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Vie des entreprises

Un « #géonpi » ne fait pas le printemps

Vie des entreprises | Chronique juridique | publié le : 03.12.2012 | Jean-Emmanuel Ray

Dans notre société médiatisée, l’opération des « Pigeons », ces patrons de start-up protestant mi-octobre via les réseaux sociaux contre le nouveau régime fiscal des plus-values et qui ont – en partie – fait plier Bercy beaucoup plus vite qu’une organisation représentative nationale, invite à la réflexion sur les nouveaux rapports de force en nos temps de Web 2.0.

Clin d’œil de l’Histoire : ce mouvement collectif et concerté, avec sa manifes tation (aussi publique que virtuelle) de 73 654 personnes (chiffres cette fois vérifiables) dont les revendications ont été rapidement prises en compte, n’est pas venu de deux puissants syndicats représentatifs à l’occasion de la fermeture d’un site industriel important, mais de la rencontre sur le Net le 26 septembre au soir d’un trio de jeunes patrons de start-up. Professionnels des nouvelles techniques de la communi cation, ils ont su trouver une métaphore transparente (le pigeon que l’on plume mais qui peut s’envoler ailleurs), un graphisme astucieux proche d’un jeu très populaire (Angry Birds) et montrer une belle maîtrise des réseaux sociaux : une page Facebook mais aussi et surtout, pour les journalistes et les décideurs, un compte Twitter vite suivi par de médiatiques personnalités comme Xavier Niel, de Free, ou Marc Simoncini (Meetic). Cette agitation branchée a fait surréagir le gouvernement, donnant aux Pigeons un coup d’aile inespéré.

Cristallisant l’exaspération de nombreux chefs d’entreprise de PME ou de TPE travaillant deux fois 35 heures par semaine mais depuis six mois régulièrement incendiés par le ministre de l’« Indignation im productive », ce mouvement si hype a fait la une des médias avant de sagement se saborder le 29 octobre : « Surprise ! Nous fermons ce soir à minuit. Rhouuuu ! »

Indignés, Occupy Wall Street : le problème pour ces mouvements égalitaires et sans chef qui plaisent tant aux jeunes générations adeptes du tout, tout de suite est qu’« ils éclosent comme des fleurs, mais meurent aussi vite car n’ayant ni racines ni plans à long terme. C’est merveilleux d’être horizontaux et démocratiques : mais ces principes doivent être compatibles avec le dur labeur de construire des structures et des institutions solides » (Naomi Klein).

Si cette démocratie directe en forme de jacquerie à l’envers ne peut à l’évidence constituer un modèle dans une démocratie politique ou sociale, les révolutions arabes, les élections américaines et tout conflit social d’importance en France montrent qu’avec les TIC les techniques de contestation et de mobilisation ont changé de forme.

MOBILISATIONS NUMÉRIQUES

Car, dans notre village mondial façon Web 2.0, pour une grande entreprise internationale, sa réputation est un actif aussi important que son capital social, d’où de nouveaux rapports de force. Après l’occupation d’usine banalisée depuis 1936, puis les actions type Cellatex (menace de pollution délibérée) ou Caterpillar (séquestration de cadres provoquant la prompte venue de la presse audiovisuelle), la médiatisation d’un conflit social passe aujourd’hui par les réseaux sociaux.

Ainsi, aux États-Unis, courant 2009-2011, Sodexo a fait l’objet d’une véritable guerre sur le Net de la part du syndicat SEIU (Service Employees International Union), relayée dans de nombreux États et universités. Cette campagne faisant perdre à l’entreprise française nombre de marchés publics ou privés, le groupe a fini par saisir les tribunaux américains en accusant le syndicat de « mener une campagne d’extorsion », avant de signer la paix des braves en septembre 2011.

