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Enquête

Quand PSA freine, Trevest cale

Enquête | publié le : 03.12.2012 | Emmanuelle Souffi

Pour les 85 licenciés de cet équipementier lâché par PSA, les efforts de reclassement paraissent faibles au regard des difficultés traversées par ce Peugeoland.

Personne dehors ni dans les ateliers. En ce mardi de fin octobre, le Technoland d’Étupes vit au ralenti. Chez Trevest, comme ail leurs, « la semaine 40 » est chômée. La faute à la chute des ventes de voitures qui, depuis septembre, met toute la vallée au repos forcé. « Quand Peugeot tousse, c’est toute la région qui s’enrhume », a-t-on coutume de dire ici. Petite bourgade du Doubs, plantée entre Sochaux et Mulhouse, Étupes se lève et se couche automobile depuis des lustres. Mais pour 85 salariés de Trevest, filiale du groupe Trèves, l’avenir se décline désormais sous d’autres cieux. Après des semaines d’incertitudes, ils ont reçu leur lettre de licenciement le 22 novembre. Des femmes pour la plupart, élevant parfois seules leurs enfants, qui cousaient les sièges arrière de la 308.

Voilà six mois, le sous-traitant de rang deux – qui ne travaille pas en direct pour PSA – s’est fait chiper le marché par Faurecia. Du jour au lendemain, 20 % de son activité s’envolent. « PSA a décidé qu’un sous-traitant ne devait pas travailler plus de 30 % pour lui, ce qui oblige à se diversifier », explique David Barbier, délégué CFDT. Le site fabrique bien des tapis d’habitacle. Mais les tâches sont automatisées. Et puis, selon les syndicats, la direction n’a rien fait pour aller chercher d’autres contrats. « Un équipementier qui veut s’en sortir doit rendre le constructeur dépendant de son effort d’innovation, clame le cédétiste. Ça fait douze ans qu’on vend le même composant de siège ! »

Pris dans la course à la délocalisation, le groupe a ouvert des usines au Maroc, en Chine, là où les constructeurs pressent leurs fournisseurs de s’installer pour faire baisser les coûts salariaux. Voilà quatre ans, Johnson Controls s’est implanté juste derrière la frontière allemande. Le concurrent récupère les marchés de la 3 008 et de la 5 008 pendant que le site franc-comtois perd celui de la 208. Alors, pour les Trevest, ce troisième plan social en cinq ans donne le signal d’une fer meture annoncée. « La finalité de Trèves, c’est de ne plus avoir d’usine en France », est persuadée Marie-Astrid Mladenovic, la bouillonnante déléguée CGT. La direction plaide les difficultés passagères. « Comme à chaque fin de modèle phare, nous sommes dans un creux. Tout le monde subit la même sous-charge », justi fie Bernard Gaulier, directeur de l’usine.

« Nous, on passe à la trappe ». En 2000, Trevest employait 980 salariés. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 260. « Il n’y a que PSA qui compte, alors que leurs conditions de reclassement vont être meilleures que les nôtres, s’insurge Marie-Astrid. Nous, on passe à la trappe. » Durant le printemps, ces oubliés mobilisent journaux et élus locaux. Leur chance, c’est qu’un enfant du pays soit entré au gouvernement. En juin, Pierre Moscovici, en campagne pour les élections législatives, vient les voir en compagnie d’Arnaud Montebourg et promet de faire pression sur PSA et Faurecia pour qu’ils garantissent des volumes à la PME. Devant la presse, le député de la quatrième circonscription du pays de Montbéliard prend le numéro de téléphone de Marie-Astrid. Mais il ne rappellera pas. Les salariés ont en travers de la gorge le prêt de 55 millions d’euros octroyé en 2009 à Trèves, alors en pleine tourmente, par le Fonds de modernisation des équipementiers automobiles. « Moi, quand je fais un crédit, je dois rembourser, et eux, ils licencient et on ne leur demande rien ! » s’agace Muriel, 50 ans, à la production depuis sept ans.

Fin juillet, la direction et la CFDT, majoritaire au comité d’entreprise, signent dans un hôtel un accord de méthode, écrit à la main. Il est contesté par la CGT, tout comme le motif économique du PSE. Dans les ateliers, l’ambiance se dégrade et explose début septembre. Trois jours de blocage pour exiger plus que les 1 000 euros de prime supralégale proposée par la direction et les 400 euros par année d’ancienneté. « Même pas de quoi s’acheter une nouvelle voiture pour aller chercher du boulot en Suisse ! » dénonce Michel, 43 ans, quatorze ans d’ancienneté, qui s’est inscrit dans des agences d’intérim helvètes. En 2006, le groupe avait accordé 20 000 euros. Il finira par lâcher 4 500 euros et 500 euros par année d’ancienneté, plus un congé de reclassement de sept mois incluant les deux mois de préavis payé à 100 %. « Le supralégal, c’est une reconnaissance de l’investissement, justifie David Barbier, mais le plus précieux, c’est un job. »

Sauf que dans la région, ça ne court pas les rues. « Pour nous, le chômage, c’est maintenant ! » ironise Muriel, dont l’épaule meurtrie par le travail à la chaîne complique les chances de rebond. Des postes ont été proposés au Maroc. « Mais il fallait parler couramment arabe », lance, amère, Isabelle, 44 ans. Pour certains, la page va être dure à tourner. Dans le pays de Montbéliard, les annonces ont chuté de 25 % entre septembre 2011 et septembre 2012. Et le nombre de demandeurs d’emploi a flambé de 8 %. « À 54 ans, je vais me lancer dans quoi ? Plus personne ne cherche d’ouvriers ! » s’inquiète Marie-Christine. « Sur 15 000 habitants, j’en ai 1 482 inscrits à Pôle emploi, dont 521 non indemnisés qui ont perdu tout espoir de réinsertion », s’alarme Martial Bourquin, sénateur maire (PS) d’Audincourt, situé à deux pas d’Étupes. Les salariés hésitent à fréquenter l’espace « emploi, mobilité, compétence » installé près de l’usine. Pourtant, des postes, il y en a. Mais souvent à une trentaine de kilomètres. Et pas dans l’auto. Difficile à accepter à Peugeoland. « On a toujours vécu avec le site de Sochaux en ligne de mire et à moins de quinze minutes de la maison », reconnaît Florence.

Les Trevest, comme tous ceux qui chôment, ne vont plus au restaurant, diffèrent leurs achats. Dans les cantines scolaires, les impayés se multiplient. Sur le site, les femmes de ménage ne travaillent plus, mais ne sont pas indemnisées car elles ne relèvent pas de la convention de la mé tallurgie. « Il y a les invisibles, et les sous- invisibles ! » raille Muriel. La dizaine d’intérimaires employés par le transporteur qui fait la liaison entre Trevest, PSA Sochaux et Mulhouse s’attend au pire. « Nous allons consommer 30 % de matières premières en moins et on adapte notre train de vie. Mais les répercussions sur les fournisseurs locaux ne sont pas aussi importantes », nuance le directeur de l’usine.

Pendant ce temps, l’Union européenne débloque 12 millions d’euros pour les 2 089 PSA qui viennent de perdre leur emploi. Les Trevest, eux, se démènent avec des budgets formation qui ne dépassent pas 4 000 euros. Alors que Swatch va ouvrir trois usines dans la région et qu’un diplôme en horlogerie coûte plus de 15 000 euros…

Auteur

  • Emmanuelle Souffi