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Vie des entreprises | Zoom | publié le : 03.10.2012 | Caroline Crosdale

General Electric, Farouk Systems, Otis… De plus en plus d’entreprises, adeptes de la délocalisation vers l’Asie ou l’Amérique latine, reviennent au bercail. Et elles y gagnent.

Le coiffeur palestinien Farouk Shami, fondateur de Farouk Systems, un joli petit empire de soins pour les cheveux installé à Houston, au Texas, croyait faire une bonne affaire en allant en Chine. Lorsqu’il a décidé de remplacer le métal de ses fers à cheveux par de la céramique, Farouk Shami s’est tourné vers l’Asie pour produire le moins cher possible ces outils innovants dégageant un très faible EMS (electro magnetic field), meilleur pour la santé des coiffeurs professionnels. Pour produire plus, toujours plus, Farouk s’en est allé en Chine. Mais le patron de Farouk Systems (1 milliard de dollars de chiffre d’affaires) a vite déchanté. Car ses produits vendus en moyenne 150 dollars pièce ont été copiés sans vergogne par les concurrents chinois et bradés à petit prix, à 20-30 dollars. « L’ingénieur qui travaille chez votre partenaire chinois s’en va, explique-t-il. Il traverse la rue pour aller chez le concurrent et emmène vos brevets avec lui. Vous voyez rapidement des sites sur la Toile proposer des imitations de vos articles. Vous les faites fermer et, le lendemain, un cousin du faussaire reprend le commerce. » Farouk Shami affirme dépenser 8 à 10 millions de dollars par an en frais juridiques pour combattre la contrefaçon.

Le patron a donc décidé de faire revenir sa production au Texas, loin des copieurs…, ce qui lui permet, dit-il de retarder d’au moins six mois la fabrication des imitations chinoises. Farouk Shami a d’ores et déjà créé 1 200 emplois à Houston. Et il promet 800 autres postes pour l’année prochaine. Grâce au retour de la production, il a gagné en frais de stockage. Autrefois, il lui fallait trois à quatre mois de stocks pour répondre rapidement à la demande des coiffeurs américains. Aujourd’hui, deux semaines suffisent. Ses frais de transport et de douane ont été réduits. Et la qualité du made in America se révèle supérieure. Le coiffeur palestinien se retrouve à l’avant-garde du mouvement de reshoring aux États-Unis, qui consiste à faire revenir vers l’Amérique la production qu’on envoyait il y a peu de temps encore en Chine, au Mexique ou vers tout autre pays aux salaires de misère.

L’écart se réduit. Farouk Shami n’est pas seul. Quelques poids lourds de l’industrie, General Electric, Ford, Otis, NCR…, suivent le mouvement. Et le président Barack Obama, désireux de faire baisser les statistiques du chômage, se prend à rêver. « Demandez-vous ce que vous pouvez faire pour faire revenir les emplois dans votre pays, et votre pays fera tout pour vous aider à réussir », a-t-il déclaré fin janvier dans son discours de l’Union. Un plaidoyer répété plusieurs fois pendant la campagne présidentielle pour inciter les industriels à poursuivre l’effort.

Les hommes d’affaires américains se laisseront-ils tenter ? L’idéal patriotique est renforcé par de nouvelles considérations d’efficacité. Quand les professionnels en tout genre mettent bout à bout tous les coûts rencontrés le long de la chaîne de fabrication et de distribution, le pays de l’Oncle Sam retrouve un certain attrait. « La tendance est embryonnaire, constate Cliff Waldman, l’économiste de la Manufacturers Alliance for Productivity and Innovation. Mais tout de même, le coût du travail, longtemps déterminant, perd de l’importance dans le processus de fabrication. Les salaires des Chinois augmentent ; de nouveaux coûts logistiques, des lenteurs bureaucratiques font leur apparition à Shanghai… et soudainement, Canton dans l’Ohio ne paraît pas si mal. »

