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L’alternance, moins tendance

Dossier | publié le : 31.12.2012 | Sabine Germain, Rozenn Le Saint

Après une période faste, les contrats d’apprentissage et de professionnalisation enregistrent un ralentissement cette année. Plus que la fin des exonérations de charges sociales, c’est la crise qui est en cause.

Ce n’est pas faute d’avoir mis l’alternance sur le devant de la scène. Mesure phare de la formation des années Sarkozy, elle accuse une forte baisse début 2012. Moins 6 % au premier semestre, par rapport à l’année dernière, avec 106 500 nouveaux contrats signés, contre 113 300 à la même période en 2011, selon le ministère du Travail. En mai, l’alternance a même accusé une diminution de plus de 27 %. Avant, donc, la fin du dispositif « zéro charge apprenti », clos le 30 juin dernier, qui exonérait de charges sociales les entreprises de moins de 250 salariés pour toute embauche d’un alternant supplémentaire. Les contrats de professionnalisation, et surtout ceux ciblés sur les jeunes de moins de 26 ans (– 7,3 %), souffrent davantage que les contrats d’apprentissage, souvent jugés « plus simples » et « plus établis » par les employeurs. Plus courts (de six à douze mois, contre entre six mois et trois ans pour les contrats d’apprentissage), ils seraient plus sensibles aux aléas de la conjoncture. Par ailleurs, « le développement du contrat de professionnalisation est très lié aux financements de l’État. Avec le changement de gouvernement, il est possible que les entreprises prennent une position attentiste, pour voir quels dispositifs seront mis en place », estime Gilles Moreau, sociologue et spécialiste de l’apprentissage à l’université de Poitiers.

Même si le second semestre 2012 semble moins dramatique (voir interview de Thierry Repentin), les premiers touchés seront vraisemblablement les jeunes les moins qualifiés. « Ces dernières années, les politiques de développement de l’apprentissage ont surtout profité à l’enseignement supérieur, aux BTS et aux masters, assure Gilles Moreau. L’impact de la fin des exonérations risque d’atteindre davantage les niveaux 4 et 5. » Respectivement les niveaux bac et CAP-BEP. Même écho du côté de Gérard Cherpion, député UMP, qui a donné son nom à la loi sur l’alternance de juillet 2011 : « Il existe un risque que les formations de qualifications plus faibles soient les premières touchées, car les entreprises auront tendance à investir sur des niveaux supérieurs, davantage productifs. » Dans l’enseignement supérieur, en effet, nulle crainte. « Nous n’observons pas d’impact de la fin des exonérations. Nous allons continuer sur notre lancée et même dépasser notre objectif de 450 alternants début 2013, contre 80 en 2007 ! » s’enthousiasme François-Xavier Théry, directeur du développement et des entreprises du groupe Sup de co Montpellier Business School.

Cibler les exonérations. À l’inverse, les responsables de centre de formation d’apprentis se montrent inquiets, à l’image de Jean-Patrick Gille, député socialiste et président du CFA de Tours : « Nous avons accusé un retard au premier semestre et à la rentrée : – 10 % par rapport à l’an dernier. Nous avons du mal à trouver des contrats dans certains métiers de la restauration ou du BTP, comme celui d’ascensoriste, par exemple. » Des voies s’élèvent pour demander des exonérations ciblées pour les niveaux 4 et 5, les moins qualifiés, comme celle de Pierre Courbebaisse, vice-président de la Fédération de la formation professionnelle (FFP) : « Un alternant de niveau 5 exige un encadrement important ; il n’y a pas le même retour sur investissement qu’avec un bac + 3. Je crains que d’ici à un an, si rien n’est fait, le nombre de contrats de professionnalisation diminue de moitié. » Même discours chez le sociologue Gilles Moreau : « On est en train de tirer l’apprentissage vers le haut avec l’enseignement supérieur. C’est important pour la dimension symbolique de l’apprentissage ; mais, en relevant le plafond, on ne se rend pas compte des effets sur le plancher… Les niveaux 4 et 5, les plus en difficulté sur le marché du travail, mériteraient une décision politique. »

Quid des TPE et des PME, qui, contrairement aux entreprises de plus de 250 salariés, ne sont pas soumises à l’obligation de 4 % d’alternants ? Elles resteraient moteurs, selon le ministre de l’Apprentissage. Même si leurs moyens ne sont pas toujours à la hauteur. Lucrezia Micoulaud Del Papa est étudiante en master en alternance à Sup de co Montpellier Business School. Elle passe la moitié de son temps sur les bancs de l’école, l’autre dans les bureaux de GRDF. Avant cela, elle avait déjà opté pour la formule alternance en BTS, en contrat avec une PME locale. « À la base, nous voulions poursuivre ensemble. Le Groupe Pierre Le Goff souhaitait m’accompagner jusqu’à la fin de mes études, mais, comme la plupart des PME, il n’avait pas les moyens de financer les 12 000 euros annuels que coûte le master de mon école de commerce », relate-t-elle.

Certains secteurs sont plus touchés que d’autres, comme la construction, qui concentre pourtant près de 20 % des alternants. Le BTP avait déjà accusé un ralentissement l’an dernier. À la Fédération française du bâtiment (FFB), on estime cette baisse « assez logique compte tenu de la conjoncture, puisque les entreprises anticipent des mauvaises années en 2013 et 2014 ». Mais la FFB n’observe pas de forte variation en fonction des politiques d’exonération de charges.