Comme le signalait Liaisons sociales Europe, une offensive Web 2.0 a été lancée début 2012 en Italie afin de soutenir les 329 ouvrières licenciées de l’usine d’Omsa. Acte I : campagne virale sur les réseaux sociaux invitant au « bombardement verbal » de la page Facebook de l’entreprise : des milliers de vigoureux messages d’indignation, mais aussi de promesse de boycott en quel ques heures. Acte II : création d’une page Facebook sous le slogan « Omsa : plus jamais ! ». En dix jours, cette mobilisation virtuelle a rassemblé 94 000 participants et 654 000 invités, auxquels se sont jointes des milliers d’autres pages Facebook, le tout relayé sur Twitter. Chute drastique des ventes, l’entreprise répondant sur sa propre page que « ce boycott se fait aussi au détriment des collaborateurs qui travaillent encore en Italie ». La même remarque pourrait s’adresser à nos « Géonpis », dont les tirades en anglais ont été largement reprises par des journalistes étrangers, montrant le caractère déci dément indécrottable de ces Français allergiques au succès de leurs propres entrepreneurs.

VICTOIRE JUDICIAIRE MAIS DÉFAITE MÉDIATIQUE

À l’occasion du plan social visant son usine LU d’Évry, Danone a été, au printemps 2001, le premier groupe français à devoir faire face à ce type de campagne Internet de la part d’un site externe, et non syndical. Craignant à juste titre que le boycott proposé par un Réseau Voltaire auparavant inconnu ne conduise à d’autres plans de sauvegarde de l’emploi, les syndicats de Danone sont restés en dehors de cette opération admirablement orchestrée. Car, malgré l’as tucieux angle d’attaque judiciaire choisi par le groupe (pas le combat injure ou diffamation/liberté d’expression, mais la très complexe et subtile contrefaçon), les poursuites du site www.jeboycottedanone.com ont donné lieu à une vaste campagne de l’assigné sur le double thème de la défense des libertés de 1789 et du méchant gros Ogre voulant écraser le pauvre Petit Poucet. Quand la décision du TGI de Paris sanctionnant l’utilisation de la marque est tombée, le 4 juillet 2001, le site largement médiatisé grâce au procès a changé de nom (www.ouijeboycottedanone.com), l’ancien maintenant sa page avec un dessin sanguinolant associé à une immense croix bien rouge : « Censuré ». Victoire finale, mais à la Pyrrhus, avec l’arrêt de la cour de Paris du 30 avril 2003 : « Le principe de la liberté d’expression implique que l’association Réseau Voltaire puisse, sur les sites Internet litigieux, dénoncer sous la forme qu’il estime appropriée les conséquences sociales des plans des restructurations mis en place. Si cette liberté n’est pas absolue, elle ne peut néanmoins subir que les restrictions rendues nécessaires par le respect des droits d’autrui. »

Pour Danone, la nouveauté était évidemment que ses contradicteurs n’étaient plus ses salariés, des représentants du personnel ou des permanents syndicaux connus de l’employeur, mais des militants externes parfaitement inconnus avant le conflit et dont il n’entendrait plus parler après.

PUISSANCE DES LIENS FAIBLES DÉMULTIPLIÉS

Nombre de camarades syndiqués se gaussent, bien sûr, de ces « manifestations » d’amis en robe de chambre dans leur salon, se donnant bonne conscience avec leur souris : vol de moineaux qui prétend remplacer une solide organisation pouvant mener des opérations de tractage avec appel à la grève à 7 heures du matin dans cinq établissements puis assumer le contact parfois viril avec les gens d’en face. Mais c’est justement parce que l’implication des cliqueurs est beaucoup plus faible que celle des militants que leur nombre devient en quelques jours si impressionnant.

