logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Idées

Faut-il obliger une entreprise à céder un site rentable en cas de fermeture ?

Idées | Débat | publié le : 02.11.2012 |

Conformément à une promesse de campagne de François Hollande, Arnaud Montebourg, le ministre du Redressement productif, a indiqué, fin septembre, qu’une loi obligeant une entreprise à céder un site viable en cas de fermeture serait votée d’ici à la fin de l’année.

Pierre Ferracci Président du Groupe Alpha.

Il en est de la loi qui se propose d’obliger une entreprise à céder un site rentable comme de celle qui s’op poserait aux « licenciements boursiers ». Louable dans les intentions, tant il est vrai que des abus viennent régulièrement démontrer que, pour certains patrons, certes très minoritaires, la responsabilité sociale des entreprises est un concept vide de sens. Mais, très difficilement applicable, si l’on a affaire à des dirigeants et actionnaires de mauvaise foi, tant les mesures de rétorsion pour empêcher la réussite du projet de reprise sont légion. Au-delà des problèmes juridiques, on sait que, pour assurer le succès d’une reprise, il faut maîtriser les marques, les réseaux de distribution, la charge de travail initiale et bien d’autres ingrédients. Il n’est pas sûr que la contrainte législative permette plus facilement que la négociation de réunir les conditions requises. Les opérations couronnées de succès se sont très souvent appuyées sur la bonne volonté des acteurs ou sur des négociations qui ont fixé et garanti le cadre de la reprise.

Certes, la fréquente défaillance de la négociation collective pour affronter ces problèmes, l’incapacité souvent avérée de les traiter en amont conduisent forcément l’État, dans sa fonction régulatrice, à mobiliser les moyens législatifs pour corriger les abus, éliminer ce qui est contraire à la morale la plus élémentaire ou, tout simplement, rester fidèle aux promesses de campagne du nouvel élu. Pourquoi pas, à condition de cibler les comportements exceptionnels, ce qui n’est déjà pas, sur le strict plan du droit, une sinécure ?

Mais le vrai chemin, plus long et plus exigeant, passe par le renouveau de la négociation collective sur un terrain où elle n’a jamais eu ses lettres de noblesse. Sur la feuille de route transmise aux partenaires sociaux, en préalable à la négociation sur la sécurisation de l’emploi, une partie essentielle est consacrée à la gestion anticipée des mutations. C’est de ce côté-là qu’on trouvera le vrai compromis entre les objectifs de compétitivité des entreprises et la volonté de sécuriser les salariés dans un monde en mutation profonde. C’est aussi par ce canal que l’on parviendra à préserver l’avenir d’un site menacé par la stratégie d’une entreprise ou d’un groupe. Si la loi peut être utile, sans renoncer à corriger les excès les plus criants, c’est en définissant les incitations utiles ou les obligations raisonnables pour que ces négociations anticipées prospèrent en s’appuyant sur une confiance renouvelée entre les acteurs.

Rachel Beaujolin-Bellet Professeure à Reims Management School.

Les conséquences d’une fermeture sont dramatiques, en termes de devenir des individus et des territoires concernés : il s’agit d’un traumatisme individuel et collectif. Ces ruptures marquent durablement, tant il faut du temps, des moyens financiers et de l’énergie pour tenter de réparer les dégâts : reconstruire les identités, reclasser les personnes, reconvertir le territoire, dépolluer les sites, aménager les friches… Dès lors, éviter la fermeture de sites relève d’un enjeu de sauvegarde d’un bien commun et dépasse largement la stricte relation d’emploi.

Les décisions de fermeture relèvent d’options stratégiques dans lesquelles les dirigeants cherchent à améliorer la compétitivité en rationalisant les coûts, en concentrant les activités… Le choix du site dépend ensuite d’arbitrages complexes dans lesquels interviennent une comparaison des performances, des considérations politiques, psychologiques et sociales, mais aussi des jeux de pouvoir internes. Dans d’autres cas, il s’agit de fermer un établissement délaissé par le groupe pendant plusieurs années et, de fait, devenu obsolète, par défaut d’investissements par exemple.

Autrement dit, le site ferme car il ne correspond plus à la stratégie de son groupe d’appartenance. Cela ne veut pas dire que les équipements et compétences ne peuvent pas intéresser un autre employeur, du même secteur ou d’un autre secteur d’activité. Si ces ressources pouvaient être directement transférées au lieu de passer par la rupture brutale, il est clair qu’un énorme gâchis pourrait être évité. L’entrée par le jugement de « rentabilité » d’un site ne me semble pas être la bonne, sauf à prendre le risque de s’enliser dans des débats sans fin sur les conventions de calcul de la rentabilité. En revanche, comment faire en sorte que le site puisse être mis sur le marché avant d’envisager la rupture ? L’actuel plan de sauvegarde de l’emploi repose sur une procédure d’information-consultation du comité d’entreprise et exige entre autres de l’employeur qu’il propose une mobilité interne aux salariés concernés avant d’envisager leur licenciement. Est-il alors possible d’envisager que le PSE comporte une étape liminaire, tel un plan de sauvegarde du site, où s’articuleraient concertation sociale et exigence de recherche d’un repreneur ? Certains groupes procèdent déjà ainsi, considérant que cela relève de leur responsabilité sociale et territoriale.

Franck Morel Avocat associé chez Barthélémy, ancien directeur adjoint de cabinet du ministre du Travail.

Il existe une disproportion entre cette possible complexification de l’arsenal juridique et l’apport réel d’une telle obligation. Qui appréciera le caractère rentable ou non d’un site, ou le caractère « abusif » de l’opération ? Les exigences constitutionnelles de la liberté d’entreprendre et du droit de propriété ne peuvent aboutir qu’à des règles proportionnées et justifiées par un intérêt général. S’il s’agit d’une nouvelle obligation de moyens de recherche de repreneur, il existe déjà une obligation de reclassement des salariés. Elle s’exerce sur le périmètre du groupe au sein des entreprises dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation permettent d’effectuer la permutation de personnel. Par ailleurs, le juge reconnaît la cessation totale d’activité comme motif de licenciement, sauf légèreté blâmable de l’employeur et, surtout, sauf lorsque la décision de fermer une filiale est prise par un groupe non pas pour sauvegarder sa compé titivité, mais afin d’améliorer sa rentabilité, au détriment de la stabilité de l’emploi dans la filiale. Avec quelles preuves faudrait-il justifier d’une recherche de repreneur ? La procédure des restructurations est déjà caractérisée par une extrême complexité, incertitude quant à des délais allongés par des recours, sans que la protection de l’emploi en soit améliorée. On peut craindre qu’en ajoutant des étapes dans son formalisme on ne pose de nouvelles digues qui repoussent les investisseurs sans mieux protéger les salariés.

S’il s’agit d’une obligation de résultat de cession via le tribunal de commerce, constitutionnellement peu sûre, on peut craindre des stratégies de reprise « forcée » avant cession partielle d’actifs. On peut imaginer aussi des stratégies de dumping social aboutissant à une cession « obligatoire » de salariés à des conditions d’emploi peu avantageuses. Des questions de concurrence peuvent se poser lors de la fermeture de sites avec propositions de rachat de la part d’entreprises exerçant les mêmes activités. L’atteinte potentielle à la concurrence est-elle réellement profitable à l’emploi ? Comment articuler cette obligation avec l’obligation de revitalisation ? Les entreprises doivent, selon leur taille, revitaliser leur bassin d’emploi d’implantation en contribuant à la création d’activités lorsque les licenciements collectifs affectent par leur ampleur son équilibre. Enfin, l’obliga tion concernerait des sites et non des parties d’établissements, en limitant la portée. Au total, le risque de nouvelles complications avec peu d’impact concret sur l’emploi est réel.