Dans ce livre, Bénédicte Vidaillet, enseignante à l’université Lille 1, de formation psychanalytique, s’interroge sur le succès irrésistible, à l’intérieur de l’entreprise, mais aussi dans beaucoup d’autres registres de la vie sociale, du phénomène de l’évaluation. Certains y ont distingué la marque de la main invisible des classes dominantes qui auraient vu dans cette approche le moyen de maintenir leur contrôle social sur le salariat au sens large. Mais Bénédicte Vidaillet, dont les travaux portent sur la subjectivité au travail, exerce un métier où l’on sait que les choses ne sont jamais aussi simples : si l’idéologie de l’évaluation se développe si puissamment, c’est également parce que nous l’appelons de nos vœux, explique-t-elle. « Il y a en chacun un désir d’être évalué : “évaluez-moi !”, voilà ce qu’on entend partout, pour peu qu’on y soit attentif. » Son propos est de montrer combien l’évaluation est pour l’évalué source de jouissance, comment elle nourrit son narcissisme et agit comme une drogue, en accroissant le besoin de reconnaissance tout en prétendant y répondre.

Dans un premier temps, exemples à l’appui, l’auteure rappelle que l’évaluation est un système coûteux : il faut mettre au point un dispositif de mesure, recourir à des consultants, former tous ceux qui vont avoir à l’utiliser, absorber ensuite certains effets pervers induits dans les comportements par la méthode choisie, sans compter une inévitable perte de temps sur le « temps productif ». Mais l’évaluation, c’est aussi une manière de trouver un sens à un travail qui le perd de plus en plus dans des organisations complexes. C’est aussi une façon d’évacuer le sentiment de culpabilité que peut faire naître l’écart croissant entre les normes et la réalité du fonctionnement de l’entreprise. La deuxième fonction de l’évaluation, c’est d’être garante d’une certaine transparence dans l’entreprise : chacun peut se dire que les tire-au-flanc ne pourront plus passer au travers. Enfin, c’est un procédé prétendument « objectif » d’organiser le partage de la plus-value entre salariés, et donc de justifier les inégalités.

Évaluez-moi ! Évaluation au travail : les ressorts d’une fascination, Bénédicte Vidaillet. Éditions Seuil . 224 pages, 18,50 euros.