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Politique sociale

La CFDT à l’heure du Berger

Politique sociale | publié le : 02.11.2012 | Stéphane Béchaux

Incarnation d’une nouvelle génération, Laurent Berger prend les rênes d’une CFDT soudée mais en quête d’un nouveau souffle. Une succession très consensuelle dans un contexte social tendu. Portrait.

Faire ses adieux à la « Mutu » est décidément très tendance. Après Nicolas Sarkozy, en mai dernier, c’est au tour de François Chérèque de tirer sa révérence, le 28 novembre, dans ce haut lieu historique du militantisme de gauche. Dans la salle, quelque 1 500 syndicalistes venus de toute la France pour débattre, pendant deux jours, de l’organisation de la maison et des expérimentations à mettre en œuvre pour la rapprocher du terrain. Mais la ressemblance entre les passations de pouvoir à l’UMP et à la CFDT s’arrête là. Car de guerre des chefs il n’y aura pas au sein de la centrale de Belleville. Depuis plus de trois ans, l’écurie cédétiste s’est en effet trouvé son nouveau leader, en la personne de Laurent Berger. Un Nazairien âgé de 44 ans, auparavant patron de l’union régionale des Pays de la Loire, entré à la commission exécutive en juin 2009 pour préparer la relève. Et qui, chose rare dans le milieu syndical, fait l’unanimité dans sa boutique.

La montée en puissance de l’intéressé dans l’appareil confédéral s’est faite par étapes. Élu au bureau national, le parlement de la CFDT, en juin 2003, il intègre l’équipe rapprochée de François Chérèque, six ans plus tard, comme secrétaire national chargé des TPE. En parallèle, le poulain participe activement à la préparation du congrès de Tours de 2010, au cours duquel il porte le projet de résolution, qui définit les grandes orientations politiques de la maison. Dans la foulée, il endosse les très stratégiques questions d’emploi, avant d’être bombardé, en mars 2012, secrétaire général adjoint. Une dernière marche avant le sacre, annoncé début septembre. « Cela fait trois ans qu’on travaille ensemble, c’est le bon moment. Il est préférable de dégager le congrès de Marseille des enjeux de personnes », justifie son mentor, qui se dit « un peu cuit » après dix ans de règne. « Je ne piaffais pas d’impatience, François n’étouffe pas les gens avec lesquels il travaille. Mais si la passation se fait maintenant, c’est qu’elle a du sens. En 2014, on aura à trancher des réflexions fortes sur notre évolution interne », abonde son ex-bras droit.

Un leader bosseur, discret mais convivial. Boulevard de la Villette, le nouveau patron jouit d’une réputation flatteuse. On le décrit bûcheur, méthodique, réservé mais convivial, capable de diriger sans donner de la voix. « Il sait manager les gens, leur donner envie de travailler. Le tout avec beaucoup de simplicité », commente Véronique Descacq, pressentie pour devenir sa numéro deux. « Ce mec a une vista politique évidente. Vous pouvez le mettre n’importe où, il est à l’aise. Il a un vrai sens de l’analyse sans être ni grande gueule ni béni-oui-oui », abonde Jean-Louis Malys, le monsieur Retraite de la CFDT. Des qualités vantées depuis ses débuts dans la famille, fin 1996, à l’union locale de Saint-Nazaire. « C’était un gars modeste, discret, un peu réservé. Mais doté d’un excellent sens du contact, notamment avec les jeunes et les précaires. Il bossait et préparait ses dossiers », se rappelle Bernard Plantin, l’un des dirigeants de l’UL.

Sa première heure de gloire ? Il l’obtient à l’automne 2000, en épaulant les salariés du Buffalo Grill du coin, à Trignac, qui dénoncent brimades, insultes et conditions de travail déplorables. Le conflit, médiatisé, oblige DRH et DG du groupe à venir négocier sur place. À la clé, 810 000 francs de réparation attribués à une douzaine d’employés. « C’était un simple permanent, mais on a très vite vu qu’il avait une âme de leader », confirme Jean-Paul Leduc, qui en a fait son adjoint à la région, en 2002, avant de lui céder la place l’année suivante.

