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Enquête

PRINCIPALE ACCUSÉE : UNE CHARGE DE TRAVAIL JUGÉE EXCESSIVE

Enquête | publié le : 01.09.2000 | Denis Boissard

Le stress, la plupart des salariés le vivent. Dans le collimateur : l'intensification du travail, la pression du client, le management par objectifs… Et les 35 heures n'arrangent rien. Les résultats du sondage exclusif « Liaisons sociales »-Manpower, réalisé par CSA, sont alarmants.

Je stresse, tu stresses, nous stressons au travail… Les résultats de notre sondage exclusif Liaisons sociales-Manpower réalisé au mois de juillet par le CSA sont édifiants : le stress est devenu le mal professionnel de ce XXIe siècle. Près des trois quarts des salariés (très exactement 72 % d'entre eux) reconnaissent éprouver souvent (37 %) ou de temps en temps (35 %) du stress dans le cadre de leur activité professionnelle. Un salarié sur dix (11 %) avoue même avoir pris un ou plusieurs arrêts maladie pour cette raison. Sont particulièrement touchés les femmes – pratiquement huit sur dix (79 %) déclarent souffrir du stress, contre les deux tiers de leurs homologues masculins –, les cadres (83 %) et les salariés exerçant une fonction d'encadrement (76 %), les plus diplômés (80 % des bac + 2 et 82 % des salariés dotés d'un diplôme supérieur) et ceux qui travaillent dans les secteurs des services, de la communication, de la banque et des assurances (75 %). Sans doute parce que le secteur public est à son tour gagné par la course à la productivité et l'ouverture à la concurrence, le stress est aujourd'hui ressenti plus fortement par ses salariés (75 %) que par ceux du privé (70 %), plus accoutumés aux contraintes imposées par le marché.

Plus inquiétant encore, une large majorité de salariés voient plutôt l'horizon s'assombrir. Leur perception ? Plus de stress aujourd'hui qu'hier, mais moins aujourd'hui que demain. Pratiquement six salariés sur dix (58 %) ressentent davantage de stress que quelques années auparavant. C'est particulièrement vrai pour les femmes (60 %, pour 56 % des hommes) et les salariés du public (60 %, pour 56 % dans le privé). C'est un peu moins vrai pour les cadres (48 %, contre 51 % qui pensent le contraire). Ils sont tout autant de salariés (56 % exactement) à penser que leur stress va encore s'aggraver dans les années à venir. Parmi les plus pessimistes : les femmes encore (62 %, pour 50 % des hommes), ceux qui travaillent dans le secteur public (58 %, pour 55 % dans le privé) et les cadres (61 %, contre 36 % seulement d'optimistes). L'impact des 35 heures ? Toujours six salariés sur dix (59 %, contre 37 % d'un avis contraire) ne croient pas qu'elles contribueront à réduire le stress au travail. Pire, la proportion d'incrédules est encore plus forte dans les entreprises qui ont réduit le temps de travail (63 %) que dans celles qui n'ont rien fait (56 %).

Interrogés sur les facteurs qui génèrent du stress dans leur activité professionnelle, pratiquement la moitié des salariés (48 %) incriminent au premier chef leur charge de travail. La majorité des cadres (58 %), des salariés exerçant une fonction hiérarchique (54 %), des femmes (53 %), des plus diplômés (54 % des bac + 2 et 57 % des salariés dotés d'un diplôme supérieur), des mieux rémunérés (58 % de ceux qui gagnent plus de 15 000 francs par mois) et des salariés des grandes entreprises (57 % de ceux travaillant dans une entreprise de plus de 500 personnes) estiment ainsi que la lourdeur des tâches qu'ils doivent effectuer est source de stress. Les 35 heures n'améliorent pas la situation. Au contraire. Peut-être parce que les entreprises qui les ont mises en place exigent de leurs collaborateurs de faire autant ou presque en moins de temps, les salariés à 35 heures sont plus nombreux (51 %) que ceux ne bénéficiant pas d'accord (47 %) à juger leur charge de travail stressante.

La dictature des délais et des objectifs

Autre facteur de stress pour 43 % des salariés, et spécialement pour les cadres ou les « encadrants » (49 %), les plus diplômés (50 % des bac + 2 et au-delà), les salariés de l'industrie, de l'énergie ou de la construction (51 %) : la difficulté à respecter les délais, les consignes, et à satisfaire les exigences des clients. Là encore, les 35 heures ont plutôt tendance à aggraver la situation : le stress est plus fortement ressenti chez les salariés dont le temps de travail est réduit (48 %) que chez les autres (36 %).

Troisième source de stress chez les cadres et les salariés en position hiérarchique : la difficulté à atteindre les objectifs qui leur sont fixés. 41 % des premiers et 48 % des seconds le reconnaissent, contre un peu plus d'un salarié sur trois (35 %). Et les 35 heures n'arrangent rien : 38 % des salariés qui y sont passés vivent leurs objectifs de façon stressante, contre un tiers de ceux restés à 39 heures.

Bref, tout se passe comme si les impératifs grandissants de rentabilité financière et la chasse incessante aux gains de productivité à laquelle ils conduisent les entreprises, la dictature du client et ses corollaires (production en flux tendus, recherche de la qualité totale…) ainsi que la généralisation du management par objectifs (sanctions à l'appui) mettaient bon nombre de salariés, et au premier chef l'encadrement, sous une pression mentale qu'ils ont bien du mal à supporter.

