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Politique sociale

La Grande Borne, territoire de formation

Politique sociale | publié le : 02.02.2013 | Anne-Cécile Geoffroy

Dans l’Essonne, Grigny et Viry-Châtillon financent un centre de formation pour permettre aux habitants de quartiers sinistrés d’accéder à un emploi dans des niches en pénurie de main-d’œuvre.

Installées autour d’une table, une dizaine d’hommes manipulent des terminaux de paiement pour carte bancaire. Depuis deux mois, ils apprennent à désosser la machine pour mieux comprendre son fonctionnement et, surtout, la réparer. Dans un mois ils seront tous en stage en entreprise et pourront se prévaloir du titre de technicien monétique. Et retrouver un emploi. Comme Philippe Bryon, 58 ans, qui espère voir le bout d’un long tunnel de chômage. « Après mon licenciement, j’ai cherché sans succès pendant un an et demi. Avant, je travaillais dans une entreprise spécialisée dans les liaisons satellites. La monétique, c’est une reconversion. C’est Pôle emploi qui m’a envoyé vers le centre de formation et de professionnalisation de Grigny », explique cet habitant de Ris-Orangis, une commune voisine dans l’Essonne.

Le CFP a été créé en 2008 sous la forme d’une société d’économie mixte par des élus de Grigny et de Viry-Châtillon et des entreprises du territoire. Une originalité dans un monde de la formation dominé par de gros organismes comme l’Afpa. « La singularité des habitants de ce territoire, c’est qu’ils sont éloignés de l’emploi et de la formation. 60 % des personnes inscrites à Pôle emploi ont peu ou pas de diplôme. Un des freins est la distance des centres de formation. Si, pour se former, il faut se lever aux aurores, payer les transports, le repas du midi, pour les habitants cela devient vite impossible économiquement et beaucoup décrochent », note Philippe Rio, le maire communiste de Grigny.

20 % de chômage. Les élus ont donc choisi de construire le CFP au milieu du quartier de La Grande Borne et de ses bâtiments en forme de serpentin. Coupé du reste de Grigny par l’autoroute A6, ce quartier enclavé, conçu à la fin des années 60 par l’architecte Émile Aillaud pour incarner la « cité des enfants », est aujourd’hui classé zone de sécurité prioritaire. Entre 2007 et 2011, le taux de chômage a bondi de 115 % dans le bassin d’emploi et touche à Grigny plus de 20 % de la population active, contre 9 % dans le département. Le revenu net moyen par foyer (14 700 euros) est deux fois moins élevé que dans l’ensemble de l’Essonne.

Dans une salle adjacente à la formation en monétique, un plateau technique est en cours d’installation. D’immenses bobines noires renfermant des dizaines de fibres optiques attendent posées à terre que des établis soient mis en place. « Nous avons également commandé une tente pour que nos stagiaires apprennent à travailler dans le froid. Nous essayons d’être au maximum dans le réel », souligne Saïd Moutawakil, formateur et l’un des tout premiers stagiaires du centre. Avec 11 salariés et 1 million d’euros de budget, le CFP abrite une des très rares formations de monteur-raccordeur en fibre optique, des professionnels chargés de relier chaque logement au futur réseau à très haut débit. « Dès le début, on a cherché à cibler des niches en pénurie de main-d’œuvre dont les formations traditionnelles sont absentes », raconte Philippe Rio. Et opté pour des formations courtes de quatre à cinq mois. « C’est un public qui ne peut pas s’engager sur des périodes plus longues. Nos formations sont conçues comme des sas vers l’emploi », indique Anne-Marie Laurent, directrice générale des services des Lacs de l’Essonne, la communauté d’agglomération qui réunit Grigny et Viry-Châtillon.

Le centre propose aussi une formation de carre leur de mosaïque et est le seul dans le département à avoir ouvert un CQP d’agent d’entretien. Surtout, il a convaincu le Syndicat des entreprises de génie électrique et climatique (Serce) de l’aider à créer un certificat de qualification professionnelle de monteur-raccordeur en fibre optique. « Le secteur devrait créer 12 000 à 15 000 postes dans les cinq à dix prochaines années, précise Richard Krieger, conseiller formation auprès du président du Serce. Le CFP de Grigny est un peu notre laboratoire d’essai. »

Après quatre ans d’activité, le CFP affiche pour cette formation des taux d’insertion très enviables : 75 % des 150 personnes formées ont un emploi durable aujourd’hui. Comme Jonathan Couset, depuis deux ans chez S2RT, une PME de 35 salariés, ou encore Mohamed Mehdaoui, qui travaille chez Orange. « C’est Saïd qui m’a donné l’idée de postuler », raconte le jeune technicien de 26 ans. Très malade, il est contraint d’arrêter ses études au niveau du bac. Après une période d’intérim, il s’inscrit au CFP sur les conseils de la mission locale. « La formation démarrait. On avait peu de moyens. J’ai eu du mal à décrocher un emploi à l’époque. Mais le CFP ne m’a jamais lâché. Je reste en contact avec Saïd. On échange sur les évolutions technologiques et j’essaie de leur apporter du nouveau matériel. »

La réussite du centre est aussi liée à la proximité entretenue avec les entreprises du secteur. Pour Rachid Ziat, responsable de production et associé de la société S2RT, « le CFP permet de gagner du temps. Il apporte la théorie que nous n’avons pas le temps d’inculquer aux nouvelles recrues. Et un savoir être, car c’est un métier qui demande de vraies compétences relationnelles avec les particuliers ». Gilles Piot, le nouveau directeur du centre de formation, ancien chef d’entreprise dans le secteur de la fibre optique, entend bien garder ce cap : « Le CFP doit rester un centre de ressources pour les entreprises du territoire et les aider à se développer en les mettant en lien avec un public des quartiers qu’elles ne savent pas aller chercher. »

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy