contre toute perspective de changement. Enquête sur ces foyers de résistance.

Christian Sautter et Claude Allègre persistent et signent. Si les grandes réformes qu'ils ont lancées pour moderniser, l'un la citadelle des finances, l'autre le « mammouth » de l'Éducation nationale, ont échoué au printemps, c'est bel et bien à cause des organisations syndicales de la fonction publique. Au lendemain de son éviction du gouvernement, Claude Allègre n'a pas trouvé de mots assez durs pour fustiger « l'action paralysante de ces révolutionnaires du statu quo ». Au début de l'été, c'est au tour de Christian Sautter de dénoncer, dans une interview accordée au mensuel Capital,la « myopie syndicale » qui leur a fait « préférer l'immobilisme à une réforme audacieuse ».

Il faut reconnaître que les représentants des fonctionnaires sont passés maîtres dans l'art de s'opposer aux projets de l'État patron. Quitte à faire assaut de mauvaise foi. En témoigne leur réaction de rejet face au « pacte des retraites » proposé au printemps par Lionel Jospin. Lequel prévoyait d'aligner la durée de cotisation des fonctionnaires sur celle des salariés du privé en échange de l'intégration de leurs primes dans la rémunération servant de base au calcul de leur pension. Ce projet équilibré a vite été qualifié d'« inacceptable » parce que de nature, selon les responsables de la CGT, de FO et de la FSU, à « opposer les salariés du privé et du public ». Alors qu'il s'agissait justement d'assurer une meilleure égalité de traitement entre les uns et les autres.

Quant aux moyens mis en œuvre pour accompagner les réformes qui leur sont proposées, ils sont – par principe – toujours insuffisants aux yeux des syndicats. Exemple récent sur les 35 heures : toutes les organisations (à l'exception de la CFDT) ont fait bloc pour rejeter une réduction du temps de travail non compensée par des « créations nettes » d'emplois. « Comment voulez-vous que des organisations syndicales acceptent que la RTT se fasse à effectifs constants et passe par une intensification du travail ou un abandon de mission ? » tempête Bernard Lhubert, secrétaire général de l'Union des fonctionnaires CGT.

Inutile donc de leur parler productivité. Aux yeux des syndicats contestataires, les contraintes budgétaires et le « gel de l'emploi public » décrétés par tous les gouvernements depuis quinze ans n'ont pas permis d'accompagner correctement les évolutions du service public. « La modernisation est toujours abordée par le petit bout de la lorgnette de la contrainte financière alors qu'il y aurait nécessité de débattre d'abord au fond de la satisfaction des besoins sociaux », s'insurge Pierre Duharcourt, cosecrétaire général d'une FSU toujours en pointe pour réclamer des « moyens supplémentaires » pour l'école. Une argumentation que l'ancien directeur général de l'Administration, Marcel Pochard, juge « biaisée », car « elle fait l'impasse sur le nécessaire effort à demander aux fonctionnaires en contrepartie de ces évolutions ».

Un zéro pointé pour Sautter

Pour autant, les syndicats ne sont pas les seuls responsables de ces blocages à répétition. « Ce serait tout à fait excessif que de l'affirmer, observe Marcel Pochard. Si la réforme n'avance pas, c'est davantage par défaut de volonté politique ou par manque de clarté des objectifs poursuivis que par blocage des syndicats. » L'échec des réformes Allègre et Sautter montre que « les ministres et leurs hauts fonctionnaires méconnaissent les préceptes élémentaires de la conduite du changement : convaincre, communiquer, décentraliser la discussion, gérer la réforme comme un projet », renchérit le consultant Bernard Brunhes. « On hérite de paquets-cadeaux ficelés », fulmine Jacky Le Sueur, patron de la Fédération FO des finances, qui gratifie d'un « zéro pointé » la voie choisie par Christian Sautter à Bercy. Mais « quand le pouvoir politique sait ce qu'il veut et qu'il accepte de travailler avec les syndicats, il peut faire passer ses vues », reprend Marcel Pochard. En matière de déconcentration de la gestion des personnels, par exemple, la réforme poursuit son petit bonhomme de chemin, loin des feux médiatiques et en dépit de l'hostilité affichée de certains syndicats : FO dans la Fonction publique, la FSU à l'Éducation nationale, le Syndicat national unifié des impôts (Snui) aux Finances.

Le système électoral en cause

S'il n'est pas exempt de reproches, l'État patron réformateur n'a toutefois pas la partie facile. Les syndicats qui s'inspirent d'une logique protestataire sont en effet largement majoritaires dans la fonction publique… et dotés, à la différence de leurs homologues du privé, d'importantes capacités de mobilisation. Même en mettant de côté les syndicats catégoriels qui représentent près de 18 % des voix aux élections, le bloc des syndicats protestataires (CGT, FO et FSU) rafle encore près de la moitié des suffrages des fonctionnaires, contre un tiers en faveur des organisations « réformistes » (CFDT, Unsa, CFTC, CFE-CGC). Selon Michel Perrier, secrétaire général de l'Union des fonctionnaires CFDT, la faute en incombe au système électoral qui, dans la fonction publique, « privilégie les défenseurs d'intérêts strictement catégoriels au détriment de ceux qui, comme la CFDT, font des arbitrages permanents entre l'intérêt général et les revendications corporatistes ». Au siège de la FSU, dont l'essentiel des troupes est composé d'enseignants, François Castaing réfute cette interprétation : « Sur des sujets strictement corporatistes comme la réduction du temps de travail, les salaires ou même les retraites, on n'arrive pas à mobiliser les enseignants. Ils réagissent en revanche contre tout ce qui s'apparente à une attaque frontale contre l'école. »

Des intérêts de boutique

Le droit syndical public entretient d'autant plus les comportements électoralistes que les moyens de fonctionnement accordés à chaque organisation dépendent de ses résultats. Au nom de l'Uffa-CFDT, Michel Perrier enfonce encore le clou : « Certains syndicats ont tout intérêt à s'opposer à des réformes incluant une fusion de corps, par exemple, au motif que celle-ci risque d'entraîner une dilution de leurs intérêts de boutique. » C'est, par exemple, à cette aune que certains hauts fonctionnaires de Bercy ont analysé l'opposition radicale de FO au rapprochement préconisé entre une Comptabilité publique qui lui est majoritairement acquise et une Direction générale des impôts sous l'emprise du Snui. En sachant que les élections de décembre prochain vont départager deux syndicats qui, depuis le dernier scrutin, ne sont séparés que par 13 voix sur quelque 180 000 votants… Mais le principal intéressé balaie ces allégations d'un revers de main : « Si la bataille FO contre Snui était présente en toile de fond du conflit, elle n'en a jamais été un élément déclencheur, assure Jacky Le Sueur. On ne met pas 50 % d'agents en grève et on ne maintient pas un front syndical uni pour défendre les seuls intérêts de FO Trésor ! »

« Les syndicats ne peuvent obstruer une réforme que si celle-ci contrevient aux aspirations des personnels », renchérit Jean-Marie Pernot, chercheur à l'Ires. Autrement dit, la crispation des syndicats est d'abord celle des fonctionnaires. Pour expliquer le conservatisme de ces derniers, le consultant Hubert Landier souligne qu'à la différence du secteur privé, secoué par le grand vent de la concurrence et de la mondialisation, les agents de l'État vivent encore dans un univers clos au sein duquel les « bruits » venus du dehors sont extrêmement amortis. Si bien que « le moindre changement s'y apparente à une révolution »…

Pour justifier leur opposition aux réformes, CGT, FO, FSU et leurs homologues du Groupe des 10 (qui rassemble, outre le Snui, les syndicats SUD) avancent des arguments très idéologiques. « Cette modernisation se fait sous l'influence de choix libéraux à l'anglo-saxonne qui visent à comprimer les moyens dévolus aux services publics, explique Bernard Lhubert, de la CGT. Cela va à l'encontre de la tradition française qui a toujours consacré une part importante de ses richesses au fonctionnement de ces services, source d'efficacité sociale. » Tradition dont ces syndicats s'estiment dépositaires contre vents et marées… Mais, pour Philippe Meirieu, ancien directeur de l'Institut national de recherche pédagogique et ex-inspirateur des réformes de Claude Allègre, la lutte contre le libéralisme a bon dos : « Cela signifie que l'on accepte que les fonctionnaires n'aient aucun compte à rendre à personne, ni sur leurs activités ni sur leur efficience. »

