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Enquête

Heureux comme un Renault marocain

Enquête | publié le : 02.02.2013 | Isabelle Arbona

À Tanger, l’usine Renault inaugurée en février 2012 donne le sourire aux Marocains. Et des sueurs froides au centre de formation du site chargé de former un grand nombre de collaborateurs en un temps record.

Il est bientôt midi et Raja Elkoi termine son cours en automatismes industriels. À l’heure de la pause, les couloirs de l’impressionnant Institut de formation aux métiers de l’industrie automobile (Ifmia) se vident rapidement. Le bâtiment gris qui s’étend sur près de 6 000 mètres carrés jouxte l’usine flambant neuve Renault Nissan de Tanger. C’est là, dans un paysage vallonné, dans l’extrême nord du Maroc, sur une superficie de 300 hectares, que le constructeur automobile a choisi d’implanter son trente-huitième site industriel. Représentant un investissement de plus de 1 milliard d’euros, l’usine Renault Nissan de Tanger fabrique deux nouveaux modèles low cost de la gamme Dacia : le Lodgy, un véhicule familial, et le Dokker, un petit utilitaire.

Nous sommes seulement à quelques encablures des côtes espagnoles. Un avantage géographique de taille, car plus des deux tiers des véhicules Renault assemblés au Maroc sont destinés au marché européen. La nouvelle usine est elle-même équipée d’une ligne de chemin de fer qui achemine directement les véhicules vers le complexe portuaire de Tanger Med. Ainsi, chaque jour, pas moins de 700 véhicules suivent ce parcours.

Outre la situation géographique, d’autres avantages ont déterminé le choix de Tanger. À commencer par le statut de zone franche. Pendant cinq ans, le constructeur se voit exonéré d’impôts. Par la suite, il s’acquittera d’une taxe à taux réduit de 8,75 % (au lieu de 35 %) pendant une période de vingt ans. De quoi déchaîner, au moment de l’inauguration de l’usine il y a tout juste un an, les passions dans l’opinion publique française et l’inquiétude des syndicats face à la baisse de la production dans l’Hexagone.

Les débuts d’une industrie. Perception radicalement différente au Maroc, où l’implantation du site et les conditions de travail n’ont pas suscité la polémique. Bien loin des accusations de dumping social formulées à l’encontre de Carlos Ghosn, patron de Renault Nissan, Raja Elkoi, elle, ne dissimule pas sa fierté d’avoir réussi à intégrer le constructeur automobile : « Lorsque je dis que je travaille pour Renault, c’est respect. Le prestige de la marque, les possibilités de se former et donc d’évoluer m’ont convaincue de quitter un poste pourtant bien rémunéré à Casablanca », explique, enthousiaste, la jeune femme de 24 ans. « Participer aux débuts de l’industrie automobile marocaine représente une grande fierté », renchérit Amine Hamahi, 29 ans. Le jeune homme, également originaire de Casablanca, achève sa formation à l’Ifmia pour occuper un poste de roboticien. La fierté se mêle à l’appréhension. Pas question de ralentir les cadences. L’usine produit 30 véhicules par heure et, d’ici au début de 2014, la mise en service de la seconde ligne de production permettra d’en fabriquer 60 par heure, soit près de 400 000 véhicules par an.

Jusqu’à présent, seule la Société marocaine de construction automobile (Somaca), filiale de Renault, produisait, sur le sol marocain, quelques dizaines de milliers de véhicules (Simca, VP Fiat…). Dans un pays où l’industrie automobile est peu développée, le défi est colossal en matière de recrutement. L’usine de Tanger emploie actuellement 4 100 personnes et compte embaucher au total 6 500 personnes d’ici à la fin de l’année 2014. Mais seulement 25 % des effectifs sont originaires de la région nord. Comme Raja Elkoi et Amine Hamahi, ils sont des centaines à avoir quitté les principales villes du royaume pour rejoindre Tanger. « Les processus de recrutement et de formation ont été véritablement industrialisés », souligne Moulay Youssef Sbai, directeur de l’Ifmia. Avec une équipe de 16 personnes dédiées au recrutement, ce sont jusqu’à 150 personnes qui ont été embauchées chaque semaine depuis le mois d’avril 2011.

À l’entrée du site, les salles de formation ne désemplissent pas. Les opérateurs sont formés pendant trois mois et les managers pendant quatre mois. Au total, près de quarante mille heures de formation sont délivrées chaque mois. Un volume qui, selon Moulay Youssef Sbai, équivaut à celui d’un plan de formation annuel. Mais voilà, la formation comme le recrutement doivent s’adapter aux jalons industriels. « Si la montée en puissance de l’usine s’accélère, l’Ifmia doit être en mesure de suivre », observe Moulay Youssef Sbai. De fait, depuis janvier 2012, l’Ifmia a, comme sur une chaîne de production, doublé les équipes en formation, qui se succèdent de 6 heures du matin à 14 heures et de 14 heures à 22 heures !

Avantages sociaux. Chez Renault, Raja Elkoi appartient à une minorité. Les femmes représentent en effet moins de 5 % des effectifs alors que le constructeur s’était plutôt fixé un objectif de 10 %. Une situation qui peut s’expliquer, selon Moulay Youssef Sbai, par l’éloignement de l’usine, située à plus de 25 kilomètres de Tanger, à Melloussa. La contrainte de l’éloignement a obligé le constructeur à mettre en place un système de navettes. Chaque soir, une flotte d’une centaine de bus ramène les ouvriers de la nouvelle usine vers la banlieue de Tanger.

La firme au losange paie un opérateur environ 2 770 dirhams par mois (248 euros), soit légèrement plus que le salaire minimum marocain, fixé à 2 300 dirhams pour une durée légale du travail de quarante-quatre heures par semaine. « Nos salaires se situent dans la médiane du marché. Cependant, la politique sociale de Renault reste le critère de différenciation par rapport aux entreprises de la région », précise Moulay Youssef Sbai. En plus de leur salaire, les opérateurs peuvent compter sur un certain nombre d’avantages sociaux : déjeuner gratuit à la cantine de l’usine, couverture santé, retraite complémentaire, prime de production, prime pour les fêtes religieuses et la rentrée scolaire des enfants. Un syndicat est en cours de constitution.

Renault place de grands espoirs dans sa nouvelle usine marocaine. S’affirmera-t-elle comme la plus compétitive du groupe, comme l’a déclaré Carlos Ghosn ? Le made in Morocco deviendra-t-il la nouvelle marque de fabrique pour la gamme low cost du constructeur ? Les opérateurs marocains s’affichent en tout cas comme de sérieux compétiteurs pour les Roumains… et les Turcs.

L’Ifmia en première ligne

L’Institut de formation aux métiers de l’industrie automobile (Ifmia) s’appuie sur une équipe de 52 personnes, dont 32 formateurs permanents, et 150 formateurs relais. Établissement public donné en gestion à Renault, l’Ifmia représente un investissement de 8 millions d’euros.

À Partir de mi-2013, l’Ifmia pourra dispenser des formations à d’autres acteurs du secteur que Renault. L’Ifmia est organisé en sept écoles : logistique, montage, tôlerie, emboutissage, peinture, maintenance et métiers transverses. Le coût de la formation d’une personne est estimé à 4,50 euros par heure. En plus des 4 000 personnes déjà formées, l’Ifmia a, depuis deux ans, formé deux roboticiens venus de l’usine Renault de Roumanie. « Nous n’avons encore reçu personne de France », sourit Moulay Youssef Sbai, le directeur général de l’Institut.

248 euros par mois

Salaire moyen d’un ouvrier de Renault à Tanger (coût horaire : 5 euros).

9,4 %

Taux de chômage au Maroc en novembre 2012.

108 400

véhicules : production marocaine en 2012, à quasi-parité entre Renault Nissan et Somaca.

Sources : Renault, Haut-Commissariat au Plan marocain.

Auteur

  • Isabelle Arbona