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Débat

Jusqu'où le chômage peut-il continuer de baisser en France ?

Débat | publié le : 01.09.2000 |

Avec 254 000 chômeurs en moins sur les six premiers mois de l'année, le reflux du nombre de demandeurs d'emploi dépasse les prévisions. Si la baisse se poursuit à ce rythme, le taux de chômage devrait passer sous la barre des 9 % d'ici à la fin de l'année. Toute la question est désormais de savoir jusqu'où le chômage peut reculer dans l'Hexagone. Autrement dit, quel est son niveau incompressible. Trois experts donnent leur avis.

« Le seuil de 6 %, pourtant jugé inaccessible, pourrait être franchi dès 2007. »

MARC TOUATI

Responsable des études économiques de Natexis Banques populaires.

L'OCDE estime actuellement que le taux de chômage structurel de l'économie française est de l'ordre de 9 à 9,5 %. Néanmoins, cette mesure est empirique et se réfère à un passé récent dans lequel le taux de croissance était de l'ordre de 1,5 %. Or, depuis 1998 et le début de la révolution des nouvelles technologies de l'information et de la communication dans l'Hexagone, la donne a changé. La croissance structurelle de notre économie est aujourd'hui proche de 3 % l'an, et ce, au moins jusqu'en 2005. En outre, cette croissance est plus riche en emplois que par le passé. Comparativement aux années 80 et 90, elle crée environ 100 000 emplois supplémentaires par an, hors emplois aidés, bien entendu.

De fait, les créations d'emplois atteignent aujourd'hui des sommets oubliés depuis les années 50 ! On peut donc estimer que le taux de chômage structurel français est actuellement d'environ 8 %. Mais il ne s'agit pas là d'un taux incompressible. À l'instar de ce qui s'est observé aux États-Unis au cours des six dernières années, où l'estimation du taux de chômage structurel a reculé de 7 % à 6 % puis à 4 %, le niveau structurel du chômage français pourrait être régulièrement revu en baisse. Cette décrue serait le fruit de trois évolutions majeures.

Primo, les créations d'emplois des secteurs de la nouvelle économie devraient encore s'accélérer et augmenter la richesse en emplois de la croissance économique.

Secundo, la population active s'accroît d'ores et déjà de moins en moins vite, puis commencera à régresser à partir de 2006. Ce qui sera une première depuis les années 50. L'évolution favorable de la population active est une condition accommodante mais non suffisante pour faire reculer le chômage effectif et structurel. L'augmentation de ce dernier en Allemagne de 1991 à 1999, alors que la population active allemande régressait nettement, en est la parfaite illustration. En fait, sans une croissance économique durablement soutenue, une véritable tendance baissière du chômage est presque impossible. C'est pourquoi, à côté de l'évolution a priori favorable de la population active française, le déterminant essentiel de la baisse du chômage restera la croissance.

Tertio, dans un contexte où le chômage régresse fortement et où les salaires retrouvent une tension haussière, la main-d'œuvre française est incitée à devenir plus mobile et plus flexible, tout en recherchant plus activement des emplois correspondant à sa qualification. Le développement des nouveaux secteurs d'activité ne créera pas un marché du travail à deux vitesses, mais au contraire augmentera l'adéquation entre les emplois occupés et les qualifications des salariés. C'est d'ailleurs ce qui s'observe dès à présent, dans la mesure où tous les secteurs et toutes les classes d'âge, y compris les plus de 50 ans, enregistrent une forte baisse du chômage.

Compte tenu de ces éléments et d'une croissance économique moyenne de 2,8 % par an jusqu'en 2005, le taux de chômage structurel, mais aussi effectif, pourrait atteindre 6 % dès 2006. Ce seuil, pourtant jugé inaccessible il y a encore quelques mois, pourrait même être franchi dès 2007, en dépit d'une croissance économique moyenne qui ralentira légèrement vers les 2,3 % jusqu'à la fin 2010. Le plein-emploi n'est donc vraiment plus un rêve !

« Notre économie est proche de la surchauffe, et donc en principe presque au plein-emploi. »

XAVIER TIMBEAU

Directeur de la division France à l'OFCE.

Voilà trois ans que le chômage baisse.La montée du chômage qui découle de la croissance molle des années 90 a été effacée. Pourtant, le chômage est encore très important. 10 % de chômeurs, c'est considérable. Si, au lieu de considérer le chômage selon la définition du BIT, on s'intéresse au taux d'emploi, les ressources en main-d'œuvre inutilisée en France sont d'environ 15 %. Et, en tenant compte du temps partiel non choisi, l'écart atteint presque 20 %.

Le plein-emploi, c'est la fin de ce prodigieux gaspillage de ressources.C'est un taux de chômage très faible : quelquespour cent, comme dans les années 60 ou comme aux États-Unis, aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni. Pourtant, la majorité des économistes ne partagent pas cette opinion. Pour eux, il existe un seuil au chômage que nous ne pouvons pas franchir sans un énorme coût. Ce taux de chômage est appelé structurel parce qu'il découle de la structure de l'économie, entre autres, du pouvoir de négociation des salariés, de la législation du travail ou du rythme des gains de productivité. En France, en 2000, ce taux de chômage structurel ou d'équilibre serait de l'ordre de 9 %. Bien sûr, les estimations divergent ; l'OCDE et la Banque de France le situent aux alentours de 10 %. Bercy le voit un peu en dessous de 9 %. La fourchette n'est pas si large, elle est surtout très haute et le niveau du chômage est voisin aujourd'hui de ce chômage structurel.

