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Vie des entreprises

Avec la crise, les surqualifiés sont de retour

Vie des entreprises | Zoom | publié le : 02.02.2013 | Éric Béal

Trop chers pour le marché, mais en mal d’emploi, ils en viennent à viser des postes sous-dimensionnés. Le nombre des « surqualifiés », jeunes diplômés ou cadres confirmés, repart à la hausse.

La cinquantaine bien entamée, Guy, ancien directeur financier dans l’industrie, a fini par descendre de son nuage. « Après mon licenciement, je pensais retrouver un poste équivalent dans ma branche. Je me suis accordé six mois de vacances, puis je me suis mis à chercher sérieusement. J’imaginais aboutir rapidement, grâce à mon réseau professionnel. Mais les perspectives sont mauvaises et les quelques postes qui se sont libérés ont tous été pourvus par des gens plus jeunes et moins bien rémunérés. » Dix-huit mois plus tard, voyant arriver la baisse de ses indemnités Assedic avec inquiétude, Guy répond à des annonces de contrôleur de gestion, voire de gestionnaire comptable. Plus question de faire la fine bouche.

La mésaventure de Guy n’est pas un cas isolé. Managers expérimentés et jeunes diplômés ont plus de mal à trouver un poste en CDI par les temps qui courent. Bertrand Delmas, le DRH du groupe Orangina Schweppes, a reçu des CV de niveau bac + 5 pour des postes de niveau bac. Vincent Renet, responsable du re crutement à la SNCF, fait le même constat. « Tous nos postes sont pourvus par niveaux. Le titulaire d’un bac + 5 ne peut pas participer à une évaluation correspondant à un poste de niveau inférieur. Mais il n’est pas impossible que certains candidats ne déclarent pas tous leurs diplômes. Nous le soupçonnons à chaque fois que les résultats de l’un d’entre eux dépassent nettement la moyenne pondérée de sa catégorie. Mais c’est assez marginal. »

Rémunération revue à la baisse.

Cette dévalorisation, volontaire ou subie, se traduit dans les statistiques de l’Apec. « Notre enquête auprès de cadres en poste en 2012 montre que 40 % de ceux qui ont retrouvé un travail après une période de chômage voient leur rémunération baisser par rapport à leur ancien poste », explique Pierre Lamblin, directeur du département études et recherches. Certes, ces résultats cachent des réalités différentes : les dévalorisations professionnelles des uns sont mélangées aux modifications de périmètre pour un même intitulé de poste, aux changements de branche ou encore au passage d’une grande entreprise à une PME que subissent les autres.

Mais le phénomène apparaît à chaque crise. « Actuellement, il se renforce sous l’effet des retards de décisions dans les entreprises », estime Claude Burette, directeur de la practice IT d’Oasys. Chez les managers expérimentés, il concerne ceux qui ne sont plus en poste depuis un bon moment. « Après un an de vaines recherches, ils ont peur de perdre de la valeur sur le marché du travail et commencent à abaisser leurs prétentions sur le profil du poste et le niveau de salaire », indique François Godin, directeur de la practice industrie chez Futurestep, une société du groupe Korn/Ferry qui suit des profils de cadres confirmés. « Il s’agit plus souvent de quinquagénaires que de trentenaires, ajoute Claude Burette. En période difficile, les entreprises ont le réflexe de garder les 35-40 ans et de faire d’abord partir les seniors. »

Evidemment, cette stratégie adoptée par nombre de seniors sur le marché du travail n’est pas revendiquée telle quelle. « Un cadre en recherche d’emploi peut se positionner sur un poste inférieur à celui qu’il détenait dans son ancienne entreprise. Il expliquera que le profil du poste l’intéresse en raison des évolutions possibles qui y sont attachées », estime Olivier Spire, dirigeant du cabinet Managers 50, une structure spécialisée dans le management de transition (voir interview page 52). Le candidat passera sous silence le fait qu’à 50 ans et plus, ses chances de retrouver un poste sont minces.

“Le danger est de devoir affronter la frustration de la personne au bout de six mois”

Chez les jeunes diplômés, ceux qui galèrent sortent plutôt d’une université. En atteste le nombre de titulaires d’un bac + 4 ou + 5 qui postulent à un concours de la fonction publique pour des postes de catégories C et B, bien inférieurs à leur niveau de formation. « Les jeunes issus d’école d’ingénieurs s’en sortent mieux, avec huit personnes sur dix en poste dans l’année suivant l’obtention de leur diplôme. Contre un peu moins de sept sur dix pour les universitaires inscrits chez nous », affirme Pierre Lamblin. Reste que les universitaires avec un diplôme professionnel s’en sortent très bien. « Ils sont moins exigeants sur le niveau de poste à l’entrée et sont perçus comme plus faciles à intégrer par les entreprises », indique Alice Krir, consultante en recrutement chez Adecco Experts. « Nous n’avons aucun problème pour placer des profils techniques de niveau bac + 2 ou + 3 », confirme Sébastien Hampartzoumian, directeur général de Page Personnel. « À l’inverse, c’est plus difficile pour les jeunes de niveau bac + 4 ou + 5 en marketing, par exemple, même issus d’une école de commerce. »

Mauvaise orientation.

