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Enquête

Un management à géométrie variable

Enquête | publié le : 02.11.2012 | A.-C. G.

Certaines enseignes centralisées ne laissent aucune latitude à leurs directeurs de magasin. D’autres jouent à fond le paternalisme et l’autonomie de patrons tout-puissants.

Pour nettoyer leurs tenues, les salariés d’Auchan ont droit à une remise de 20 % sur la lessive et l’assouplissant dans la limite de 20 euros par an

Chez Cora, les employés les nomment les « seigneurs ». Chez Leclerc, ce sont les « barons ». Une terminologie qui en dit long sur le pouvoir des milliers de petits patrons de la grande distribution. « Un directeur de magasin, c’est un notable en province. Il est sollicité par les clubs sportifs locaux, il peut dégager plus de 500 000 euros de chiffre d’affaires. Ses décisions engagent le territoire. Son pouvoir de nuisance est donc très fort, comme dans une entreprise familiale », explique Mathias Waelli, sociologue, auteur de Caissière… et après ? (PUF, 2009).

« Interdiction de parler aux collègues ». Si les relations individuelles sont chaleureuses, si le chiffre d’affaires suit, tout va bien. Dans le cas contraire, ça peut vite se dégrader. Sabine*, hôtesse de caisse chez Intermarché depuis vingt ans, en sait quelque chose. « La semaine dernière, le vigile m’attendait à la porte du magasin. Il m’a informée de ma mise à pied à titre conservatoire. J’avais interdiction de parler à mes collègues. » Depuis, elle attend une explication car elle ne sait toujours pas pourquoi elle a été chassée. Chez Système U, Sophie*, hôtesse de caisse, n’en peut plus de se faire appeler « mon petit soldat » par un patron qui considère son magasin comme sa maison. Un paternalisme répandu dans les enseignes les moins intégrées, comme Leclerc, où les directeurs de magasin sont aussi les propriétaires, Intermarché, Système U ou même Cora, qui n’a pas de DRH, juste un directeur des affaires sociales. « C’est une volonté de la famille Bouriez, propriétaire de l’enseigne. L’objectif, c’est de laisser la plus grande liberté aux directeurs. Cette autonomie peut devenir dangereuse car elle est grisante. J’en ai connu qui faisaient laver leur voiture de fonction à leurs chefs de secteur. Et personne ne mouftait », raconte Harold Twitzin, ancien cadre chez Cora à Massy.

Cette toute-puissance a poussé plus d’un salarié à aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs, d’autant que les avantages sociaux de ces enseignes hyperpaternalistes ne suivent pas toujours. « On est payés au smic sans aucun avantage. Chez Carrefour, les salariés ont 10 % sur les prix en magasin », râle Richard Mouclier, DSC FO. « Chez Cora, pour un même poste, les employés peuvent toucher 200 euros de plus ou de moins selon les résultats des négociations sur les salaires dans les magasins », indique un syndicaliste.

Dans les enseignes comme Auchan, Carrefour ou Casino, au contraire, c’est l’hypercentralisme qui prédomine. « Pour recruter un CDD, ils doivent demander l’autorisation au directeur régional, aux RH régionales et aux RH nationales. Ils n’ont aucune latitude. Et pour les prix des produits, c’est pareil. Tout vient de la centrale d’achat », explique Anne-Marie Coat, DSC CFDT chez Casino. Une autonomie contrainte qui concerne le top management mais qui rattrape aussi les chefs de rayon. « La centralisation des décisions commerciales leur ôte toute marge de manœuvre et ne les incite pas à développer un management participatif auprès des employés. À quoi bon demander l’avis de l’équipe si, de toute façon, ils doivent appliquer des consignes précises », explique Yvan Barel, maître de conférences à l’IUT de Nantes. Un assujettissement qui encourage aussi les salariés à prendre la poudre d’escampette.

Auteur

  • A.-C. G.