Du côté du gouvernement, on ne sous-estime pas ces résistances. « À quoi cela sert-il de faire mine de passer en force si on se retrouve bloqué ? » s'interroge-t-on à Matignon. « Aujourd'hui, poursuit-on dans l'entourage du Premier ministre, on ne peut plus décider comme il y a dix ans en vertu du vieux mode autoritaire. Il est nécessaire d'expliquer, de convaincre et de contracter. C'est plutôt le signe d'un progrès de la démocratie, même si c'est un peu plus fatigant à gérer… »

La CGT gardienne du service public

Quand on lui parle de sa réputation de « dur » au sein de la CGT, Bernard Lhubert esquive en citant Brassens et sa « mauvaise réputation » persistante, « quoi qu'il fasse ».

Plus sérieusement, le secrétaire général de l'Union générale des fédérations de fonctionnaires (UGFF) CGT, agent des Impôts de profession, précise : « Nous ne voulons pas argumenter sur le passé. Nous essayons d'être de notre époque en tenant compte des besoins des usagers. » En attendant, aucun projet gouvernemental ne trouve grâce à ses yeux. Pas même l'accord « précarité » qui va pourtant, avec l'aval de six organisations syndicales sur sept, permettre de titulariser plus de 100 000 précaires d'ici à 2005 : « Cet accord illustre une fois de plus la gestion hypocrite du gouvernement sur l'emploi, se défend Bernard Lhubert, car, au final, ce dispositif va quand même réussir à diminuer le volume global de postes. »

En matière de réforme de l'État, le secrétaire général de l'UGFF suit de près la mise en œuvre, depuis le début de l'année, des « projets territoriaux » qui autorisent des réorganisations de services publics départementaux en fonction des priorités définies par le préfet : développement de la sécurité sanitaire en Bretagne, lutte contre l'exclusion dans le Nord, etc. « Ces projets sont lourds de conséquences pour les usagers comme pour les personnels. Moyennant quoi nous n'avons toujours pas été consultés », s'inquiète Bernard Lhubert en réclamant haut et fort la création d'une nouvelle instance de consultation interministérielle départementale.

Il est vrai que les bastions traditionnels de la CGT au sein de l'État se retrouvent en première ligne de cette réforme, qu'il s'agisse de ceux de l'Équipement, des Finances, mais aussi de ceux des préfectures et des services sociaux.

Réactionnaire, la FSU ?

Jack Lang a compris la leçon. En rendant un hommage appuyé aux enseignants du secondaire lors des états généraux du Snes en juin, le ministre de l'Éducation nationale scelle officiellement la réconciliation avec la principale composante de la Fédération syndicale unitaire (FSU), qui fut pendant trois ans la bête noire de Claude Allègre. Née de l'implosion de la toute-puissante Fédération de l'éducation nationale (FEN) en 1992, la FSU regroupe, outre le Syndicat national des enseignements du second degré (Snes), une vingtaine d'autres syndicats catégoriels presque tous issus du monde enseignant.

Sous l'égide du Snes et de sa patronne de choc, Monique Vuaillat, les syndicats de la FSU ont toujours constitué l'aile radicale de la FEN : d'obédience communiste (mais pas seulement), ces syndicats ont combattu la ligne de cogestion avec les pouvoirs publics, instituée par la FEN depuis des lustres.

Ce qui les rend très accrocheurs sur toute velléité d'évolution du statut des personnels. « Réactionnaires même », si l'on en croit l'un de leurs anciens compagnons de route, aujourd'hui à l'Unsa. Formellement et compte tenu du poids de l'Éducation nationale dans la fonction publique, la FSU constitue la première organisation syndicale représentative des agents de l'État, avec plus de 18 % des suffrages. Avec un handicap notoire, toutefois : elle n'arrive pas à dépasser ses champs de préoccupations privilégiées : l'école et le malaise enseignant.

Une situation qui, reconnaît François Castaing, responsable de la commission service public de la FSU, « n'est pas viable » à l'échelle des 2 millions de fonctionnaires.