Et en termes d’efficacité ? Jamais 8 délégués ou 83 militants associatifs n’avaient pu inonder la planète entière de tracts vengeurs, chercher et parfois obtenir en quelques jours une solidarité nationale ou mondiale, voire bloquer la production (informationnelle) d’un groupe mal préparé à cet épisode social-sociétal inédit. Parfois à mi-chemin entre les pirates et les altermondialistes, les « hacktivistes » (hacker = pirate informatique + activiste = militant) ont de quoi terroriser les multinationales : car le slogan des Anonymous (« They govern the IRL, we govern the Internet » : « Ils gouvernent le monde réel, nous tenons Internet ») n’est pas tout à fait faux.

Comme le remarquait en octobre 2012 l’institut anglais Chartered Institute of Personnel and Development dans son rapport sur « la gestion des relations de travail en temps de crise », la grève n’est plus aujourd’hui l’arme principale : c’est attirer l’attention du public et donc des médias. Avec la montée des « natives » d’Internet, dans notre monde de la consommation qui se verdit de jour en jour, les rapports de force sont donc en train de changer de lieu, et d’acteurs.

Certes pour le juriste du travail, l’externalisation n’est pas vraiment une nouveauté. Le problème – ou l’excitation nouvelle – est que ces nouveaux acteurs interviennent à l’extérieur de l’entreprise. Exit le droit du travail et la bonne vieille négociation interne.

TÉLÉ-RÉALITÉ SOCIALE ET CHOC DES IMAGES

Depuis une dizaine d’années, le « mouvement social » avec ses myriades d’associations et autres « collectifs » vient concurrencer les syndicats s’apercevant, non sans déplaisir ni choc culturel, que ces nouveaux venus, ciblant à l’américaine quelques entreprises leaders soigneusement sélectionnées, réussissent à faire plier en quelques mois des firmes internationales socialement arrogantes en interne : Nike il y a dix ans, Walmart il y a cinq ans, Nestlé enfin et ses barres Kit Kat après la redoutable vidéo de Greenpeace pour la défense des orangs-outangs en 2010.

Dans notre société sentimentale où l’image choc est reine, des photos ou de courtes vidéos prises sur place sont mises en ligne sur YouTube (cf. le petit Pakistanais fabriquant des Nike et enivré par les odeurs de colle) ; rarement par des syndicalistes, surtout par des militants associatifs ou écologistes voulant montrer le gouffre existant entre la belle charte de responsabilité sociale de l’entreprise abondamment médiatisée par l’employeur-élève-modèle-du-développement-durable et les réalités du terrain.

Au point que certaines entreprises éprises de RSE commencent à réfléchir sur l’effet boomerang de ce militantisme patronal forcément médiatisé : qu’un lointain sous-traitant ne respecte pas vraiment les engagements en cause était hier de peu d’effet. Avec le Web 2.0, un petit film bien monté et visant le cœur de la marque comme des internautes, à l’image de Foxconn, sous-traitant d’Apple en Chine, pose rapidement des problèmes mondiaux. Comme l’écrivait Alain Supiot en 2011 : « L’action collective est aspirée dans la spirale de la société du spectacle. »

FLASH
« Occupation numérique » ou grave délit pénal ?

« Comme les formes traditionnelles de protestation pacifique, nos attaques en déni de service permettent de bloquer l’accès aux infrastructures de nos opposants pour faire passer notre message. Que cette infrastructure soit située dans le monde réel ou sur Internet nous est égal. Et parler d’ “attaque informatique” est très tendancieux, car il s’agit d’une perturbation temporaire d’une page Web d’une entreprise, et non pas de son système informatique lui-même. »

Le subtil argumentaire de ces « hacktivistes » est tombé avec la loi du 27 mars 2012. Article 323-1 du Code pénal : « Le fait d’accéder ou de se maintenir, frauduleusement, dans tout ou partie d’un système de traitement automatisé de données est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30000 euros d’amende. Lorsqu’il en est résulté soit la suppression ou la modification de données contenues dans le système, soit une altération du fonctionnement de ce système, la peine est de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. » Et surtout 323-2 : « Le fait d’entraver ou de fausser le fonctionnement d’un système de traitement automatisé de données est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. »

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray