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“Il y a, en dehors de toute étiquette, de bons et de mauvais patrons”

Actu | Entretien | publié le : 02.02.2013 | Stéphane Béchaux

Pour l’ex-patron de Renault, réputé proche du PS, la gauche porte des valeurs éthiques de respect, de droit…, mais elle n’en a pas le monopole.

L’actuelle majorité entretient des relations très tendues avec le patronat. Et les chefs d’entreprise de gauche ne se bousculent pas pour la soutenir…

Je réfute cette notion de « patron de gauche ». On peut en revanche être patron et de gauche. J’en fais partie, tout le monde le sait de par mon passé dans les cabinets ministériels. Mais un dirigeant ne prend pas ses décisions en fonction de ses convictions ou de ses amitiés politiques. Celles-ci n’ont pas à figurer au centre de son action. Il y a certes des patrons de combat, qui sont ef fectivement de droite, et d’autres, de sensibilité plus sociale, qui peuvent être de gauche. Mais il y a surtout, en dehors de toute étiquette, de bons et de mauvais patrons. De grâce, laissons la politique à la porte des entreprises !

Les convictions politiques des dirigeants n’influeraient donc en rien sur leur comportement ?

Un certain nombre de valeurs éthiques – le respect des hommes et des femmes et de leur diversité, la défense des droits syndicaux, le refus des licenciements Kleenex… – sont au cœur des valeurs de gauche. Mais cette dernière n’en a pas le monopole. Je ne sais pas pour qui votait Antoine Riboud. Mais il est clair que le double projet économique et social qu’il portait à la tête de Danone en faisait un patron résolument éthique. Il avait raison. Sur une longue période, efficacité et éthique sont inséparables. Un bon patron a une vision à long terme, il ne pilote pas son entreprise en fonction de la Bourse. Le capitalisme actionnarial est beaucoup moins en cohérence avec cette idée du long terme et les valeurs de gauche que le capitalisme partenarial à l’allemande.

Le bulletin de vote du dirigeant importe donc moins que sa vision de la RSE ?

Le patron qui se désintéresse des enjeux de responsabilité sociale et environnementale compromet la réputation et la durabilité de son entreprise sur le long terme. Mais en tenir compte n’interdit pas de prendre des décisions douloureuses. À la BNP, Michel Pébereau, qui n’a pas la réputation d’être de gauche, se félicitait de ne jamais avoir eu recours à des licenciements collectifs. Moi, j’en ai fait lorsque je dirigeais Renault. Mais je me suis toujours efforcé de bien traiter les salariés.

Le rapport des patrons à l’argent varie-t-il en fonction de leur couleur politique ?

Antoine Riboud était un grand défenseur de la rémunération élevée des dirigeants. Parce qu’il trouvait normal qu’un patron de grande entreprise, pour peu qu’il soit bon, puisse faire fortune au même titre qu’un patron de PME. Pour ma part, j’ai toujours demandé à mon conseil d’admi nistration d’avoir une rémunération un peu au-dessous de la médiane de celle de mes pairs. Mais je ne crois pas au plafonnement des salaires. La redistribution, c’est le rôle de l’impôt.

En la matière, la politique fiscale du gouver nement fait hurler le patronat…

Sans surprise, ceux qui gagnent beaucoup d’argent ont tendance à se dire c’est affreux, je vais payer beaucoup d’impôts ! Cette réaction n’est pas réservée aux seuls patrons. Je connais des particuliers dans bien d’autres domaines qui cherchent par tous les moyens à réduire le montant de leur imposition. Certains chefs d’entreprise accordent d’ailleurs une importance excessive à ces questions dans leur stratégie. Faire des choix d’investissement ou d’implantation en fonction de critères fiscaux constitue une erreur. L’optimisation fiscale conduit à prendre des décisions économiquement non optimales.

Que vous inspirent les discours politiques de gauche qui mettent les patrons au pilori ?

Est-ce intelligent Non. Ces prises de position rendent le dialogue avec les entreprises difficile. Or le gouvernement n’est pas en capacité de choisir les dirigeants des sociétés, qui sont des gens infiniment susceptibles. On ne peut pas battre un chien qu’on ne tient pas en laisse ! À l’affrontement stérile, il faut préférer le dialogue et l’écoute. Les patrons ne doivent pas seulement se retrouver entre eux, au Medef ou dans des cercles. Il faut leur ouvrir d’autres lieux pour débattre avec les représentants des organisations syndicales et les hauts fonctionnaires, loin des micros et des caméras. Le Commissariat général du Plan offrait autrefois un tel espace de dialogue sans négociation. Le projet de création d’un commissariat général à la stratégie et à la prospective, proposé dans le rapport de Yannick Moreau, remis en décembre au Premier ministre, répond à cet objectif nécessaire.

LOUIS SCHWEITZER

Ancien P-DG de Renault (1992-2005), actuel administrateur de BNP Paribas, L’Oréal et Veolia Environnement, Louis Schweitzer est l’une des figures emblématiques du patronat de gauche. Son parcours plaide en ce sens. Directeur des cabinets de Laurent Fabius au Budget, à l’Industrie puis à Matignon (1981-1986), il a aussi présidé la Halde (2005-2010) et Initiative France (depuis 2011).

Auteur

  • Stéphane Béchaux