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Chronique juridique

Vœux pour une révision du droit de la modification

Chronique juridique | publié le : 31.12.2012 |

Qu’il s’agisse des futurs « accords de sauvegarde de l’emploi » ou des multiples obligations de reclassement, la modification du contrat est omniprésente dans notre monde en mutation. Paradoxe : alors qu’elle constitue aujourd’hui le cœur de la vie des entreprises, le Code n’en parle pratiquement pas : c’est la jurisprudence qui fait la loi en ce domaine.

Le législateur n’a jamais traité directement cette question, pourtant essentielle sur le plan professionnel mais aussi personnel, qui constitue parfois l’antichambre du licenciement. Les enjeux sont donc importants : si, par exemple, l’employeur a unilatéralement modifié les contrats, départ immédiat des meilleurs par une prise d’acte automatiquement justifiée (donc avec les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse), il y a là montage obligé d’un PSE alors qu’employeur et syndicats avaient signé un accord destiné à… éviter tout licenciement.

POUR UNE UNIFICATION DES PROCÉDURES

Il ne s’agit évidemment pas de la procédure à respecter lors d’un simple changement des conditions de travail, réduite (en droit) au minimum puisqu’il s’agit de l’exercice normal du pouvoir de direction. Le CHSCT puis le comité d’entreprise dûment informés et consultés, le chef d’entreprise va notifier à chaque collaborateur son changement d’étage ou les nouveaux horaires ; un refus qualifié d’insubordination pourra conduire à une sanction, voire à un licenciement disciplinaire.

S’agissant d’une véritable modification du contrat, procédures légales et jurisprudentielles se sont empilées depuis quinze ans et le résultat est aujourd’hui illisible. Ainsi du silence du collaborateur à une proposition patronale, qui entraîne des résultats opposés selon la cause de la modification. Si elle est personnelle (ex. : rétrogradation disciplinaire), le salarié qui ne l’accepte pas expressément par avenant est censé l’avoir refusée, même s’il travaille depuis deux ans aux nouvelles conditions. Mais, dans l’immense majorité des cas aujourd’hui, elle est économique et les choses se compliquent.

« Qui ne dit mot consent » ? Destinée à obliger les salariés hésitants ou estimant que « rien ne résiste à une solide dose d’inertie » (Churchill) à prendre rapidement position, cette horreur en droit civil figure à l’article L. 1222-6 dans une hypothèse spécifique : « Lorsque l’employeur, pour un motif économique, envisage la modification d’un élément essentiel du contrat de travail, il en informe le salarié par lettre recommandée avec accusé de réception. La lettre de notification informe le salarié qu’il dispose d’un délai d’un mois à compter de sa réception pour faire connaître son refus. À défaut de réponse dans un délai d’un mois, le salarié est réputé avoir accepté la modification proposée. »

Si donc la modification touche un élément essentiel du contrat, repose sur un motif économique, mais est proposée en dehors du reclassement devant précéder tout projet de licenciement économique, le salarié ne la refusant pas expressément dans le mois qui suit la réception de la LRAR est réputé l’avoir acceptée et ne pourra plus prétendre bénéficier des stipulations contractuelles initiales.

« Qui ne dit mot ne consent pas » reste le principe auquel la chambre sociale reste très attachée. Même refus lors d’une acceptation enthousiaste mais assortie de discrètes conditions (« C’est avec beaucoup de plaisir que je vais rejoindre ce magnifique poste à Lille, cette ville pleine d’histoire qui… etc., etc., à condition que vous preniez en charge… »).

– Ainsi s’agissant d’un projet de mobilité à l’étranger dans le cadre de l’obligation de reclassement pour motif économique. L’article L. 1233-4-1 prévoit que l’employeur demande par LRAR au salarié s’il accepte de recevoir des offres hors du territoire national, et la règle générale s’applique : le collaborateur qui ne répond pas dans les six jours au questionnaire de mobilité est réputé avoir refusé le principe d’une expatriation : la loi du 18 mai 2010 était conçue pour. Deux phases en forme d’obscure clarté, donc : 1° Dans les six jours, acceptation (forcément expresse) ou refus (exprès ou tacite) d’une mobilité à l’étranger. 2° En cas d’acceptation, les offres ne seront envoyées qu’aux salariés ayant émis le souhait de recevoir des propositions à l’étranger (chambre sociale, 10 octobre 2012). Clair ? Ce serait trop facile : pour la jurisprudence, L. 1222-6 (qui ne dit mot consent au bout d’un mois) n’est pas alors applicable.

– Même application de la règle générale si, dans ce même cadre de l’obligation de reclassement économique, la mobilité vise le seul territoire français ; et l’employeur ne peut en amont « limiter ses recherches et ses offres en fonction de la volonté de ses salariés, exprimées à sa demande et par avance, en dehors de toute proposition concrète » (chambre sociale, 29 février 2012). Retour, donc, à la case départ, et ici « qui ne dit mot ne consent pas », bien qu’il s’agisse d’une modification pour motif économique. Tout le monde suit ? Il convient donc de généraliser à toutes les modifications (personnelle ou économique, obligation de reclassement ou non) la procédure évoquée par l’article L. 1222-6 : envoi d’une LRAR, description précise des nouvelles conditions contractuelles avec avenant à renvoyer daté et signé, deux mois de réflexion maximum et incompressibles à compter de la réception. Acceptation ou refus exprès ou, à défaut de réponse, acceptation tacite, évidemment très clairement indiquée dans la lettre. Sachant qu’il est ici rarement question de maintenir le statu quo, reste à savoir ce que vont devenir les refuzniks : licenciement personnel ou pour motif économique ?