Cette proximité impose que la politique économique agisse promptement pour ralentir l'économie et fasse en sorte que le chômage ne baisse plus. Si on ne le fait pas, le chômage baissera encore un peu et l'inflation apparaîtra. La perte de compétitivité et de confiance ralentira alors l'économie et le chômage augmentera jusqu'à ce que l'inflation disparaisse. Aujourd'hui, l'économie française est proche de la surchauffe, ou encore, l'économie française est pratiquement au plein-emploi !

Le diagnostic est brutal et l'écart entre l'intuition commune et l'appréciation des économistes est frappant. Mais les économistes sont subtils : le chômage structurel n'est pas fixe. Il peut diminuer sous l'impulsion de politiques structurelles : rendre le marché du travail plus flexible ou diminuer le « coin fiscalo-social », c'est-à-dire l'écart entre le salaire perçu et le montant payé par l'employeur. Les preuves de l'efficacité de ces politiques sont minces. Au mieux elles expliquent des variations d'un point du taux de chômage.

Le chômage structurel peut varier aussi en fonction de facteurs tels les gains de productivité du travail. La baisse du chômage structurel de l'ordre de 5 points aux États-Unis dans les années 90 est liée à l'accélération des gains de productivité résultant de la nouvelle économie. Si l'Europe s'y engage à son tour, on peut s'attendre à une baisse du chômage structurel. Au prix d'un effort énorme des politiques structurelles massives ou d'un nouveau dynamisme économique, l'intuition commune et l'appréciation des économistes pourront se rejoindre.

« Un taux de chômage bas se mérite par l'intensité de l'aide aux chômeurs. »

CLAUDE VIMONT

Économiste, Conseil, Emploi, Formation.

La baisse rapide du nombre des demandeurs d'emploi, même de longue durée, que nous observons actuellements'arrêtera-t-elle un jour ? En d'autres termes, existe-t-il un taux de chômage incompressible ? Nous sommes à environ 9 %. Au cours des dernières années, à partir d'un maximum de 12,5 %, le niveau minimal était évalué, pour la France, à 8 %. Le double de celui observé à l'heure actuelle aux États-Unis et dans certains pays européens. L'exception française était expliquée par la rigidité de son marché du travail et aucun économiste ne pensait que le taux de chômage pouvait tomber si bas. Il a fallu que l'expansion économique soit aussi forte et d'aussi longue durée que celle que nous enregistrons.

Dans l'avenir, le retournement de la situation démographique, à partir de 2005, apportant une stabilisation, puis une baisse de la population active, jouera en faveur de la réduction du nombre des chômeurs. Mais son effet ne sera pas automatique, car cette évolution sera due au départ en retraite des générations nombreuses, nées après la dernière guerre mondiale. Il n'est pas sûr que tous les emplois libérés seront pourvus. Tout dépendra du taux de croissance. Il en est de même pour l'effet de la loi sur les 35 heures.

Dans la perspective d'une croissance soutenue, deux facteurs doivent être pris en considération : il restera un « noyau dur » de chômeurs de longue durée inadaptés aux besoins actuels dumarché, notamment des travailleurs non qualifiés de l'industrie. Il contribuera au maintien d'un taux de chômage qui a pu baisser très bas dans d'autres pays parce que ces travailleurs ont été placés en situation d'« invalides sociaux » aux Pays-Bas, d'exclus du marché du travail en Grande-Bretagne. Il serait donc judicieux de créer un plan d'aide au retour à l'emploi semblable àcelui prévu par la nouvelle convention de l'Unedic, mais spécifique aux chômeurs de longue durée, relevant de la responsabilité de l'État. C'est une tâche difficile et coûteuse, mais indispensable, car l'employabilité de ces travailleurs s'est considérablement dégradée avec le temps.

Le chômage de longue durée a été alimenté, dans le passé, par les licenciements massifs de travailleurs non qualifiés de l'industrie, à la suite de changements de technologies. Des mouvements appelés aux États-Unis job shocks. De nombreux travailleurs difficilement reconvertibles sont mis au chômage, tous en même temps, souvent dans une zone géographique où le marché du travail est particulièrement étroit. De telles situations se répéteront-elles ? Ce ne sera sans doute pas pour des travailleurs non qualifiés. Par ailleurs, nous savons maintenant que le progrès technique ne tue pas l'emploi. Ce sont, au contraire, les économies l'ayant mis en œuvre dans les délais les plus courts qui ont créé le plus d'emplois. Mais le progrès technique change la nature des emplois. On ne peut exclure qu'il résulte du rapide renouvellement des technologies des poussées de chômage d'autant plus difficiles à résoudre que les mesures actives d'aide au retour à l'emploi n'auront pas été mises en œuvre. Un taux de chômage bas ne se décrète pas par la réglementation du marché, il se mérite par l'intensité de l'aide aux chômeurs.