Sous l’ère Berger, la CFDT des Pays de la Loire, réputée loyale mais critique à l’égard de la confédération, change de style. Adepte du costard sans cravate, le trentenaire, père de trois jeunes enfants, incarne un changement d’époque. « Je l’ai découvert en 2004 lors d’un rassemblement dans sa région. Il tranchait avec l’image caricaturale que beaucoup se font du dirigeant syndical : gros, barbu, avec des sandales et un sac Camif à l’épaule », témoigne Grégory Martin, patron de la CFDT Midi-Pyrénées, alors secrétaire confédéral au pôle développement. Initiée par l’équipe précédente, la politique de détection et de formation de nouveaux responsables porte ses fruits. Le renouvellement des troupes – quatre des cinq unions départementales sont dirigées par des femmes – permet d’en finir avec les baronnies d’hier. « Au cours de ses deux mandats, il a donné une envergure très collective au fonctionnement de la région. Pour conduire un tel changement, il faut à la fois de l’autorité et du charisme », analyse son successeur, Yvan Ricordeau. Des résultats suivis de près à la confédération : dès 2004, lors du quarantième anniversaire de la CFDT, un certain Edmond Maire salue son action à la tribune, avant de lui promettre un bel avenir.

Des responsables mâles et quinquas. Désormais aux manettes, l’intéressé hérite d’une équipe masculine et vieillissante : depuis des années, la centrale sue sang et eau pour faire monter des femmes, jeunes de surcroît, à la commission exécutive et au bureau national. « La mixité a régressé dans l’organisation. Et on peine à faire adhérer les salariés avant l’âge de 35 ans. On ne peut s’étonner, dès lors, que nos responsables restent majoritairement des hommes quinquagénaires », admet Hervé Garnier, chargé du développement syndical. Attendu comme le Messie, Laurent Berger n’a pourtant pas fait de miracles sur ses terres. Entre 2003 et 2009, sa région a connu cinq années d’érosion des troupes puis deux exercices à peine excédentaires. Aux prud’hommes de 2008, elle a également pris une claque, perdant quatre points (à 29,73 %) quand la confédération en lâchait moins de trois. La faute au soutien de la CFDT à la réforme Fillon des retraites, que le jeune leader a défendu « sans états d’âme ». Contrairement à la position de la maison sur les « recalculés », qu’il a combattue dès l’origine.

Emploi, protection sociale, assurance chômage, les débuts de Laurent Berger s’annonce sportifs

Avec Laurent Berger, les précaires ont trouvé un allié. Secrétaire général de la Jeunesse ouvrière chrétienne de 1992 à 1994, ce titulaire d’une maîtrise d’histoire a ensuite connu quelques mois de chômage. Avant d’être recruté par une association d’insertion nazairienne qui accompagne RMIstes et demandeurs d’emploi. Une plongée dans la précarité qui, quinze ans plus tard, guide toujours la réflexion du syndicaliste, issu d’une famille cédétiste, père soudeur aux chantiers navals, mère employée de mairie. « Sa culture professionnelle, c’est celle de l’économie sociale, de la précarité, des petites structures. Il vient d’un monde du travail un peu nouveau pour nous », souligne Véronique Descacq. « On hume l’air du temps différemment selon son histoire et son âge. Mais Laurent marie très bien nos valeurs fondamentales avec le monde d’aujourd’hui, c’est une chance pour la CFDT et le syndicalisme », complète Marcel Grignard, le trésorier confédéral. Reste à convaincre la CGT et FO, avec lesquelles les relations ont parfois été fraîches dans l’Ouest. « Laurent Berger n’est pas seulement dans le syndicalisme de lutte. Il essaie de voir plus loin, de faire de la prospective pour peser sur les mutations économiques », décrypte Bernard Boucault, ex-préfet des Pays de la Loire. Exemple en 2004, lorsque la CFDT pousse au lancement du dipositif Cap compétences, visant à compenser la baisse de charge aux chantiers navals par un vaste plan de formation des salariés.

Du changement de leader, aucun tournant à attendre sur le plan revendicatif. Adepte du compromis, le nouveau patron entend maintenir son organisation au centre du jeu social. « Il prend la tête d’une équipe politiquement homogène. La CFDT est un syndicat réformiste qui veut démontrer que la démocratie sociale peut produire des résultats en signant des accords de fond, pas de posture », explique Patrick Pierron, chef de file dans la négo sur la sécurisation de l’emploi. Un positionnement confirmé, côté patronal, par le président Medef du conseil économique, social et environnemental des Pays de la Loire. « Il a une vision claire de son rôle sans être dogmatique ni bêtement binaire. Il a épousé à fond la ligne nationale de son syndicat, qui tient compte de la complexité du monde », note Benoît Cailliau. « Il n’est pas dans les jeux de rôle. Il va droit au but et défend un syndicalisme moderne », enchérit Patrick Bernasconi, l’un des négociateurs en chef du Medef.

Attendu au tournant. Les débuts de Laurent Berger s’annoncent sportifs. Sécurisation de l’emploi, financement de la protection sociale, renégociation de la convention d’assurance chômage… La CFDT va devoir gérer des dossiers majeurs, sans trop s’enfermer dans un mano a mano avec le Medef. « La vraie question, c’est de savoir si Berger va continuer la politique de « deal », en sous-main, avec Parisot », confie un négociateur patronal, lassé de l’hégémonie de l’Avenue Bosquet. Côté syndical, l’homme est aussi attendu au tournant. Pas de cadeau à attendre de FO, à quelques mois de la première mesure nationale de représentativité, ni de la CGT, ébranlée par sa crise de succession. « Dans les négos, on ne se sent pas seuls. Ce qui nous guide, c’est le contenu, ce qu’on apporte aux salariés, pas le nombre de signatures. Si on s’engage, on ne se planquera pas ! » promet l’intéressé. À charge pour lui de mieux gérer le service après-vente, histoire de ne pas connaître les débuts de son prédécesseur, plombés par la réforme Fillon, l’affaire des « recalculés » et des intermittents du spectacle.

Un minicongrès pour dépoussiérer la maison

Première à la CFDT ! La centrale innove, les 28 et 29 novembre, en organisant une assemblée générale de ses syndicats dans la salle parisienne de la Mutualité. Une sorte de minicongrès, à mi-parcours entre les grand-messes de Tours et de Marseille. Pendant deux jours, 1 500 responsables syndicaux, venus de toutes les branches et de tous les territoires, vont y débattre du fonctionnement interne de la maison. « Notre modèle organisationnel reste construit autour des grandes entreprises et des administrations. Nous devons adapter notre syndicalisme aux carrières d’aujourd’hui », explique Jean-Louis Malys, secrétaire national, chargé de l’organisation.

Piloté par Laurent Berger, le futur patron, un vaste chantier d’expérimentation a été lancé voilà deux ans, en réponse au rapport Grignard du printemps 2009 qui pointait l’inadaptation du syndicat à l’évolution du monde du travail. « On s’est fixé comme cap de rapprocher la CFDT des salariés, des adhérents et des militants. Et pour principe de s’appuyer sur des expériences de terrain plutôt que sur des grandes réflexions », détaille Jean-Michel Drou, l’une des chevilles ouvrières du dispositif. Administration d’enquêtes « flash » auprès des salariés, lancement d’un service de renseignement téléphonique pour les adhérents, mise en place de « référents » pour les sections syndicales… Une centaine d’initiatives ont vu le jour, depuis deux ans, sur des périmètres limités. Des tests qui seront au centre des débats de l’assemblée générale. À charge pour les participants de décider lesquels proroger, amplifier, modifier, généraliser ou abandonner.

Auteur

  • Stéphane Béchaux