SORT DES REFUZNIKS

Si l’on écarte le refus d’une rétrogradation disciplinaire, la qualification économique doit être retenue dans 99 % des cas.

1° Procédures ? Si l’employeur décide de licencier plus de 10 collaborateurs ayant refusé une modification de leur contrat, il devrait monter un PSE. Deux lois récentes (et bientôt trois, car un simple accord national interprofessionnel n’a pas ce pouvoir) ont eu pour but de l’éviter. Ainsi de la rude loi Aubry II de janvier 2000 sur le passage négocié aux 35 heures (licenciement non économique, cause réelle et sérieuse préconstituée) ou de la loi Warsmann du 22 mars 2012 : « La mise en place d’une répartition des horaires sur une période supérieure à la semaine et au plus égale à l’année prévue par un accord collectif ne constitue pas une modification du contrat de travail. » (L. 3122-6.) Pour l’avenir, notons que dans les deux cas cette issue de secours est justifiée par la présence d’un accord collectif.

2° Cause réelle et sérieuse ? Sur le fond, il appartiendra à l’employeur de préciser la cause justificative (« difficultés économiques », « mutations technologiques », « sauvegarde de la compétitivité »)… de la modification initiale. Ce à quoi le DRH n’avait guère pensé lorsqu’il avait proposé de revoir le variable des commerciaux (chambre sociale, 12 avril 2012, Generali).

Car le salarié, un peu surpris de se retrouver à Pôle emploi pour avoir simplement exigé le respect des stipulations contractuelles antérieures, plaide naturellement le défaut de cause réelle et sérieuse. « Si le refus de la modification du contrat oblige l’employeur qui entend maintenir cette modification à licencier le salarié, ce licenciement n’est pas nécessairement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Il appartient au juge de rechercher si le motif de la modification constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement. »

De la cause du licenciement, le juge remonte donc à celle de la modification initiale : question que l’employeur s’était rarement posée mais à laquelle il devra répondre devant le conseil de prud’hommes douze mois après le licenciement, et parfois deux ans après la modification en cause. L’avenir étant plus facilement prévisible quand il est devenu le passé, le juge judiciaire n’hésite pas à constater que l’entreprise va alors nettement mieux, et que donc…

SPÉCIFICITÉS DES ACCORDS DE SAUVEGARDE DE L’EMPLOI

La question du sort des refuzniks est au cœur du débat sur les accords compétitivité-emploi de mars 2012, devenus « de maintien dans l’emploi » en ce début 2013. Selon le texte négocié mi-décembre, il s’agit de « prendre des mesures temporaires destinées à passer une période difficile en préservant l’emploi dans le cadre d’une négociation globale durée du travail-salaires emploi » : on imagine que la RTT façon 2013 sera plutôt le Rallongement du Temps de Travail, avec parfois baisse des salaires. Or « la rémunération contractuelle d’un salarié constitue un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié sans son accord », a rappelé la chambre sociale le 31 octobre 2012. Mais si un tel « accord de maintien dans l’emploi » conduit inexorablement à des licenciements économiques, voire à devoir monter un PSE lorsque plus de 10 salariés l’ont refusé…

Devant le tollé syndical, la délégation patronale avait abandonné fin novembre sa proposition de licenciement sui generis inspirée de la loi Aubry II (qui visait, il est vrai, une très sociale réduction du temps de travail) en cas de refus individuel de se voir appliquer l’accord collectif. La version présentée mi-décembre prévoyait la qualification de licenciement économique… tout en créant une procédure extrêmement sui generis : en cas d’accord, l’employeur serait exonéré « de l’ensemble des obligations légales et conventionnelles qui auraient résulté d’un licenciement pour motif économique », un « accompagnement adapté individuel » étant cependant prévu.

Sui generis ? Il est vrai que ce type d’accord est très différent de l’existant : obligatoirement à durée déterminée, il devrait prévoir « les conséquences d’un retour à meilleure fortune sur la situation des salariés qui ont consenti des efforts », indique le texte mi-décembre, qui poursuit : « Pour les salariés restant dans l’entreprise, les clauses de leur contrat qui avaient été suspendues trouvent de nouveau à s’appliquer. » S’agissant d’une suspension et non d’une baisse définitive, qui plus est issue d’un accord collectif de jure ou de facto majoritaire pour éviter tout droit d’opposition, est-il légitime d’inciter, de faciliter, de permettre à quelques (bons) collaborateurs de quitter le navire qui tangue ?

FLASH
Mobilité géographique : analyse objective ou subjective ?

Avant 1999, la jurisprudence avait adopté une très humaine analyse mais conduisant à une casuistique : pour chaque salarié, cette mobilité provoquait-elle « un bouleversement de sa vie personnelle, familiale ou sociale » ? Revirement le 4 mai 1999 : le changement de lieu « doit être apprécié de façon objective » (donc par rapport à l’entreprise), les juges du fond examinant si la nouvelle localisation reste « dans le même secteur géographique ».

Mais avec l’arrêt Stéphanie M. du 14 octobre 2008 repris le 18 octobre 2012, irruption de L. 1121-1 : le juge devait « rechercher concrètement si la décision de l’employeur de muter l’intéressée de La Rochelle à Niort ne portait pas atteinte à son droit […] à une vie personnelle et familiale, et si une telle atteinte pouvait être justifiée par la tâche à accomplir et était proportionnée au but recherché ». Or toute mobilité géographique « porte atteinte » à notre vie personnelle, a fortiori s’agissant de l’exécution d’une clause ad hoc. Comme il paraît (en droit) difficilement concevable que l’employeur lance une enquête préventive sur la vie personnelle de chaque salarié visé, c’est à ce dernier d’attirer l’attention de l’employeur lorsque la proposition lui sera faite.