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La GRH mondiale, c’est tendance

Dossier | publié le : 02.11.2012 | Éric Béal, Éric Delon

Pour avoir une vision globale du management, développer une culture commune, fidéliser les troupes…, les groupes français internationalisés cherchent à harmoniser leur gestion RH. Sans ignorer les particularités locales.

L’histoire est rapportée par Yves Synold, directeur chargé de l’offre stratégie et organisation RH management chez Kurt Salmon. Deux collaborateurs de haut niveau d’une entreprise internationale d’origine française se rencontrent dans un aéroport, en partance pour la même réunion. Le premier est de nationalité américaine, le second, indonésien. Au cours de la conversation, ils découvrent que leurs conditions de voyage sont sensiblement différentes, l’Américain volant en classe affaires, l’Indonésien n’ayant droit qu’à la classe éco. Malaise.

La fameuse mondialisation de l’économie a transformé les grandes entreprises françaises, et pas uniquement celles du CAC 40. Nombre d’entre elles ont aujourd’hui des implantations sur les cinq continents. Renault, Lafarge ou Sodexo gèrent même beaucoup plus de salariés à l’étranger qu’en France. Là, il est important d’être présent. Notamment dans les Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). « Cette année, nous vendrons la moitié de nos véhicules hors d’Europe », indique Tristan Lormeau, directeur ressources et compétences du groupe Renault. Et d’ajouter qu’au mois d’août dernier le premier marché de l’ancienne ? Régie a été le Brésil. Autre argument avancé, l’implantation au plus près des consommateurs s’avère plus économique que l’exportation à partir de l’Europe. D’autant plus que, partout, on trouve aujourd’hui des compétences diversifiées, des cadres et des ingénieurs de mieux en mieux formés, dont le niveau de rémunération n’a pas encore rattrapé celui des Européens ou des Américains.

Du coup, nombreuses sont les grandes entreprises françaises à avoir tiré les conséquences de cette internationalisation à grande vitesse. Les pionnières, comme Renault, Sanofi, Orange ou Total, ont signé un accord-cadre international dans les années 2000, avec une organisation syndicale européenne ou mondiale. Ce faisant, elles ont pris des engagements sociaux à l’égard de leurs salariés étrangers dans différents domaines, telles la sécurité au travail, la diversité et la gestion des carrières. Plus récemment, certains groupes se sont aussi engagés à améliorer la couverture sociale ou les conditions du dialogue social. En dépit des différences de législation entre pays. Pour François Fatoux, le délégué général de l’Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises (voir interview ci-dessous), des groupes comme Sanofi, Total ou Danone « mettent en place de réelles stratégies RH en Europe et dans le monde sur la couverture sociale. D’autres, et ils sont nombreux, se posent des questions sur l’art et la manière d’y parvenir ».

Pour expliquer cette évolution, les observateurs avancent des raisons d’ordre stratégique. « Les grandes entreprises se sont rendu compte qu’elles avaient besoin de développer une vision globale de leur management. Elles sont en train d’homogénéiser leur gestion des ressources humaines, tout en laissant la direction des filiales prendre des initiatives pour s’adapter plus facilement au contexte local », explique Yves Girouard, professeur associé à Arts et Métiers ParisTech et président du Cercle Magellan. Au cœur de ce processus, la DRH groupe assure la mise en place de référentiels pour fixer les règles. Avec pour objectif de « construire une culture commune » et d’« apporter du sens » à l’ensemble des collaborateurs. Ce qui est vrai pour le salarié lambda l’est encore plus pour la population choyée des managers. Auparavant, les cadres français expatriés bénéficiaient d’aides au déménagement et au logement, alors que les étrangers n’avaient souvent droit à rien pour s’installer en France. Une situation révolue. Selon Yves Girouard, de nombreuses entreprises internationales d’origine française ont nommé un responsable « talent management » au niveau mondial. Sa mission est de vérifier que, dans chaque filiale, la gestion des carrières des managers et des hauts potentiels répond bien aux normes et à la politique définies au siège. Car l’extrême compétitivité du marché du travail dans des pays comme la Chine ou le Brésil oblige les multinationales à offrir avantages, perspectives et rémunérations attractives pour fidéliser les cadres prometteurs.

Objectif de performance. Cette meilleure prise en compte des aspirations des cadres répond à un objectif de performance. « Tous les ethologues ont démontré qu’un écosystème riche en diversité résiste mieux à l’agression ou à la compétition », rappelle Romain Bureau, senior partner chez Mercer France, chargé des activités de conseil RH. Récemment, un DRH corporate expliquait à Yves Synold que son entreprise avait identifié des hauts potentiels chinois et leur avait fait une offre d’embauche très intéressante. À sa grande surprise, leur réaction n’avait pas été enthousiaste. « Ils avaient consulté l’organigramme du groupe et avaient constaté que le premier cadre chinois était au niveau n – 4. Ils en avaient tiré la conclusion que la parité des nationalités n’était pas appliquée au sein de l’entreprise », raconte le consultant.

À la base, les salariés ne pensent pas différemment. Quand ils en ont la possibilité, ils se déterminent en fonction des conditions de travail, du salaire et des avantages sociaux. Tout le savoir-faire des DRH locaux est de trouver le bon niveau pour être attractif et éviter un turnover important, sans aller trop loin financièrement. « Au Brésil et au Maroc, Renault réalise des benchmarks pour se comparer aux autres entreprises internationales installées dans le pays, ainsi qu’aux entreprises locales. Le groupe réalise également des reportings réguliers pour gérer sa marque employeur et ajuster sa politique RH en fonction des besoins locaux », indique Romain Bureau.

L’uniformisation de la gestion RH est aussi favorisée par le syndrome du 11 septembre 2001. Plus possible d’envoyer un cadre pour trois mois avec un visa business, alors que sa rémunération et son contrat sont encore attachés à la France. Cette gestion un brin illicite de la main-d’œuvre simplifiait le travail administratif et le séjour s’étendait parfois sur plusieurs années. Au détriment des rentrées fiscales des gouvernements locaux. « Je connais une compagnie pétrolière étrangère qui a longtemps utilisé ce procédé en Russie, relate Yves Girouard. Jusqu’au jour où le gouvernement lui a fait comprendre que tant que cela continuerait, elle serait exclue des appels d’offres sur l’extraction de nouveaux gisements pétrolifères. »

Raisons tactiques. Contrainte ou volontaire, la mise en œuvre d’une GRH mondiale est désormais la loi du genre. Claude-Emmanuel Triomphe, délégué général d’Astrees, une structure associative paritaire d’observation sur le travail et l’emploi, estime que « les choses évoluent dans le bon sens. Toutes les entreprises n’ont pas signé d’accord-? cadre international, mais, parfois, les non-signataires avancent plus vite que certaines signataires ». Cet ancien inspecteur du travail pointe notamment des efforts importants dans le domaine de la sécurité au travail. Mais il y voit aussi des raisons tactiques, autres que l’attachement des directions générales à la responsabilité sociale de l’entreprise. « Un ancien DRH d’une entreprise de la sidérurgie m’a expliqué que l’accord avec les syndicats européens avait d’abord pour but de mettre en minorité les syndicats français les plus remuants. Parce qu’ils bloquaient toute avancée dans la négociation en cours. » Selon lui, l’homogénéisation des pratiques RH dans les grands groupes français a cependant encore des progrès à faire. Particulièrement en matière de droits collectifs et de plan social, domaines dans lesquels les pratiques restent souvent à géométrie variable. Comme, d’ailleurs, les législations locales en la matière.

E. B.

François Fatoux Délégué général de l’Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises *.
“Les entreprises veulent améliorer leur marque employeur”

Les groupes français proposent-ils une complémentaire santé à leurs salariés étrangers ?

La couverture sociale commence à devenir un enjeu de la responsabilité sociale des entreprises. Peugeot, Carrefour, Sanofi, Schneider, Lafarge, Danone, Total, Air France ou encore Areva et Veolia ont fait des propositions à leurs salariés étrangers.

Quelles sont les raisons qui poussent ces entreprises en ce sens ?

Elles peuvent être différentes suivant les entreprises. Les uns mettent en avant la prévention des accidents du travail et la santé des salariés, génératrices de meilleures performances. Dans nombre de pays, il y a aussi la volonté de pallier les carences du système public de santé. D’autres insistent sur l’attractivité sur le marché local du travail et la fidélisation de leurs collaborateurs. Il s’agit d’être exemplaire pour améliorer sa marque employeur et de se positionner par rapport aux autres entreprises internationales présentes localement. Il peut également être question de prévenir les tensions entre catégories d’employés dans un même pays. Voire entre cadres issus de pays différents, missionnés sur un même projet.

Comment cela se traduit-il officiellement ?

Il s’agit souvent d’un engagement unilatéral de l’employeur, de manière à ne pas engendrer une démarche volontaire des employés, synonyme de cotisations. De manière générale, il y a encore peu d’accords-cadres internationaux qui intègrent les enjeux de couverture sociale, mais syndicats et entreprises commencent à débattre de cette question au niveau mondial (accord Danone-UITA dédié aux questions de santé-sécurité par exemple).

Propos recueillis par E. B.

* L’Orse publie fin novembre Stratégies de couverture sociale de grandes multinationales des travailleurs locaux, conjointement avec le BIT.

Auteur

  • Éric Béal, Éric Delon