Mutuelle, intéressement, gestion des talents, diversité ou dialogue social…, tour d’horizon des avancées phares des entreprises françaises à l’étranger en matière de politique RH.
Un collaborateur en bonne santé est un collaborateur qui s’investit et qui travaille bien. Nous souhaitons être un employeur de référence sur nos marchés », explique Alain Luchez, le DRH du groupe CFAO, distributeur pharmaceutique et automobile, pour justifier la mise en place au début de l’année d’une assurance santé pour les 8 000 collaborateurs du groupe répartis dans 34 pays d’Afrique. « À part l’Algérie, aucun de ces pays ne dispose d’un régime public de remboursement des frais de santé digne de ce nom. L’assurance que nous proposons, qui couvrira près de 40 000 personnes (conjoints, ayants droit…), va permettre de rembourser 75 % des frais réels de santé et 100 % des dépenses pour certaines pathologies graves telles que le sida, les maladies sexuellement transmissibles ou le paludisme », souligne le DRH, précisant que les frais de santé augmentent chaque année de 11 % en Afrique, soit deux fois plus vite que le PIB. « Pour soigner une carie en Angola, il faut débourser 400 dollars US », note Alain Luchez. La couverture santé de CFAO, qui concerne les cadres et les non-cadres, a été négociée avec des réseaux d’assureurs internationaux par deux courtiers : Gras Savoye dans les pays francophones et Aon Hewitt pour les anglophones.
Soucieux, lui aussi, de devenir un employeur de référence sur ses marchés et de réduire le turnover et l’absentéisme au sein de ses filiales, le groupe Danone s’est engagé, il y a deux ans, à garantir un minimum de soins fondamentaux (hospitalisation, maternité, consultation médicale, pharmacie…) à ses 100 000 salariés à travers le monde. « Plus de la moitié de nos collaborateurs travaillent désormais dans les pays émergents. Nous avons réalisé un audit sur une quinzaine de ces pays afin d’évaluer les systèmes de protection sociale de chacun d’entre eux et les améliorations à y apporter », explique Pascal Desbourdes, chargé de la mise en place de ce programme baptisé Dan’Cares, à la DGRH. Premier pays à mettre en œuvre Dan’Cares en 2011, le Mexique (8 000 collaborateurs) a vu son turnover diminuer de moitié en un an ! « Nous avons capitalisé sur ce succès pour convaincre nos filiales de monter dans le train, pointe Pascal Desbourdes. Aujourd’hui, 50 % de nos salariés sont couverts, dont des pays de référence comme le Brésil, l’Argentine ou la Chine, soit trois fois plus qu’il y a deux ans. D’ici à douze mois, notre filiale en Afrique du Sud, pays qui concentre de gros problèmes de santé, devrait avoir déployé le programme. »
E. D.
Soucieux de préserver l’équité entre leurs salariés, un certain nombre de groupes français présents à l’étranger ont choisi d’élargir le bénéfice de l’intéressement et de l’actionnariat salarié à leurs collaborateurs. À l’instar d’autres entreprises du CAC 40, L’Oréal a étendu le champ des bénéfices de son système d’intéressement à ses filiales étrangères (45 000 salariés aujourd’hui dans 62 pays). Entreprise picarde spécialisée dans la production de transmissions hydrauliques pour les engins mobiles, Poclain Hydraulics, dont le tiers des 1 800 collaborateurs travaille à l’étranger (25 pays, 7 usines), a mis au point un système d’intéressement mondial il y a une dizaine d’années. « Nous avons instauré une charte qui définit les critères mondiaux de l’intéressement. À savoir les résultats groupe, assortis d’un critère de qualité », indique Alain Everbecq, le DRH. Chacune des 25 filiales s’y rattache, que l’intéressement fasse ou non par la suite l’objet d’un accord paritaire, comme en France et en Slovénie. Les montants versés sont aujourd’hui plafonnés à 10,5 % de la masse salariale. « Chaque filiale reçoit une enveloppe correspondant à sa masse salariale, à charge pour elle de répartir les sommes proportionnellement aux salaires, après avoir défalqué les diverses charges qui lui incombent, en fonction de la réglementation sociale et fiscale de son pays », note le DRH. Il précise que cette démarche d’intéressement a pour effet de « partager » les efforts de la mondialisation du groupe comme lorsqu’il y a quelques années une part de la production a quitté la France pour la République tchèque.
Autre démarche à vocation mondiale, la distribution d’actions gratuites à l’ensemble de ses salariés. Exemple avec GDF Suez qui, en 2009, a lancé son premier plan à l’intention de ses 200 000 salariés, quelles que soient leur nationalité, leur position hiérarchique, leur fonction et leur rémunération. À l’époque, le groupe a distribué près de 3,8 millions d’actions. « Un an après la création du groupe, cette attribution s’inscrivait dans une triple démarche : partager les fruits de la croissance avec les salariés, associer durablement les collaborateurs aux réussites du groupe et renforcer l’actionnariat salarié », explique-t-on aujourd’hui chez le deuxième groupe mondial de l’énergie. Même scénario en 2011 avec un nouveau plan d’attribution portant sur 4,3 millions d’actions, chacun des salariés recevant 25 actions.
E. D.
Confrontés à la guerre – mondiale – des talents, les groupes français mettent en place, selon leur culture d’entreprise ou l’ancienneté de leur implantation, des stratégies de développement de leurs meilleurs collaborateurs à l’étranger. Le groupe Alstom, qui compte 92 000 salariés dans 100 pays, possède dans la plupart d’entre eux des talent managers à temps plein ou à temps partagé (en fonction de la taille des pays). « Nous gérons nos talents par filières métiers au niveau global, explique Nicolas Jacqmin, vice-président talent development du groupe. Nous organisons des réunions de carrière par métier – finance, gestion de projet, vente, qualité, ingénierie –, ce qui permet de posséder une vision transversale de notre bassin de talents. »
Dans les Brics, notamment en Chine où les jeunes diplômés sont très sollicités par les grands groupes internationaux, la surenchère salariale ne représente pas toujours la meilleure solution. « Mieux vaut privilégier le développement des compétences en proposant par exemple des cycles accélérés de progression avec l’octroi de promotions tous les deux ans plutôt que tous les cinq ans », recommande Cécile Dejoux, maître de conférences au Cnam Paris, coauteure de Talent Management (avec Maurice Thévenet, éd. Dunod 2012). À l’image de Pernod Ricard, deuxième groupe mondial de spiritueux, très présent dans les Brics. « Nos comités de carrière régionaux, en accord avec le comité de carrière groupe et après des évaluations de type assessment center ou entretiens, nous signalent les meilleurs éléments, explique Bruno Rain, DGA RH. Nous les faisons venir au siège, pour des missions plus ou moins longues, afin qu’ils s’imprègnent de notre culture d’entreprise, qu’ils se constituent un réseau et deviennent ensuite des relais dans leurs filiales d’origine ou dans d’autres. Nous les intégrons par ailleurs dans nos programmes au sein de notre université d’entreprise, qui mêle nationalités et profils divers : commerciaux, juristes, ingénieurs. » Les cadres locaux semblent apprécier : pour ce type de profils, le turnover de Pernod Ricard n’est que de 5 % dans le groupe et de 10 % en Chine.
E. D.
La promotion de la diversité et la lutte contre les discriminations font partie des priorités affichées par la plupart des grandes entreprises françaises. Certaines s’engagent par la voie d’un accord. Total a signé en novembre 2005 un accord sur l’égalité des chances avec son comité d’entreprise européen. D’autres, comme Carrefour, abordent systématiquement ces questions lors des réunions d’une instance de concertation européenne élargie. D’autres encore ont créé une instance dédiée, comme le comité de dialogue sur la responsabilité sociale de l’entreprise chez EDF. « Cette instance assure le suivi de l’accord RSE signé en 2005. Elle reçoit une présentation annuelle de toutes les avancées locales dans le monde », indique Catherine Delpirou, directrice de la reconnaissance et de la vie au travail. Depuis 2008, le groupe organise un diversity day au mois de mai, qui donne lieu à des initiatives dans toutes les filiales dans le monde. L’égalité salariale entre hommes et femmes est effective en France depuis 2009 et la DRH groupe porte une ambition equal pay pour l’ensemble du groupe. « Mais nous sommes pragmatiques et nous voulons tenir compte des réalités locales dans les pays où nous opérons », précise Catherine Delpirou.
De son côté, Total s’est doté en 2004 d’un conseil de la diversité présidé par un membre du comité exécutif. Ses 12 membres proviennent de la direction générale et des filiales opérationnelles. Chaque « branche » du groupe doit faire remonter les résultats annuels sur une série d’indicateurs afin d’aboutir à un « panorama mondial », décrit Laurence Storelli, directrice du recrutement, carrière et diversité. La DRH met surtout l’accent sur la diversité culturelle et la mixité du management. « Mais nous n’avons pas adopté une approche de contrainte envers les directions des filiales locales, précise Laurence Storelli. Nous essayons de convaincre tout en respectant les cultures locales. » Les résultats publiés sont audités par un cabinet extérieur et largement diffusés, car Total ne possède pas d’instance de concertation sociale internationale. En dépit des différences d’approche, la diversité est souvent le premier élément d’une politique de responsabilité sociale de l’entreprise. « C’est un sujet de réflexion et de concertation assez structurant », note François Fatoux, le délégué général de l’Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises. De là à penser qu’il va modifier la GRH en profondeur…
E. B.
Comme Janus, les grandes entreprises françaises montrent deux visages en matière de dialogue social. Alors qu’elles se plaignent de la lourdeur des procédures et de l’épaisseur du Code du travail en France, elles construisent petit à petit un niveau de dialogue social international. Elles signent des accords avec les confédérations syndicales européennes ou encore avec des organisations représentatives au niveau mondial, telle IndustriAll Global Union. Renault (125 000 salariés dans le monde) est en discussion avec cette organisation pour transformer les accords passés avec son comité de groupe en accords-cadres internationaux. « Nous devons accompagner nos installations à l’international avec une politique et une organisation des ressources humaines qui soutiennent cette nouvelle cartographie. Il est, par exemple, normal d’établir un dialogue social organisé avec l’ensemble de nos collaborateurs », estime Tristan Lormeau, directeur ressources et compétences du groupe. Les efforts du constructeur ne datent pas d’hier. En mars 2013, le comité de groupe Renault aura vingt ans d’existence. Ses 40 membres sont issus de tous les pays d’implantation et se réunissent pendant trois jours au moins une fois par an. Un comité restreint se retrouve tous les deux mois. Au menu, des échanges sur les grandes lignes de la politique de ressources humaines ainsi que des explications sur les déploiements en cours…
De son côté, Orange (170 000 salariés dans le monde) a signé un accord mondial en 2006 avec UNI Global Union, une fédération mondiale de syndicats du secteur des services, dont les membres sont présents dans 150 pays. La charte Orange people, signée en 2011, liste une quarantaine d’engagements, dont le respect de l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, l’assurance de progression de carrière équitable ou encore l’encouragement à la diversité des équipes. « Ce document est ensuite adapté à chaque contexte local, précise Brigitte Dumont, directrice adjointe RH groupe. Dans les pays où la législation ne prévoit pas l’existence d’une institution représentative du personnel, comme en Roumanie ou en Jordanie, nous mettons en place un employee forum pour permettre au management de disposer d’interlocuteurs représentant les salariés. Nous avons également un rendez-vous annuel avec l’UNI pour faire le point sur l’application de nos engagements dans le monde. » En interne, la DRH groupe est chargée de veiller à la bonne application de ces recommandations. Elle fait également remonter les bonnes pratiques développées localement.
Finalement, les entreprises européennes, et particulièrement françaises, sont beaucoup plus attachées que leurs homologues anglo-saxonnes à diffuser les bonnes pratiques RH à travers le monde. Par conviction profonde ou simple effet de marketing social ?
E. B.
Quelles sont les principales conclusions de votre étude ?
Cette recherche, tirée notamment des notations réalisées par Vigeo, révèle d’abord que le thème du respect des droits de l’homme fait désormais partie du discours public de la majorité des firmes multinationales. Nous constatons par ailleurs que les engagements qu’elles prennent gagnent en visibilité et en pertinence, avec le souci de bien marquer leur adhésion aux principes et aux objectifs des conventions internationales. En revanche, la mise en œuvre des engagements, notamment la capacité à rendre compte des processus dédiés au respect des droits de l’homme, reste limitée et souvent sujette à controverses. Ainsi, il apparaît qu’une multinationale sur cinq (21,5 %) a dû faire face à au moins une allégation de violation d’un ou de plusieurs droits de l’homme au cours des trois dernières années.
Quels sont les droits les plus reconnus ?
L’analyse souligne que la liberté d’association et le droit à la négociation collective sont les plus fréquemment mis en cause. Elle fait en revanche apparaître l’existence de certaines pratiques très avancées sur l’ensemble du référentiel des droits de l’homme. Les firmes les plus engagées parviennent non seulement à mettre en place des dispositifs solides de prévention des risques, mais aussi à se différencier positivement en termes de réputation, de cohésion de leur capital humain, d’efficience de leur organisation et de sécurité juridique.
Les entreprises européennes, et notamment françaises, sont-elles plus vertueuses que les autres ?
Les entreprises européennes obtiennent les meilleurs résultats. Sur les 30 les plus avancées, 24 sont européennes. Parmi elles, les entreprises suédoises, françaises et norvégiennes se distinguent. Les françaises les plus engagées affichent leurs meilleurs résultats en matière de liberté syndicale et de non-discrimination. Leur bon classement s’explique entre autres par le niveau traditionnellement élevé des exigences réglementaires et par l’obligation en France du reporting sur le management de la responsabilité sociale des entreprises cotées.
Propos recueillis par E. D.
* Étude réalisée par l’agence de notation sociale, septembre 2012.