En revanche, dans le secteur de la métallurgie, on n’anticipe pas de baisse. L’UIMM compte 36 400 contrats en alternance. À la fin de l’année, le chiffre devrait passer à 38 000. C’est le fruit d’une politique volontariste de la branche : la fédération patronale a mis en place 50 centres de formation pour les apprentis, dont 40 % sont de niveau CAP ou bac professionnel, et 60 % BTS ou ingénieur. Le taux d’insertion à l’issue d’un contrat d’apprentissage est de 85 % dans la branche (contre une moyenne nationale de l’ordre de 80 %). « Tout le monde veut développer l’alternance, mais il ne s’agit pas de multiplier des formations avec un vernis d’apprentissage, il faut qu’elles soient de très bonne qualité pour que l’alternance soit enfin perçue comme une voie d’excellence, par les parents notamment », estime Joël Mendez, directeur emploi-formation de l’UIMM. Or, pour cela, il faut un financement conséquent, et c’est la seule inquiétude de ce responsable à la fédération : « Aujourd’hui, la branche mobilise près de 100 millions d’euros par an pour l’alternance, mais il va falloir trouver davantage de cofinancements via la taxe d’apprentissage et les conseils régionaux. »

Du côté de l’Opca Fafiec (entreprises de l’informatique, de l’ingénierie, du conseil, des études, des foires, salons, congrès et des traductions), pas de baisse de régime annoncée. Dans la branche, 75 % des effectifs sont des ingénieurs et des cadres. « Les formations plus qualifiées sont moins sensibles à la crise, or les deux tiers de nos contrats en alternance sont signés avec des étudiants de l’enseignement supérieur », indique Dominique Jeanjean, directeur opérationnel du Fafiec. Pour 2013, la branche table sur une marge de progression similaire à celle de 2012 : 8 000 alternants devraient y faire leurs classes. Question financement, le Fafiec s’attend que le prélèvement du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels atteigne 13 % en 2013, contre 10 % cette année. « Le DIF portable, la préparation opérationnelle à l’emploi et le contrat de sécurisation professionnelle viennent aussi concurrencer notre enveloppe globale de professionnalisation, mais nous n’avons pas de prévision de baisse de collecte qui ferait que l’on soit inquiets pour le financement de l’alternance », assure Dominique Jeanjean.

Puisque, aujourd’hui, le nombre d’alternants est déjà d’environ 420 000, l’objectif fixé par Jean-Marc Ayrault dans son pacte de compétitivité pour 2017 étant de 500 000, reste à souhaiter que la perte de vitesse de l’alternance ne perdure pas. Le député UMP Gérard Cherpion n’hésite pas à qualifier cet objectif de « peu ambitieux ». « Le rapport Gallois prévoyait près du double, le nôtre était aussi d’atteindre le million d’alternants, pour arriver au même niveau que l’Allemagne », rappelle-t-il. « Un objectif quantitatif récurrent », note Gilles Moreau, qui, selon lui, manque de « qualitatif ».

R. Le S.

Thierry Repentin Ministre de la Formation professionnelle et de l’Apprentissage
“Les entreprises de moins de 50 salariés ont signé 80 % des contrats cette année”

Craignez-vous une tendance à la baisse de l’alternance ?

Du 1er janvier au 31 octobre 2012, par rapport à la même période en 2011, la signature de contrats de professionnalisation a diminué de 8 %, mais celle de contrats d’apprentissage a augmenté de 8 %, même s’il faut encore rester prudents, car la campagne n’est pas terminée. Dans ce contexte de crise, il est positif que les entreprises préparent l’avenir, et notamment les plus petites. Celles de moins de 50 salariés sont à l’origine de près de 80 % des contrats d’apprentissage signés cette année.

L’objectif du gouvernement de 500 000 alternants d’ici à 2017 est-il suffisamment ambitieux ?

Il semble réaliste aux entreprises et aux partenaires et, de ce fait, il est davantage pris au sérieux que les objectifs fixés auparavant et qui se fracassaient sur l’autel de la réalité. Pour passer de 420 000 alternants aujourd’hui à 500 000, nous préparons un plan de développement de l’apprentissage pour le premier trimestre 2013.

Envisagez-vous des mesures spécifiques pour les moins qualifiés ?

Dans le cadre des pactes de réussite éducative, j’ai déjà demandé aux préfets de région et aux présidents de conseil régional une priorisation pour le développement des contrats de professionnalisation et d’apprentissage à destination des niveaux 4 (CAP-BEP) et 5 (bac). De même, je leur ai demandé la mise en œuvre de plans concertés en faveur de l’accès à la formation des demandeurs d’emploi les moins qualifiés.

26 000 contrats d’aprentissage et 10 400 contrats de professionnalisation, c’est le nombre de contrats d’alternance mis en œuvre dans les entreprises de la métallurgie.

60 % des contrats en alternance sont assumés par des entreprises de moins de 250 salariés, 37 % par celles de moins de 50.

De 90 à 95 millions d’euros seront consacrés par l’UIMM au financement des contrats en alternance en 2013, contre près de 100 millions en 2012.

Auteur

  • Sabine Germain, Rozenn Le Saint