Selon Jean-Luc Placet, président du cabinet IDRH et de la fédération Syntec, bon nombre de jeunes diplômés au chômage seraient surtout victimes d’une mauvaise orien tation. « La crise est révélatrice d’une situation plus ancienne, estime-t-il. L’université fabrique trop de diplômés dans des domaines peu demandés. Confrontés aux réalités du marché du travail, ils vont chercher un job là où ils n’ont pas besoin d’un niveau bac + 4 ou + 5. » Et d’inviter les enseignants d’université à « se coordonner avec les fédérations professionnelles pour anticiper les besoins à cinq ou dix ans ».

Reste à savoir si la dissimulation de diplôme, le fait de cacher son ancien salaire ou les postes les plus élevés de son parcours professionnel constituent une bonne tactique pour retrouver un emploi. Certes, un grand nombre de DRH sont réticents à l’idée de re cruter un ancien patron de département pour un poste d’adjoint, ou encore de mettre un ancien élève d’une grande école de commerce à un poste de promoteur des ventes. « Le danger est de devoir affronter la frustration de la personne au bout de six mois, estime Bertrand Delmas. Il faut également faire attention de ne pas créer un déséquilibre avec les autres membres de l’équipe. Chez Orangina Schweppes, nous préférons recruter des gens bien dans leur peau, avec une marge de progression à moyen terme. »

L’autres responsables RH expriment une opinion similaire de façon plus abrupte. « Je ne veux pas m’emmerder avec des gens qui demanderont à évoluer six mois après avoir été recrutés », indique, sous couvert d’anonymat, un DRH de la filière automobile. À l’inverse, Jean-Luc Placet conseille de profiter de la situation : « Il est bon de recruter un peu au-dessus car le poste peut évoluer sous le coup d’innovations au niveau du métier, du process ou des méthodes de travail. » Encore minoritaire, cet avis est partagé par un nombre croissant de responsables d’entreprise, d’après le président d’IDRH.

Un job au plus vite.

Responsable de la practice marketing, vente, supply chain et achats chez Oasys, Bertrand Riedinger déconseille aux cadres expérimentés de se dévaloriser. « D’autant plus que le marché corrige déjà les salaires vers le bas ces dernières années. Mais il y a plusieurs façons de valoriser son expérience. En changeant de secteur ou, à l’inverse, en restant sur le même tout en changeant de métier ou de profil de poste. » Objectif : retrouver un job au plus vite afin de prouver ses compétences et espérer une augmentation de salaire ultérieure. En moyenne, 40 % des cadres supérieurs préfèrent reprendre ou créer une entreprise. Une portion croissante s’essaie au management de transition ou accepte des contrats de mission, excellents moyens d’intéresser une PME et de reprendre de la valeur sur le marché du travail.

Côté jeunes diplômés, les candidats doivent « construire une expérience professionnelle au travers d’une succession de stages ou de missions d’intérim dans le secteur d’activité qu’ils souhaitent investir. De cette façon, ils se créent un parcours préprofessionnel cohérent qui peut rattraper un diplôme éloigné du marché du travail », conseille Sacha Kalusevic, directeur de la division commercial et marketing chez Page Personnel. Un parcours du combattant pour les jeunes comme pour les seniors, réduits à accepter des statuts précaires pour espérer, à terme, séduire un recruteur.

Olivier Spire Dirigeant du cabinet Managers 50
“Les seniors ne se dévalorisent pas”

Quel est le poids de la dévalorisation de l’expérience chez les managers expérimentés ?

Je n’ai jamais rencontré de cadre senior qui assume officiellement cette position. Au contraire, les seniors ont intérêt à faire valoir toutes leurs compétences pour intéresser une entreprise. Cependant, tous ceux qui connaissent des difficultés économiques sont prêts à accepter une offre inférieure au niveau de leur ancien poste. Mais il ne s’agit pas de dévalorisation.

Comment expliquez-vous cela ?

Quand on a 50-55 ans, il faut avoir la souplesse et l’ouverture d’esprit de s’intéresser à des choses un peu différentes pour ouvrir le champ des possibles. Postuler à un poste inférieur peut être une bonne stratégie pour rebondir sur un métier ou un secteur différents.

Quelles sont les conséquences sur la rémunération ?

Le marché du travail est orienté à la baisse. Mais c’est général. Par ailleurs, la rémunération n’est pas forcément le point le plus important lorsque l’on cherche à rebondir. Si le poste est intéressant en termes de conduite de carrière, un cadre senior n’aura pas le sentiment de se dévaloriser.

Auteur

  • Éric Béal