Même si le salaire moyen américain reste supérieur à la paie chinoise, l’écart se réduit. En l’an 2000, la rémunération horaire de l’ouvrier chinois tournait autour d’un demi-dollar, celle de son homologue yankee dépassait les 16 dollars, voire beaucoup plus, si l’on compte les congés, l’assurance maladie, la coti sation retraite… Mais aujourd’hui, assure la direction de Farouk Systems, le coût du travail aux États-Unis est seulement 50 % plus cher qu’en Chine. « Le salaire du Chinois augmente de 15 à 25 % par an et la devise locale, le yuan, croît de 5-6 %, souligne Harry Moser, un ancien patron du secteur de la machine-outil, créateur de la Reshoring Initiative. Pendant ce temps-là, les salaires américains progressent tout juste de 2 % par an. » Le différentiel se réduit. Et si l’on tient compte des autres postes (transport, emballage, stock…), en 2015, les coûts américains seront équivalents aux coûts chinois, prédit une étude du Boston Consulting Group.

D’où l’intérêt de plus en plus marqué pour le retour aux sources américaines. Un sondage du même BCG, réalisé en février 2012, montre que 37 % des patrons du secteur secondaire prévoient ou envisagent de faire déménager leur production asiatique vers la terre de l’Oncle Sam.

Gains de productivité. Le géant General Electric rapatrie les lave-vaisselle dans l’usine de Louisville, dans l’État du Kentucky. GE engrange les gains de productivité : une meilleure organisation et l’automatisation ont permis de réduire le temps de fabrication d’une machine de 68 %. Et les salariés amé ricains ont su se montrer conciliants : deux tiers des 4 100 employés sont des débutants. Ils ont accepté un salaire de 13 dollars l’heure, moitié moindre que celui d’avant.

Mais le coût du travail n’est pas le seul élément du prix de revient ; d’autres coûts prennent de l’importance. « Les Chinois favorisent les commandes des grandes entreprises, note Hank Holzapfel, le président de Manex Consulting ; les livraisons des clients plus modestes souffrent. Et il y a des problèmes de qualité. Les standards chinois ne sont pas aussi exigeants que ceux des pays occidentaux. » John Higgins, le patron de Neutex Lighting, un fabricant texan de nouvelles ampoules LED, en sait quelque chose : « Nous avons fait nos premiers essais de fabrication en Chine et à Taïwan. Nous avons eu beaucoup de ratés. Et pas question de renvoyer les ampoules pour les réparer, cela coûterait trop cher. » La direction de Neutex a préféré investir 20 millions de dollars en robots, et elle embauche à Houston : 200 personnes en 2012-2013, 300 de plus prévues l’année suivante. « 20 % des coûts réels sont sous-estimés, renchérit Harry Moser. Lorsque les livraisons prennent du retard, il faut payer en urgence le transport par avion. Les patrons américains se sentent aussi obligés d’aller vérifier sur place plusieurs fois dans l’année ce que fabrique leur fournisseur. » L’addition s’alourdit sans cesse.

Tire International, le recycleur de vieux pneus en sols de caoutchouc, a tranché en faveur de Charleston, en Caroline du Sud. « Nous achetions notre matière première en Amérique et en Europe et nous l’exportions en Chine, indique Martin Sergi, le directeur financier. Le prix des pneus augmentait, le coût du transport et de la douane suivait… Quand le produit fini arrivait enfin aux États-Unis, il était devenu trop cher. » La direction de Tire International a investi 25 millions de dollars en automatisation dans le comté de Berkeley. Elle est en train d’embaucher 150 Amé ricains pour remplacer 400 emplois chinois. Et Martin Sergi espère produire aux États-Unis 27 % moins cher qu’en Chine dès l’an prochain. Harry Moser se frotte les mains. Tous les jours, selon lui, des milliers d’emplois reviennent de Chine, du Brésil, d’Inde… Et les spécialistes du Boston Consulting Group tablent sur beaucoup plus. Pour 2020, ils évoquent le retour de 3 millions d’emplois aux États-Unis. De quoi, calcule Harry Moser, créer cinq autres millions d’emplois chez les sous-traitants et fournisseurs.

Auteur

  • Caroline Crosdale