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Vie des entreprises

Les entreprises se prennent au jeu

Vie des entreprises | Zoom | publié le : 31.12.2012 | Éric Delon

Pour présenter sa stratégie, former ses salariés, attirer des candidats…, un nombre croissant d’entreprises fait appel aux jeux vidéo : les serious games. Du moins parmi les grands groupes, car le prix reste un obstacle.

Ils s’appellent Agent Surefire, Safe Metal, Handicohésion ou Suez Ambas sador. Leurs missions respectives : sensibiliser les salariés à la sécurité de l’information, à la sécurité tout court, au handicap dans l’entreprise ou présenter les métiers et l’or ganisation d’un exgroupe du CAC 40 spécialisé dans l’en vironnement. Ces serious games symbolisent l’arrivée pro gressive des jeux vidéo dits « sérieux » dans l’univers de l’entreprise, au milieu des années 2000. « L’objectif premier du serious game n’est pas de divertir mais de viser une dimension utilitaire: transmettre un message, délivrer une formation, sensibiliser des salariés à telle ou telle problématique », explique Julian Alvarez, docteur en sciences de l’information et de la communication, chercheur associé au laboratoire Cirel-Trigone (université de Lille).

Le premier serious game, America’s Army, créé en 2002, est, à l’origine, une commande de l’armée américaine qui avait pour objectif de mettre en avant ses valeurs en per met tant aux jeunes recrues de s’entraîner, virtuellement, à différentes missions. Distribué gratuitement, téléchargé par 11 millions d’internautes, il est devenu, selon l’armée américaine, son meilleur outil de recrutement auprès des 16-24 ans, loin devant les autres outils de communication. Importés en France, les serious games ont investi de nombreux domaines (santé, éducation, défense, communication…). Ils ont été boostés par le volet numérique du plan de relance du quinquennat Sarkozy, qui a encouragé la création de ces « jeux sérieux » en subventionnant une cinquantaine de projets.

Traduit en six langues, diffusé dans 40 pays. Directeur de la Renault Acade my, l’entité du constructeur automobile qui conçoit les formations techniques et commerciales du groupe, Hervé Vialle a tout de suite été séduit par le concept. « Il y a quatre ans, nous avons fait développer un serious game sur mesure, et en 3 D, pour former et accroître l’efficacité de notre force de vente au niveau mondial, confie-t-il. Dans ce jeu, qui a connu plusieurs versions, nos collaborateurs doivent obtenir le maximum de points en réalisant un certain nombre de tâches. Concrètement, ils sont mis en situation de vente face à un client dont ils doivent découvrir et satisfaire les attentes. Ce qui les oblige à réfléchir sur deux plans à la fois: la technique commerciale et les aspects comportementaux et humains. » Traduit en six langues et diffusé dans 40 pays, ce jeu a été conçu pour être rejoué plusieurs fois et amener ainsi chaque participant à réaliser des progrès. « Devant leur ordinateur, nos “apprenants” sont vraiment acteurs et n’ont pas peur du regard des autres », précise Hervé Vialle.

Soucieux de démontrer à ses salariés que leur entreprise n’était plus seulement une compagnie pétrolière mais désormais une société « énergétique » (solaire, biomasse…), Total a lancé, fin 2011, Total Genius Campus. Plongés dans un monde imaginaire, les joueurs sont amenés à se mettre dans la peau du ministre de l’Énergie d’un pays inventé. Ainsi mis en situation, ils doivent répondre à la demande énergétique en utilisant les énergies disponibles et en prenant en compte des contraintes réalistes : contrôler les émissions de CO2, respecter le budget de l’État… Le gagnant est celui qui aura composé au mieux le « mix énergétique » du pays. « Plutôt que d’asséner un discours top down sur la nouvelle stratégie de l’entreprise, ou de se contenter de vérifier que les collaborateurs ont bien validé des connaissances sur un mode de type e-learning, le serious game offre de vivre une expérience ludique de manière émotionnelle. Rien de plus efficace, en termes de pédagogie, pour un adulte que d’apprendre en se trompant », note Patrick Gadat, responsable commercial de la société Paraschool qui a conçu Total Genius (coût de développement : 300 000 euros). Jusqu’à présent, 10 000 salariés se sont déjà mis dans la peau de ce ministre de l’Énergie virtuel, Total escomptant que l’ensemble de ses salariés ait vécu cette expérience d’ici à fin 2013.

Selon les experts en formation, le grand intérêt du serious game est de pouvoir s’adresser à des publics rétifs à des modes de formation classiques, de type présentiel. Notamment les 18-25 ans, qui retrouvent ainsi un univers familier.

Si le concept séduit un nombre croissant de directeurs de formation, le prix des serious games demeure encore un obstacle. « Aujourd’hui, ce sont essentiellement les grands groupes qui commandent ce type de jeux, analyse Élise Lavoué, maître de conférences à l’IAE de Lyon. Les budgets de développement des serious games varient entre 40 000 et 500 000 euros selon les technologies utilisées et la richesse du contenu. » Bref, difficile dans ces conditions de séduire des PME, une cible pourtant de plus en plus sollicitée par les studios de création avec des jeux moins onéreux. « Nous proposons des produits génériques avec un abonnement annuel, notamment dans le domaine du management (entretien annuel, management de la diversité, basiques du management…) », explique Damian Nolan, directeur de l’éditeur Daesign. Même si une étude de la Cegos en avril montre la croissance du recours à la gamification (1) et que le cabinet Gartner prévoit que, à l’horizon 2014, 70 % des entreprises le proposeront à leurs employés, il importe de rester prudent. Si, à la fin des années 90, la formation sur Internet était censée modifier radicalement l’univers de la formation professionnelle, l’e-learning ne représente aujourd’hui que 5 à 10 % (2) des budgets.

(1) « Ludification », ou transfert des mécanismes du jeu dans d’autres domaines.

(2) Échantillon : 200 premières entreprises françaises. (Source : Cegos.)

Michelin joue au risque

A l’instar des groupes internationaux cotés, chez Michelin, la maîtrise du risque juridique est un enjeu capital. « Soucieux de sensibiliser nos commerciaux au respect du droit de la concurrence, nous avons décidé de recourir à un outil pédagogique innovant, le serious game, que nous avons baptisé Mission Antitrust », indique Laurent Geelhand, directeur juridique Europe du groupe. « Les concepteurs du jeu, la société Daesign, ont pris la route avec nos commerciaux pendant une semaine pour analyser leur quotidien, poursuit-il. Puis nous avons déterminé les objectifs de la formation et coécrit les scénarios avec nos partenaires. » Au total, 3 000 collaborateurs seront formés à cet outil. « Le serious game est particulièrement adapté à la génération Y, qui n’accroche pas trop avec les PowerPoint, se réjouit le directeur juridique. Dans la mesure où les retours sont très positifs, nous envisageons d’élaborer de nouveaux projets, comme la formation à l’éthique des affaires ou la sécurité de la gestion des données personnelles sur des réseaux informatiques toujours plus mondialisés. »

Auteur

  • Éric Delon