Le bruit et la chaleur mis en cause

Si les ouvriers et employés se reconnaissent également, mais à un degré moindre, dans les causes du stress qui touchent les cadres (lourdeur de la charge de travail, difficulté à respecter les délais et les exigences du client ou à remplir les objectifs fixés), ils en avancent d'autres, d'ordre physique, qui les concernent plus directement. Près de quatre salariés sur dix (39 %), mais pratiquement un ouvrier sur deux (49 %) et 41 % des employés se plaignent des postures physiques et des manipulations fatigantes. Sont plus particulièrement touchés par ce facteur de stress les femmes (44 %), les peu ou non-diplômés (45 % des titulaires d'un BEPC, d'un CAP ou d'un BEP ; 41 % des salariés sans diplôme), les salariés agricoles ou de l'agroalimentaire (44 %). Les salariés sont à peu près aussi nombreux (38 %) à mettre en cause la rapidité de leurs cadences de travail. Là encore, les ouvriers et employés sont en première ligne (respectivement 44 % et 40 %), ainsi que les salariés de l'industrie, du BTP et de l'énergie (42 %), devant ceux de l'agriculture et de l'agroalimentaire (41 %). Avec les 35 heures et l'intensification du travail qui en résulte, les choses ne s'améliorent pas : les cadences sont ressenties comme beaucoup plus stressantes dans les entreprises qui ont réduit leur durée hebdomadaire de travail (48 %) que dans celles qui n'ont encore rien négocié (33 %).

Également dans le collimateur, le bruit et la chaleur sur les lieux de travail contribuent au stress d'un tiers des salariés (34 %) et surtout de quatre ouvriers sur dix (41 %). Et, ce n'est guère surprenant, les nuisances sonores et thermiques incommodent surtout les salariés de l'industrie, de la construction ou de l'énergie (36 %). Dernière source physique de stress : les gestes répétitifs, dont se plaignent 29 % des salariés, et plus particulièrement les femmes (35 %), les employés (40 %), les non-diplômés (43 %), les salariés agricoles ou de l'agroalimentaire (38 %), ou encore ceux travaillant dans le commerce et les transports (34 %).

L'organisation des tâches dans les ateliers ou les bureaux et les conditions de travail qui en résultent apparaissent donc comme des facteurs potentiels de stress pour les salariés en position de subordination.

Pas de miracle à attendre de l'employeur

Des éléments psychologiques peuvent également jouer. Plus d'un tiers des salariés (35 %) vivent ainsi de façon stressante les incertitudes qui pèsent sur leur avenir professionnel. Et au premier chef les plus fragiles d'entre eux sur le marché du travail : les jeunes (48 % des moins de 25 ans), les femmes (38 %, contre 32 % des hommes), les ouvriers et employés (respectivement 40 % et 39 %), les sans-diplôme (41 %) et les moins rémunérés des salariés (41 % de ceux qui sont en dessous de 7 500 francs par mois, 45 % entre 7 500 et 10 000 francs). Le sort de l'entreprise, les risques de restructuration, de fusion ou de rachat qui pèsent sur elle ne perturbent en revanche qu'un petit quart de salariés (24 %). D'autres éléments sont également perçus comme stressants, mais dans une moindre mesure que les premiers cités : les rapports avec la hiérarchie (26 % des salariés), les subordonnés (20 % des salariés en position d'encadrement) ou les collègues de travail (19 %), la fluctuation des horaires (25 %, et 28 % des femmes), le manque d'autonomie dans le travail (22 %), les nouvelles technologies (19 %), la fréquence des voyages et des déplacements (17 %, mais 27 % des cadres).

Pour combattre le stress au travail, les salariés font d'abord confiance à eux-mêmes (73 %), devant la médecine du travail (65 %), les CHSCT (63 %) et l'Inspection du travail (62 %). Autres acteurs susceptibles d'intervenir, mais crédités d'une moindre efficacité : les délégués du personnel et les délégués syndicaux (55 %) et le ministère de l'Emploi et de la Solidarité (51 %). En revanche, la grande majorité des personnes interrogées (57 %, contre 40 % d'un avis contraire) n'ont aucune confiance dans leur employeur pour résoudre ce problème. Si les deux tiers des salariés (67 %) jugent en effet que leur entreprise a les moyens de diminuer le stress de ses collaborateurs, seulement la moitié de ces mêmes salariés pensent qu'elle en a réellement la volonté (50 %, contre 48 % qui pensent l'inverse). Dans ces conditions, il n'est guère surprenant que les trois quarts des salariés consultés estiment que le stress doit être reconnu comme une maladie professionnelle à part entière.

11 % des salariés ont déjà eu un ou plusieurs arrêts maladie liés au stress du travail. 89 % n'en ont jamais eu

57 % des salariés ne font pas confiance à leur employeur pour combattre le stress au travail. 40 % lui font confiance. 3 % sont sans opinion

67 % des salariés pensent que leur entreprise a les moyens de diminuer le stress du personnel. Mais la moitié d'entre eux (48 % d'avis contraire) pensent qu'elle n'en a pas la volonté. 29 % pensent qu'elle n'a pas les moyens de diminuer le stress. 4 % sont sans opinion

75 % des salariés souhaitent que le stress soit reconnu comme une maladie professionnelle à part entière. 24 % ne le souhaitent pas. 1 % sont sans opinion

Auteur

  • Denis Boissard