« Nous n'avons pas l'intention de vivre repliés sur nous-mêmes », assure Pierre Duharcourt, le nouveau cosecrétaire général de la FSU, issu pour sa part de l'enseignement supérieur. C'est pourquoi, outre les syndicats du Groupe des 10, la FSU entretient des relations suivies avec la CGT et Force ouvrière.

Des trublions à la CFDT

L'Union des fédérations de fonctionnaires CFDT a aussi ses « poils à gratter ». Alors que cette dernière est, depuis le tournant des années 80, partie prenante dans tous les accords passés avec les gouvernements, certains syndicats des administrations d'État font entendre une voix dissonante.

C'est le cas du syndicat du ministère de l'Emploi – le plus important d'entre eux avec quelque 40 % des suffrages dans cette administration –, qui n'hésite pas à croiser le fer avec la ministre Martine Aubry. Dernier exemple en date : la réforme statutaire de l'Inspection du travail qui autorise notamment la nomination des directeurs départementaux du travail en Conseil des ministres. « Cette réforme ouvre la voie à des nominations discrétionnaires », s'insurge Marie-Jo Pailleau, secrétaire générale du syndicat depuis 1997. Mais c'est sur le chapitre des 35 heures que le syndicat attend la Rue de Grenelle de pied ferme : « Il y aura des mobilisations, d'autant plus que nous n'arrivons pas à engager la concertation avec la ministre », prévient cette ancienne inspectrice du travail installée à Bordeaux.

Sur l'échiquier confédéral, le syndicat CFDT du ministère du Travail, qui, à Paris, partage les mêmes locaux que le turbulent syndicat de l'ANPE, s'est retrouvé aux côtés des opposants à Nicole Notat, sous l'ex-bannière Tous ensemble, avant que cette dernière ne s'autodissolve en janvier 1999. Il y a retrouvé les représentants d'une partie des syndicats des ministères de l'Agriculture et de l'Équipement et a nourri « quelques convergences » avec ceux des Finances.

FO ardent défenseur du statut

L'an prochain, Roland Gaillard, ingénieur des Travaux publics de formation, fêtera le trentième anniversaire de sa carrière de permanent syndical.

En dépit de cette longévité, le secrétaire général de la Fédération générale des fonctionnaires Force ouvrière n'a rien perdu de sa combativité pour dénoncer « une réforme de l'État qui, indépendamment des noms que lui donnent les politiques, remet en cause les règles républicaines qui régissent les agents ». Véritable « gardien du temple » du statut et du Code des pensions civiles et militaires, FO dénonce les dérives qui, sous couvert de déconcentration de la gestion des personnels et de développement de la contractualisation dans les services, remettent en cause « l'égalité de traitement universel » des fonctionnaires et « le principe hiérarchique » en vertu duquel tout agent reste soumis au pouvoir politique.

Dernière cible choisie par Roland Gaillard : la libre circulation des ressortissants européens qu'une prochaine décision de la Cour de justice européenne risque d'autoriser à se présenter aux concours internes. « Si cela se confirme, c'est tout le système de déroulement de carrière des agents qui est menacé ! » met en garde le secrétaire général.

Dans les grosses administrations, FO, qui rassemble quelque 14 % des voix au total, est plutôt bien implantée dans les services régaliens (préfectures, Justice, Finances) ainsi qu'au ministère de l'Équipement, où le virulent Syndicat des ingénieurs des travaux publics se bat bec et ongles pour conserver la maîtrise opérationnelle de ses activités. Aux Finances, Jacky Le Sueur, autre figure du militantisme FO issu, lui, du bastion de la Comptabilité publique, est apparu – non sans succès – comme le principal pourfendeur de la méthode Sautter lors du dernier conflit qui a secoué cette administration, le plus important depuis 1989.

Si ce « militant sorti du rang » se félicite du nouveau dialogue noué avec Laurent Fabius, sa conception de la modernisation reste corsetée par un certain nombre d'exigences : refus de toute fusion des directions fiscales et comptables, maintien du maillage du réseau sur le territoire, rejet de la création de centres d'appels (qu'il considère être une « mauvaise réponse »), souhait d'une informatique « réellement communicante » pour pouvoir travailler en réseau. Bernard Pécheur, le nouveau secrétaire général de Bercy, sait désormais à quoi s'en tenir…

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle