logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Politique sociale

Les cadres travaillent trop !

Politique sociale | publié le : 31.12.2012 | Adeline Farge

Image

Ce qui pèse sur leur charge de travail, de façon très importante

Crédit photo Adeline Farge

Près de quinze ans après l’instauration du forfait jours, la CFDT a enquêté sur le temps de travail des cadres. Malgré des journées qui explosent et un équilibre fragile entre boulot et vie privée, ils apprécient leur relative liberté. Mais les femmes le paient cher.

Voilà une enquête qui va apporter de l’eau au moulin de la Cour de cassation. Dans ses arrêts retentissants du 29 juin 2011 et du 31 janvier 2012, la chambre sociale a imposé aux entreprises un strict contrôle de la charge de travail des cadres soumis au forfait jours. Or l’étude « Travail et temps » réalisée par la CFDT Cadres auprès de 3 282 cadres, dont Liaisons sociales magazine publie les résultats en exclusivité, livre un verdict sans appel : le temps de travail de l’encadrement a explosé ! Faut-il revoir le forfait jours ? Faut-il au contraire sanctuariser le droit au repos ? La centrale de Belleville, qui a soutenu la création du forfait jours, entend ouvrir le débat lors d’un colloque le 11 janvier (voir Agenda).

1 Des journées à rallonge

Trois quarts des cadres (75,4 %, encadrants et non-encadrants confondus) interrogés par la CFDT déclarent travailler entre 35 et 50 heures par semaine, alors que le maximum autorisé au niveau européen est de 48 heures hebdomadaires. Et cette durée moyenne ne reflète pas le temps de travail réel, car un tiers des salariés de l’échantillon bossent « souvent, voire systématiquement » chez eux après 20 heures, tandis qu’un gros tiers consultent a minima « souvent à systématiquement » leur messagerie le dimanche. Chez les femmes managers, ce taux de consultation atteint presque 50 %, et plus de 41 % d’entre elles travaillent après 20 heures. « Ce n’est pas une surprise mais ce phénomène prend des proportions importantes », explique Monique Boutrand, secrétaire nationale de la CFDT, qui considère qu’« une grande partie du travail des cadres est dissimulée ».

Avec les nouvelles technologies, 30 % des cadres interrogés travaillent plusieurs heures dans les transports chaque semaine. « Le contrat de travail est basé sur les 35 heures. Or les cadres travaillent 7 jours sur 7. Il y a donc un décalage entre le temps de travail et ce qui se passe dans la réalité », poursuit la cédétiste. Autre constat fort relevé par la sociologue Émilie Genin qui a analysé les résultats : les cadres « qui encadrent » des équipes sont sans cesse interrompus par des tâches de management. Ils emportent plus de boulot à la maison que les cadres « experts », qui peuvent davantage se concentrer sur leurs tâches journalières.

2 Une charge de travail pesante

Rien de surprenant si 42 % des cadres constituant l’échantillon jugent leur charge de travail trop élevée, 6,5 % la trouvant même « insupportable ». Ce sentiment est fort au sein de la population des managers : 49 % des hommes dénoncent leur charge de travail (près de 17 points de plus que pour ceux qui ne managent pas) ainsi que plus de la moitié des femmes (50,7 %, soit 12 points de plus que les cadres féminins sans responsabilité managériale). Parmi les facteurs aggravants, hommes et femmes managers n’ont pas la même perception des choses. Près de 82 % de ces dernières incriminent les messageries et les téléphones (contre 77 % des hommes et 72 % pour l’ensemble de l’échantillon), 81 % la gestion de l’imprévu (contre 73,5 % des hommes et 72,5 % pour l’ensemble), 69 % se plaignent des réunions (au lieu de 60,5 % des hommes et 58 % pour l’ensemble). L’open space (et, d’une manière générale, le contexte de travail), qui ne concerne qu’à peine un quart de l’échantillon, est moins bien accepté par les femmes managers, plus de 30 % (contre 21 % des hommes) le rangeant parmi les facteurs qui intensifient le travail.

De façon plus surprenante, deux autres critères n’entraînent pas, selon les répondants, d’alourdissement de la charge de travail : le temps de trajet domicile-travail, cité par moins d’un tiers des cadres (31 %), mais par 31 % des femmes managers, contre 26 % des hommes, et les déplacements professionnels (26,5 %).

3 Une autonomie appréciée

Tout n’est pas noir dans l’enquête conduite par la CFDT Cadres. Si les salariés interrogés font état de journées à rallonge dans et hors de l’entreprise, ils semblent apprécier l’autonomie qui leur est laissée dans le travail. Ainsi, 63 % d’entre eux se déclarent libres de pouvoir prendre tous leurs congés et d’en choisir les dates et 54 % font état d’une latitude importante dans l’organisation même de leur travail. Pour la CFDT, « la question de la liberté d’organisation est essentielle ». C’est ce qui explique, selon elle, que la durée du travail des cadres soit considérée comme « normale » ou « acceptable » par près de 45 % d’entre eux, tandis que seulement 14 % la jugent « beaucoup trop élevée », voire « inacceptable ». On notera l’écart entre les réponses des managers et des non-encadrants. Environ un tiers des premiers (34 % des hommes, 36 % des femmes) sont satisfaits de leur temps de travail, soit 18 points de moins que chez les cadres sans responsabilité managériale. « Que ce soit pour les femmes ou pour les hommes, cette autonomie est perçue comme une liberté et un privilège : c’est le “marqueur cadre” », dit la CFDT. « Même s’ils bossent comme des dingues, ils ont la liberté de prendre une journée de repos pour accompagner leurs enfants, cela n’a pas de prix. Le tout est de pouvoir le faire ! Si on creuse un peu, ce sentiment d’autonomie peut être virtuel », pondère Monique Boutrand.

4 Un équilibre de vie relatif

Car l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle n’est finalement jugé « satisfaisant » que par un gros tiers des cadres. Davantage par ceux qui ne sont pas managers que parmi les encadrants. Et l’entourage des salariés eux-mêmes est encore plus critique. Seulement 29 % des proches jugent ce fragile équilibre entre boulot et vie privé satisfaisant, 26 % émettant, à ce sujet, des récriminations fréquentes. On en comprend les raisons : si 40 % des femmes managers (et 52 % des non-managers) peuvent prendre en charge leurs enfants matin et soir, 16 % (et 9 %) déclarent que c’est impossible ; respectivement 37 % et 36 % de l’ensemble des cadres estiment que leur temps familial ou domestique et leur temps de loisirs personnels sont trop courts, tandis que 37,5 % se plaignent d’un manque de disponibilité pour leur vie associative et sportive, militante… « On reste dans des représentations sexuées fortes. Malgré un investissement au travail similaire, les contraintes familiales sont toujours davantage assumées par les femmes. Il faut faire entrer la question de la parentalité dans l’entreprise, estime Monique Boutrand. Pour rester performantes sur tous les tableaux, les femmes paient un lourd tribut, celui de leur vie sociale et de leur santé. Les résultats les concernant sont inquiétants. »

Pour la CFDT, l’équilibre vie privée-vie professionnelle doit être pris en compte dans le management. « La loi oblige les entreprises à mener un entretien annuel pour les cadres au forfait jours pour mesurer leur charge de travail. Cela pourrait être l’occasion d’aborder cette question. » Car quand les tensions professionnelles deviennent trop fortes, les risques de burn out sont notables.

1/3

des cadres travaillent souvent, voire systématiquement chez eux le soir

3/4

des cadres déclarent travailler entre 35 et 50 heures par semaine

MÉTHODOLOGIE

Enquête réalisée en ligne entre le 15 janvier 2011 et le 15 juillet 2012 auprès de 3 282 cadres, (dont 1 108 appartiennent aux sections d’entreprise de l’AP-HP, d’EDF, de Renault Trucks et de Logica). Sur les 2 116 réponses exploitées, 65 % des cadres travaillent dans le secteur privé, 63 % ont une responsabilité de management, 60,5 % sont des hommes (et 39,50 % des femmes). Tous sont soumis au régime du forfait jours. Une moitié sont au-dessus de 218 jours par an. Leur âge moyen est de 43 ans.

48 % des cadres

jugent leur charge de travail trop élevée, voire insupportable

Ce qui pèse sur leur charge de travail, de façon très importante
63 %

prennent tous leurs congés et choisissent leurs dates de vacances

37,7 %

seulement estiment leur équilibre de vie satisfaisant

Auteur

  • Adeline Farge